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Bakchich : informations, enquêtes et mauvais esprit
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Qui a peur de nos révélations ?

28 mai 2008 à 12h14
Le livre L’argent noir des syndicats, publié le 17 mai 2008, est une bombe. Certains tentent encore de la désamorcer. Comme le trésorier de la CGT qui, dans l’émission Pièces à conviction, vient de s’adresser aux Français pour qu’ils n’y touchent surtout pas…

Depuis que le bouquin est sorti, je vis des aventures étonnantes avec les deux co-auteurs, Jean-Luc Touly et Christophe Mongermont. Des syndicalistes qui ont lu notre bouquin nous félicitent, nous envoient leurs témoignages, nous demandent de venir discuter avec eux dans leur boîte… Les soutiens viennent de partout, des sections syndicales CGT, CFDT, FO, CFTC, SUD… D’autres syndicalistes qui ont parlé de leurs combats dans notre livre et dénoncé des inerties inavouables nous appellent pour nous dire qu’ils font l’objet de représailles ou de menaces…

Tous les médias ont demandé notre livre, souvent en plusieurs exemplaires. C’est fou, le nombre de journalistes qui veulent le lire. Ils nous disent que notre enquête est sidérante, courageuse, renversante… Les mêmes nous avouent parfois qu’il sera bien difficile d’en parler publiquement en nous expliquant que leur rédaction ne veut pas se mettre à dos leur propre syndicat. Comme si toutes les sections et toutes fédérations devaient se sentir visées ou condamnées à couvrir les autres ! Or, notre livre n’a jamais accusé la totalité des organisations, les faits que nous rapportons sont certes nombreux mais toujours précis, circonstanciés. Alors ?

Que craignent les leaders syndicaux ?

Des journalistes qui n’ont pas froid aux yeux, en revanche ce sont ceux de Pièces à conviction, l’émission d’Hervé Brusini. Les premiers à avoir lu notre enquête (avant même qu’elle soirte en librairie) et à reprendre certains dossiers. Ils s’intéressent tout particulièrement à l’affaire du Comité central d’entreprise (CCE) de la SNCF qu’ils réexaminent pièce après pièce, témoin par témoin. Du boulot sérieux. Samedi 23 mai, quelques heures avant la première diffusion sur France 3, nous les rejoignons pour un ultime tournage sur le plateau télé. Jean-Luc Touly parlera du livre pour nous trois.

Là, ils nous font part de leur difficulté à trouver des responsables confédéraux prêts à venir sous les projecteurs : "Les leaders syndicaux ne veulent pas venir débattre avec vous. Seul le trésorier national de la CGT, Michel Doneddu, est prêt à nous rejoindre sur le plateau, mais la confrontation avec vous ne sera pas possible. Vous serez sur deux plateaux différents…" Dommage, nous aurions bien aimé parler de tout ça avec lui devant les caméras.

Mais si ce n’était que lui ! Personne, parmi les responsables syndicaux, ne veut se retrouver face à nous. Leur faisons-nous si peur ? Redoutent-ils à ce point nos remarques et nos questions ?

Jean-Luc sera interrogé par Elise Lucet. Je l’accompagne. Pour ne pas effrayer le trésorier CGT, on nous place dans une salle à part. S’il apprend que nous sommes-là, il risque de repartir. Ce n’est pas la coutume de séparer les invités, mais on comprend : c’est le seul responsable national qui accepte de répondre sur les financements (après quelques hésitations), ils n’ont pas envie de le perdre.

Poussé par la curiosité, j’entrouvre la porte pour voir débarquer le représentant du Medef et un dirigeant de l’Institut Supérieur du Travail, qui a pour vocation de préparer des responsables d’entreprise à l’exercice des relations sociales. Le trésorier de la CGT est arrivé aussi, la mine chiffonnée, pas franchement à l’aise. Il semble se demander à quelle sauce les journalistes vont le cuisiner. Il s’assied, croise les jambes. Son pied gauche s’agite très rapidement. L’air pas content du tout.

Les trois hommes conversent. Une réflexion me vient en les regardant ainsi : ce responsable syndical craint visiblement moins ces hommes-là que nous, qui voulons juste défendre les salariés et l’indépendance des syndicats. Pourquoi se hérisse-t-il autant à l’évocation de nos noms alors que nous ne l’avons jamais attaqué ? Pourquoi une telle attitude, alors que nous répétons dans le livre que la confédération CGT elle-même a tenté de remédier, ici et là, aux dérives constatées dans certains secteurs ?

Allez, monsieur Doneddu, encore un effort, si vous arrivez à discuter aimablement avec les employeurs vous devriez pouvoir nous entendre un peu. D’autant que le co-auteur, Jean-Luc est juge prud’homal CGT et qu’il a milité dans le même syndicat depuis tout jeune.

