Pour une nouvelle fête des salariés
25 septembre 2008 à 20h04Il y a tout juste un an, Denis Gautier-Sauvagnac, le président de l’UIMM (Union des industries et des métiers de la métallurgie) se retrouvait entre des inspecteurs de la brigade financière qui lui demandaient gentiment pourquoi - et pour qui - il retirait régulièrement des millions d’euros en billets sur des comptes alimentés par son organisation. Ces liquidités, confessa-t-il, servaient à « fluidifier les relations sociales ». On connaît la suite : le 26 septembre et les jours suivants, la presse reprenait l’aveu de DGS à la une, les syndicats démentaient avoir bénéficié des versements, et la direction de l’UIMM assurait son patron de « sa totale confiance ». La présidente du Medef, Laurence Parisot, écarquillait les yeux en rappelant le principe de la présomption d’innocence, et laissait DGS à la tête de la délégation du Medef qui négociait avec les syndicats la « modernisation du marché du travail ».
Dénotant avec l’hypocrisie ambiante, Yvon Gattaz, ancien président du patronat français, confessait publiquement que « le financement des syndicats par le patronat a toujours existé ». De son côté, le juge Roger Le Loire, chargé du dossier (après que l’Elysée ait jugé bon de le conserver sous le coude depuis 2004), procédait à des perquisitions et mettait en examen des personnalités de l’UIMM et du monde des affaires (dont DGS, la chef comptable de l’UIMM et le délégué général adjoint de l’UIMM). Quelques langues se déliaient dans le cadre des interrogatoires pour confirmer la destination générale de la cagnotte : des organisations syndicales, des élus et des dirigeants d’entreprises. Laurence Parisot découvrait alors les « secrets de familles » connus de tous, sauf d’elle, et prenait ses distances avec l’UIMM. Entre temps, les perquisitions faisaient apparaître plusieurs comptes de l’UIMM où des millions d’euros en liquide avaient été retirés. En février 2008, DGS négociait son départ élégant de l’UIMM contre 1,5 million d’euros. La presse y suspectait un achat de son silence, malgré les affirmations du nouveau président, Frédéric Saint-Geours, évoquant des « indemnités de retraite ». Devant le tollé, Laurence Parisot tentait de sauver l’image du patronat en exigeant la démission des dirigeants de l’UIMM exerçant des mandats au nom du Medef. La guerre des PD-G était franchement ouverte…
Alors que le gouvernement appelait à un règlement paisible de l’affaire entre partenaires sociaux, le ton est monté. Daniel Dewavrin, ancien président de l’UIMM, et DGS lui-même déclaraient avoir informé Laurence Parisot du système de « fluidification sociale » avec du « liquide » avant que l’opinion s’en empare. Laurence Parisot les accusait à son tour d’être des menteurs et les menaçait de porter plainte s’ils continuaient à dire qu’elle était au courant.
En mars 2008, Daniel Dewavrin et le directeur financier de l’UIMM, Bernard Adam, étaient mis en examen à leur tour, puis le juge ordonnait une perquisition au siège du Medef. Le mois suivant, DGS confiait au juge que de nombreuses personnes connaissaient l’existence des retraits en liquide. On apprenait en même temps que l’UIMM avait versé, en liquide, 5000 euros par mois durant des années à François Ceyrac, l’ancien chef de file du patronat, et qu’elle lui confiait, à titre gracieux, une villa du Vésinet, depuis 1959. Le juge placera ce dernier sous le statut de « témoin assisté ».
D’autres mises en examen ont suivi : celles de Jacques Gagliari et Pierre Chartron, salariés de l’UIMM, soupçonnés d’avoir reçu leur part de liquidités, celle de Henri de Navacelle ancien dirigeant de l’organisation… Yvon Gattaz et Jean Charbonnel, ancien ministre de Georges Pompidou, étaient quant à eux entendus comme témoins.
Avant les vacances, notre enquête sur L’Argent noir des syndicats sortait en librairie, révélant que la corruption des « partenaires sociaux » est un sport national dans notre pays, bien au-delà des « générosités « de l’UIMM. Documents et témoignages à l’appui, des noms de directions d’entreprises corruptrices y sont cités, des noms de syndicalistes achetés, des noms d’organisations syndicales « accrocs » aux versements fluidificateurs… Pas un seul d’entre eux n’osera nous faire un procès.
À la fin du mois de juillet 2008, Jacques Gagliardi, un ancien cadre de l’UIMM, était entendu par le juge. La presse faisait écho à son audition en déclarant qu’il avait cité des syndicats et des politiques parmi les « arrosés ». La CGT s’estimant diffamée (son nom a circulé), démentait aussitôt en déclarant que le témoignage de Jacques Gagliardi relèvait d’une stratégie d’intoxication.
Au début du mois de septembre, le leader de la CFDT, François Chérèque, se lâchait un peu dans son livre Si on me cherche… Il y affirme que Nicolas Sarkozy lui a fait part d’un projet de loi d’amnistie pour les bénéficiaires des versements. Il déclare avoir immédiatement rejeté cette perspective et qu’il est prêt à affronter les éventuelles conséquences de l’enquête au sein de son propre syndicat s’il s’avère que certains cédétistes en ont profité.
Coïncidence qui ne s’invente pas, l’UIMM devait décider ce jeudi 25 septembre de ce qu’elle va faire de sa cagnotte qui, malgré la crise financière, atteint toujours 600 millions d’euros, grâce à des placements judicieux. L’organisation vient de faire savoir qu’elle compte maintenir l’usage de son fond « anti-grève » au nom du « principe de solidarité entre les entreprises » et du fait que certains voisins européens, comme l’Allemagne ou la Suède, feraient fonctionner des caisses similaires . On ne s’attendait pas à ce que l’UIMM donne l’argent aux pauvres, ni aux salariés grévistes, mais cette édifiante arrogance laisse imaginer dans quel mépris ses dirigeants tiennent les citoyens. Au passage, on se demande bien quelles grèves, en France, sont vraiment susceptibles d’inquiéter les patrons, à l’heure du « syndicalisme de négociation » qui exclut désormais les vrais moyens de lutte… Cette attitude est l’occasion d’affronter les questions de fond, bien plus importantes pour les salariés que de savoir qui a touché combien. Les questions que personne ne pose à propos de l’affaire des caisses noires de l’UIMM Quels « accords historiques » entre les syndicats et le patronat ont été obtenue par ses fluidifications ? Quels sont les négociations qui ont été faussées par ces pratiques et qui doivent, de facto, être remise en chantier ? Voilà quelques unes de celles que nous posons dans notre bouquin à propos d’un scandale dont l’anniversaire doit nous rappeler que le syndicalisme ne doit pas être abandonné aux petits arrangements et aux accords incompréhensibles.
Roger Lenglet