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Bakchich : informations, enquêtes et mauvais esprit
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Prétexte économique

30 janvier 2010 à 00h47
Rappel : simple outil du journalisme ou spécialité de quelques journalistes ? Le débat qui entoure la définition du journalisme d’investigation divise la profession. Important par son histoire, ses méthodes, et son impact sur la société, il reste peu pratiqué au sein des rédactions. Décryptage des aspects qui font de l’investigation un genre journalistique à part. Et une espèce en voie de disparition.

Régulièrement pointées du doigt par les patrons de presse pour justifier la baisse d’intérêt de la profession pour le genre, les difficultés économiques rencontrées à l’heure actuelle dans les rédactions ne sont pourtant pas celles qui inquiètent le plus les journalistes. S’ils sont 35,5 % à considérer comme indispensables les moyens mis à disposition par les médias pour exercer l’investigation (ressources financières, et aucune contrainte de temps), ils sont 40,9 % à réclamer la protection juridique et hiérarchique du journaliste et de ses sources (voir Figure 6). Pour ceux qui pratiquent l’investigation, l’argument financier dérange. Certes, les plans de licenciement amorcés pour effectuer des économies déciment les troupes censées creuser les sujets. De l’avis des spécialistes, l’enquête coûte toutefois beaucoup plus en temps qu’en argent. « Toutes les rédactions n’ont pas les moyens d’envoyer des journalistes pendant trois semaines pour creuser un sujet où ils ne sont même pas certains d’obtenir quelque chose », confirme Vincent Nouzille, journaliste indépendant et ex-collaborateur de Bakchich [1]. « Mais les moyens financiers sont un mauvais prétexte des journaux français pour ne pas enquêter et des journalistes pour rester assis sur leur chaise sans chercher. C’est le conformisme intellectuel ». Le prétexte semble même s’être répandu tel une traînée de poudre dans les bureaux des entreprises de presse. Fabrice Lhomme raconte : « Il m’est arrivé d’avoir un différent avec la direction au sujet d’un déplacement. Elle rechignait à nous payer des billets d’avion et invoquait l’argument financier, mais je savais que c’était un prétexte, une façon de nous faire comprendre que ce n’était pas la priorité du journal et qu’il fallait arrêter avec ces affaires qui apportaient plus d’ennuis qu’autre chose » [2].

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Les pressions émanant de l’état et les menaces de procès de la part des entreprises sont un risque avec lequel de moins en moins de rédactions ont la volonté de se confronter, beaucoup d’entre elles préférant ne pas s’aventurer trop longtemps en dehors des sentiers battus proposés par l’actualité et son agenda. « Les directions se sont recentrées sur un journalisme de certification et de validation. Elles sont moins volontaires pour prendre des risques », déplore Gérard Davet, journaliste au quotidien Le Monde. « Je suis le dernier à faire ce type de journalisme dans cette rédaction. Je n’ai donc pas le droit à l’erreur » [3]. Pour Fabrice Lhomme, la réticence des rédactions à exercer l’investigation est liée aux conséquences du genre : « Que les journaux n’aient plus d’argent, c’est incontestable. Malheureusement, je crains que l’explication de la disparition de l’investigation soit beaucoup plus dramatique. De manière générale, à la tête des journaux, on n’a plus envie de faire de l’investigation parce qu’elle apporte beaucoup d’ennuis. On se brouille avec les politiques, avec les industries. Le travail d’investigation, c’est un oiseau de mauvais augure, c’est celui qui annonce les mauvaises nouvelles. On fait plaisir à peu de gens en faisant de l’investigation » [4].

Épisode 5/8

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Le sondage :

L’outil permettant l’enquête d’opinion est un questionnaire qualitatif réalisé à l’aide du site en ligne Sharing-data, spécialisé dans la création de questionnaires ou d’enquêtes sur internet.

Il a été envoyé à 1100 adresses électroniques de journalistes recrutés dans des fichiers de contacts de journalistes en exercice, du Club de la Presse de Lyon, du fichier Rhône du Syndicat National des Journalistes (SNJ), et de divers annuaires consultables sur internet.

Pour obtenir un taux de réponses de 10% (soit 110 répondants), il a été nécessaire d’effectuer cinq relances. Les données ont été analysées par Nicolas Pinsault, Unité Mixte de Recherche CNRS Université Joseph Fourier UMR 5525, Grenoble.

Le genre et le statut des journalistes ayant répondu ont été comparés avec les données datant du 2 janvier 2008, présentées par la Commission de la Carte d’Identité des Journalistes Professionnels (CCIJP).

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Lire ou relire sur Bakchich.info l’épisode précédent du blog de Benoît Pavan :

Rappel : simple outil du journalisme ou spécialité de quelques journalistes ? Le débat qui entoure la définition du journalisme d’investigation divise la profession. Important par son histoire, ses méthodes, et son impact sur la société, il reste peu (…)

Voir aussi le blog professionnel de Benoit Pavan : http://benoitpavan.wordpress.com/

Pressions des annonceurs Le carnet d’adresses des journalistes d’investigation

Notes

[1] Propos recueillis le 21 avril 2008 à Paris.

[2] Propos recueillis le 22 avril 2008 à Paris.

[3] Propos recueillis le 9 avril 2008 à Paris, dans les locaux du Monde.

[4] Propos recueillis le 22 avril 2008 à Paris.