Qui finance ?

Devant les caméras, Jean-Luc résume nos observations et rappelle que, depuis les années 1970, le nombre des syndiqués en France a été divisé par cinq, tandis que le nombre des permanents syndicaux a été multiplié par autant. Une aberration qui montre que quelque chose ne tourne pas rond dans le fonctionnement des organisations (la plupart du temps, on ne va même plus chercher les cotisations). Et qui attend toujours une explication des syndicats.

Les autres se succèdent aussi sur le plateau, face à Elise Lucet, précise et opiniâtre dans ses questions. Le type envoyé par le Medef prétend que le Medef a changé. Selon lui, Laurence Parizot ne savaient rien et les "petites entreprises" dont il s’occupe ne sont pas corruptrices. Mais il feint ne rien entendre quand Jean-Luc rappelle que notre livre montre en détail que ces pratiques, loin d’être l’exclusivité de l’UIMM, ont été développées dans toutes les branches d’activité, au point de devenir un "sport national".

Après le tournage, je discute avec Elise Lucet, qui sait qu’elle a fait une performance mais se montre modeste : "L’équipe a travaillé dur, ils ont fait un excellent reportage, c’était facile pour moi. Quand l’enquête est sérieuse, je peux m’appuyer sur des éléments solides." Elle dit vrai : j’ai vu bosser leur principale journaliste, Sophie Roland, terriblement fûtée. Courageuse avec ça. Sa rigueur, je n’en parle même pas. Chapeau.

Leur enquête sur les CE de la SNCF et sur l’affaire Sauvagnac confirme bien la nôtre, avec des éléments originaux très forts. En particulier, ce morceau d’anthologie sur d’invraisemblables factures additionnant les prix de modèles d’appareils inexistants, domicilées chez un type qui est prêt à dire tout et son contraire pour se justifier, puis qui lâche finalement qu’il ne sait ni lire ni écrire.

Par contre, la prestation du trésorier de la CGT est moins comique. Il vocifère contre nous, déclare que nous sommes des imposteurs qui chargent son syndicat. Moi qui rend compte des combats de la CGT depuis mes premiers livres (j’en ai publié de nombreux sur la santé au travail et j’ai toujours mis en valeur l’engagement des syndicalistes CGT, souvent les plus prompts à défendre les salariés). Christophe, lui, n’a pas hésité dans le livre à monter que certains syndicalistes de sa propre organisation (FO) s’étaient compromis.

Finalement, le trésorier récuse tout le reportage, les témoignages et les preuves. Il accuse Jean-Luc d’être un falsificateur. Aïe : il diffame sans se retenir et prétend que ce dernier n’est pas à la CGT, en oubliant de dire qu’il exerce un mandat de juge CGT aux Prud’hommes. Enfin, comme si cela constituait une réponse aux questions d’Elise Lucet, l’homme évoque un procès que le syndicat de Veolia nous a intenté pour les dérives que nous avions pointées dans L’eau des multinationales, un précédent livre. Il commente à sa manière le jugement que nous avons remporté, en le présentant de manière défavorable. Aïe : rediffamation. Il cherche sa colère, en guise d’argument, la joue contre tout ce qu’on lui dit, tout en déclarant ne pouvoir répondre que sur la confédération.

Monsieur Doneddu, vous auriez préféré que notre livre ne sorte pas, on l’a bien compris. On vous donne du travail alors que vous ne devez pas en manquer. Je devine que votre boulot ne doit pas être facile par les temps qui courent où tant de gens veulent la peau des salariés. Mais c’est quand même stupide de se retrouver comme ça, alors que nous défendons a priori les mêmes gens. On se bat pour le syndicalisme, nom d’un chien ! Avec tous ceux qui refusent de plier l’échine et de voir les acquis sociaux filer comme du sable entre les doigts.

Le syndicalisme est à jamais un exercice de vigilance

Tout de même, vous avez eu le courage de venir sous les projecteurs, seul, pour représenter la CGT. Rien que pour ça, vous faites déjà la différence avec les autres, avec toutes les organisations qui préfèrent rester tapies dans leur terrier, alors que nous ne demandons que des explications. Mais, que diable, arrêtez de dire que nous militons pour SUD ou pour FO ! Est-il impossible de pouvoir exiger plus d’indépendance dans les financements sans être en opération commando pour le compte d’une organisation ? FO ne me paraît pas plus indépendant. Quand à SUD, le fait qu’il s’agisse d’un syndicat de coordination qui refuse les structures verticales le soustrait aux perfusions financières. Mais je n’ai pas la naïveté de croire qu’il restera indemne en grossissant. Et je pense même que certains de ses militants font déjà l’objet de sollicitations malsaines visant à les adoucir.

