Réponse à l’édito de Jacques Julliard
19 mai 2008 à 23h06"Il n’est pire sot que celui qui ne veut pas entendre…" Ce dicton a pris un sens extravagant à mes yeux depuis le 17 mai 2008, jour de la sortie de L’argent noir des syndicats [1]…
J’ai mené cette enquête avec deux syndicalistes très actifs, Jean-Luc Touly et Christophe Mongermont, récompensés en 2006 par l’association Anticor pour leur lutte contre la corruption et leur opiniâtreté à défendre les salariés (voir la note concernant les auteurs). Inquiets de voir les grandes organisations signer de plus en plus facilement des accords vidant le droit du travail et les acquis sociaux, nous avons voulu en savoir plus. En plongeant notre nez dans les grandes entreprises, nous avons pu détailler la manière dont elles caressent des acteurs du monde syndical pour les endormir.
Notre livre dresse un état des lieux et lance une alerte, mais c’est d’abord un vade mecum pour mieux savoir se défendre face aux employeurs et obliger les syndicats à se bouger les fesses. De nombreux syndicalistes de tous bords nous soutiennent depuis le début de cette enquête, furieux contre la mollesse chronique de leur hiérarchie et les accords scandaleux passés dans leur dos au cours des dernières décennies. Certains qui ont témoigné dans le livre le paient d’ailleurs aujourd’hui très cher en se faisant virer de leur organisation.
Au lieu de provoquer un réveil du monde syndical et des syndiqués, les faiseurs d’opinion qui commentent le livre feignent souvent l’indignation en faisant croire que c’est une charge contre le syndicalisme. Nous qui défendons à chaque page les syndicalistes qui restent intègres et relatons leurs luttes contre les corruptions ! Certains journalistes le font même passer pour une attaque contre les travailleurs, pour un mauvais coup de la droite ou du gouvernement.
Dans son édito du Nouvel Obs, Jacques julliard donne le ton en nous présentant comme des alter ego de Jacques Marseille, l’économiste de droite qui bouffe du syndicat à longueur d’année et s’acharne contre la protection sociale. Le même laisse entendre que nous sommes un commando de Sud Solidaire. Jacques Julliard ne se demande pas pourquoi le Nouvel Obs juge bon de reproduire, dans le même numéro, des extraits de notre enquête sur quatre pages et s’en inspire sur trente pages !
Je reviendrai un autre jour sur les raisons de cette curieuse attitude des uns et des autres, en détail. Elles valent le détour.
Qu’ont obtenu les entreprises en échange du soutien financier qu’elles apportent aux syndicats depuis des années ? Alors que tout le monde semble répète comme un seul homme que les syndicats ont dû compenser la perte des cotisations auprès de syndiqués, ne faut-il pas oser dire enfin que ce sont les financements qui les ont détourné des salariés ? Est-il possible de parler du financement des syndicats et des conditions de leur indépendance sans être accusé de servir la droite ? Examiner la réalité en face et déplorer les paralysies des organsiations nous vaut d’être taxé d’anti-syndicalisme par ceux qui restent éloignés des salariés, alors nous sommes sur le terrain pour les défendre. La simple et terrible vérité est que les employeurs, bien au-delà des lubrifications de l’UIMM, ont largement transformé la scène syndicale en simulacre de rapport de forces .
J’ouvre ce blog parce que je crois qu’il possible de lutter contre les stratégies corruptrices des grands groupes privés et de leurs lobbies. Parce que je refuse de voir enterrer le syndicalisme de lutte et qu’il soit remplacé par des accords que plus personne ne cherche vraiment à comprendre et qui ressemble de plus en plus à de l’absraction lyrique. Des accords que trop de médias présentent comme des bulletins météorologiques de la vie sociale annonçant la fatalité du temps.
Avec Jean-Luc et Christophe, nous pensons que la passivité de nos syndicats a un rôle déterminant dans le fait que le taux de syndiqués en France est devenu le plus bas des pays développés. Nous sommes frappés par le fait que ce taux ait été divisé par cinq depuis les années 1970 alors que, dans le même temps, le nombre des permanents syndicaux a été multiplié par le même nombre. L’argent des syndicats ne vient plus des syndiqués (on ne va même plus chercher leurs cotisations, le plus souvent). Les salariés sont devenus les seuls gêneurs pour ceux qui veulent danser en rond !
Ce blog offrira aussi l’occasion de présenter les réactions autour de cette enquête et de ce combat.
je vous invite à m’apporter vos réflexions, témoignages et documents.
Roger Lenglet
Les auteurs du livre
Roger Lenglet est philosophe et journaliste d’investigation. Auteur d’une trentaine d’ouvrages, il a publié notamment Profession corrupteur (éd. Gawsewitch, 2007) et L’eau des multinationales- Les vérités inavouables (avec Jean-Luc Touly, Fayard 2006). Membre d’Anticor (association de lutte contre la corruption).
Les deux autres co-auteurs sont Jean-Luc Touly (salarié de la CGE depuis 1976, ex élu CGT, juge prud’homal, président de l’Association pour le contrat mondial de l’eau France, membre d’Anticor et du conseil scientifique d’Attac), et Christophe Mongermont (secrétaire général des syndicats Force ouvrière du groupe Veolia secteur eau, salarié de la CGE pendant 20 ans, lauréat du prix d’éthique d’Anticor 2006, à l’origine nombreuses jurisprudences sociales, spécialiste du droit du travail).
[1] Fayard)