Seule la lucidité et la plus grande vigilance nous permettront d’avancer tous ensemble.

J’ai fait un rêve : monsieur Doneddu, vous acceptiez d’examiner sérieusement avec moi, sur Bakchich, les aberrations que nous soulevons. Sans injures, avec patience. Tout s’éclaircissait alors de façon convaincante. Vos taux d’adhésions remontaient, remontaient… Je vous félicitais chaleureusement et nous tombions dans les bras l’un de l’autre. Nous avions vaincu le monstre des malentendus accumulés. Le syndicalisme de lutte, dont les négociations ont toujours besoin, redéployait ses ailes pour affronter le siècle qui s’annonce si difficile.

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10 Messages de forum

  • Qui a peur de nos révélations ?

    28 mai 2008 14:14, par YEAM

    Bravo pour votre chronique ! Elle est formidable de justesse …

    Rêvons ensemble que monsieur Doneddu accepte le dialogue .

    Voir en ligne : YEAM

    • Qui a peur de nos révélations ? 31 mai 2008 22:11, par Roger Lenglet

      Et si les autres responsables syndicaux venaient aussi en débattre publiquement ?

      Mais je crains que le débat public, fondement de la démocratie, ne soit pas précisément ce que recherche nos leaders. Les simulacres de débats les ont remplacés et se déroulent entre interlocuteurs choisis, dans les émissions télé ou radio, les congrès et les meetings.

      Qu’est-ce qui pourrait donc les faire réagir et débattre authentiquement ? Sont-ils capables d’accepter un espace d’échange où les responsables viendront s’exprimer et répondre aux questions les plus élémentaires ?

  • Qui a peur de nos révélations ?

    28 mai 2008 17:09, par Toto
    Et moi je fais un autre rêve : que ceux qui ont accepté de dénoncer ces pratiques malhonnêtes ne soient pas "laminés" dans les prochains jours par leurs employeurs. On peut toujours réver non ?
    • Représailles 31 mai 2008 22:00, par Roger Lenglet

      Les réunions dans les entreprises se multiplient au sujet des révélations. Les menaces pleuvent lors de ces réunions, du style : "Nous pouvons vous affirmer que nous trouverons les informateurs et qu’ils seront sévèrement sanctionnés…" Etc.

      Il auront besoin de notre soutien, à commencer par notre vigilance et notre réactivité qui peut tenir en respect les directions lançant les représailles.

      Je vous en rendrai compte régulièrement ici.

      Et n’hésitez pas à apporter vos témoignages.

  • Qui a peur de nos révélations ?

    28 mai 2008 23:39, par Odilon

    Bravo pour votre combat et votre soucis constant de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain…

    Mais en toile de fonds du monnayage patronal de la paix sociale par la corruption des responsables des grosses organisations syndicales, il y a un cancer plus grave qui gangrène tous les organes de la République : à savoir l’augmentation exponentielle des textes réglementaires…

    Trop de loi asphyxie la loi, et ne sert plus que l’intérêt des plus gros.

    En ce qui nous concerne c’est à l’ombre d’un code du travail de plus en plus broussailleux que prolifère les permanents, comme autant d’exégètes d’une lettre qu’on éloigne toujours plus du profane.

    Vive l’organisation et la défense des travailleurs, vive le syndicalisme et le progrès de la République et de ses institutions !

    • Qui a peur de nos révélations ? 29 mai 2008 12:39, par Ady

      Le pouvoir est corrompu, mais aussi et surtout corrupteur. C’est bien là la base du problème ; la délégation de la part des salariés de leur propre pouvoir. Sans délégués syndicaux, nous n’aurions pas tous ces problèmes de dérives, de trahisons, …

      Le vrai syndicalisme, celui qui défend réellement les travailleurs, c’est le syndicalisme direct. VIVE LA CNT !!

  • Un sujet que l’actualité rend encore plus preignant

    29 mai 2008 16:54, par Un gêneur

    Plutôt que de s’en défier, de l’éviter ou encore de le nier, aborder de face et pleinement les dérives potentielles et existantes est rendu encore plus indispensable en regard de l’actualité et notamment du projet de loi concernant le temps de travail et ses aménagements.

    En effet sans entrer ici dans le débat et dans le détail, le projet pose les bases de dispositions qui dépassent les discussions sur les 35 h ou les heures supplémentaires.

    En particulier le projet prévoit que les organisations syndicales et leurs délégués pourront et devront amenager le temps de travail de tous salariés ainsi que les dispositions et droits des salariés encadrant ces temps de travail par un simple accord d’entreprises.

    C’est une responsabilité enorme et sans précedent que devrons être capable d’assumer et surtout de gerer les délégués syndicaux dans l’interet des salariés.

    Cela ne sera possible que dans un syndicalisme sain et au service sans failles des salariés mais aussi d’un syndicalisme "professionnel" je veux dire formé,informé et rigoureux dans sa démarche, sinon….. !

  • merci, vraiment merci !

    29 mai 2008 18:21, par espoir

    oui, vraiment merci ! merci de dénoncer toutes ces pratiques dans les CE SNCF car ce qui n’est pas suffisamment mis en avant et qui pourtant me semble primordial, ce sont les deux choses suivantes :

    c’est l’argent des cheminots qui est dilapidé et ces derniers l’ignorent, souvent confiants à tort envers des élus dont ils pensent qu’ils ne peuvent agir que pour leur défense et leurs activités sociales ; peu savent en réalité comment fonctionnent les CE, les budgets dont ils disposent, ce qu’ils en font exactement

    mais aussi et surtout, CE SONT LES EMPLOIS DES SALARIES DES CE qui SONT en DANGER !!! combien de ces CE SNCF sont en situation financière périlleuse, à la limite de la faillite !!! les salariés des CE subissent ces situations et les vivent au quotidien, ils sont réduits au silence, à la pression, ils sont souvent méprisés et dévalorisés, bcp vont très mal…

    derrière ces opérations financières "douteuses" se trouvent des salariés dont les emplois sont en danger, et dont la santé se dégrade jour après jour…

    alors, oui, merci merci d’en parler enfin merci de nous sortir de cette chape de plomb qui nous étouffe depuis de nombreuses années merci de dire ce que nous ne pouvons dire nous-mêmes sous peine de représailles, de sanctions, de pressions, et même de mise à la porte merci de nous permettre enfin de libérer notre parole

    parce que l’insupportable est de vivre au jour le jour ce que n’importe quel syndicaliste de n’importe quel syndicat dénonce et condamne haut et fort face à des "patrons"… et de le vivre de la part de ces mêmes pseudo "syndicalistes"…

    depuis la dénonciation de tous ces faits, j’ai l’impression de revivre, de mieux respirer, car enfin il est dit haut et fort ce que je ne peux même pas dire à des proches tant cela peut paraître invraisemblable en effet, qui pourrait croire qu’être employé par des syndicalistes est tout le contraire que de bénéficier de leurs revendications … oui merci et merci d’aller jusqu’au bout des choses merci de crever enfin cet énorme abcès qui nous ronge, nous les nombreux salariés des CE SNCF

    merci aux salariés et aux militants qui ont le courage de dénoncer, car je n’ose imaginer les pressions qu’ils doivent subir, et cela il ne faut pas l’oublier

    • Les choses bougent 31 mai 2008 21:54, par Roger Lenglet

      Des témoignages touchants comme le vôtre nous ont motivé tout au long de notre enquête. Quand tant de gens nous tapent dessus en disant que nous faisons le jeu des adversaires du syndicalisme, vous donnez du sens à nos investigations.

      Je vous invite à suivre tous attentivement ce qui va se passer dans les prochains jours autour des CE de la SNCF. Des salariés ont décidé de passer à l’action et d’exiger toute la lumière sur certains aspects de la gestion.

      Je commenterai les évènements sur ce blog.

  • Qui a peur de nos révélations ?

    14 novembre 2008 16:26, par Mohammed

    Je veux dire aux deux auteurs : BRAVO !!!!

    Pour la première fois, un ouvrage qui parle vrai sur les dérives du syndicalisme français, devenu le plus faible d’Europe (8% des salariés en moyenne, encore moins dans le pivé…), tout en ne jouant pas le populisme ultralibéral, et toujours soucieux de se placer dans le camp du progrès social.

    Les organisations syndicales, en laissant proliférer les corporatismes de statuts, qui ont étouffé le combat plus général des salariés, en se repliant sur le service public, en multipliant les compromis avec un patronat et un gouvernement tout acquis au capitalisme dérégulé et aux plus riches, ont une lourde responsabilité dans la défaite idéologique et matérielle du mouvement ouvrier en France. Et cela va plus loin que la cruciale question d’un financement malsain et déconnecté des adhésions.

    Regardons par exemple les organisations syndicales enseignantes, qui flattent le corporatisme des catégories d’enseignants, qui cogèrent le démantèlement de l’école publique par une droite revancharde, tout en tenant un discours pédagogique de moins en moins différent de celui des néoconservateurs de l’UMP (ordre, autorité, sélection, tant pis pour les perdants)… Tout cela sans se rendre compte qu’elles contribuent à fabriquer la corde avec laquelle Mr Darcos va bientôt les pendre.

    Encore bravo pour votre boulot