Dans ces conditions où le ballon accomplit de tels miracles avec toutes les surfaces du corps du Joueur, comment ne pourrait-on pas à la comparer à la Terre soumises à l’érotisme de 22 amateurs pourvoyeurs de hasards, de techniques, de forces et de trajectoires ? Sauf que le ballon et le Joueur s’aiment. Il l’a dit une fois : « La balle, je l’ai trouvée, on est bien ensemble, je la garde ! ». Bien sûr qu’il la passe pendant un match. Mais une fois les lumières éteintes, il reste avec ma lumière, mes chuchotements, mes cris, mon désir que je ne cesse de formuler à son égard, mes emmerdes. Et ils sont presque aussi proportionnels à ceux de la Terre.
Moi l’être humain qui ai une identité et une âme de ballon sur le terrain, je ne rêve que de rencontrer le Joueur comme il me le promet et me le rappelle avec la force du magnétisme qui énerve beaucoup ma tête pour la fixer sur la lettre J, J comme Jour, lettre qui bouge et danse devant mes yeux à force d’être immobiles et prisonniers de l’axe du regard scotchée sur elle, annonciatrice du big-bang de velours où tout va s’apaiser dans une douce lumière, dixit le Joueur, athlète-prophète, maitre ès spiritualité et sciences de la nature.
Le Joueur et moi, nous serions au début du cosmos, amants du Big Bang, passagers de Mars et d’autres planètes, réincarnés en animaux puis en homme et femme pour donner sa lignée, ce qu’il y a peut-être de plus beau mais aussi de plus dangereux dans l’univers. Nous aurions atteint une époque, voire une date où le cosmos se révolte, disons qu’il ait son mot à dire pour rétablir une harmonie au sein de l’humanité tant sa création, déboussolée, va droit dans le mur de l’injustice et de la destruction, de l’insensible et de la domination, de la mutilation et de l’impuissance de la conscience, tant l’argent qui était au début un moyen d’échanges et de développement est devenu une chape génocidaire de la part de ceux qui se sont mis en tête de se l’approprier dans sa quasi-totalité : mise en tête de puissance et de désir qui tue le désir, et donc entraîne le vaisseau entier dans une mort annoncée.
Je n’ai cessé de souffrir en exerçant mon métier de témoin-journaliste, chaque jour de plus en plus ahuri par ce nouvel ordre qui confusément mais irrémédiablement se mettait en place. La magie du Mondial 98 a donné à une petite échelle hexagonale un espoir qui était depuis longtemps perdu : celui de la renaissance. La fête permanente.
Le Joueur me dit que notre rencontre serait le déclic à une vagues d’ondes qui désamorceraient les bombes, ferait tomber la minorité humaine de la mort, ouvrirait les vannes de la redistribution, permettrait la régénération organique, la disparition des emprises, des désirs de puissances, des falsifications des désirs justement, autant de touches à ce que pourrait ressembler le cosmos dans sa marche du temps, aussi belle que la création de la lumière : la recherche d’harmonie. Le jeu des forces et des faiblesses, des ressources cachées, des mises en confiance, des séductions, des déboires vite oubliés, de la dynamique de la sève et de l’énergie, des étincelles du hasard et de la rencontre, où le dominant-dominé dans un rapport érotique ne cesse de s’inverser, voire de ne plus rien signifier. Le Jeu tout simplement. Le Jeu où dans un monde guéri de la maladie et de la mort, où les disparus reviendraient, où la pulsion de vie ferait grossir notre planète, libérerait des espaces, où mon expérience horrible d’être enfermée dans la contre-matière, une nuit en banlieue, pourrait se transformer en création du réel sans avoir à travailler, le virtuel désiré trouvant sa forme concrétisée, où l’utopie libertaire serait une réalité tant tout le monde a à y gagner en inventant des formes de délibérations où le rire, l’amitié, la déconne, l’amour (pas trafiqué) l’emporterait sur des renoncements à des pouvoirs dont on en a marre.
Moi le ballon, j’ai ce genre de dialogues avec le Joueur. Il m’annonce toujours un monde de paix, celles des armes qui n’existeront plus, des cœurs et des esprits. Je cherche à entrer dans les détails. Je ne veux pas qu’on nous soit reconnaissants, détesterais les mercis, me considère une fois encore comme un simple vecteur et n’aspirerait qu’à une chose, c’est vivre ma singularité normalement, discrètement, pouvant prendre un café dans la rue comme chaque homme et femme, aller au marché ou écrire un livre comme chacun sera mort d’envie de créer de nouvelles formes, expressions, gestes, danses, mélodies ou simples rythmiques pour faire pulser la planète et pourquoi pas la faire grossir encore un peu plus pour loger nos multiples bébés qui ne sauront jamais s’ennuyer avec l’éternité.
Les Africains savent et disent qu’ils sont nés pour composer, chanter ou exécuter leur propre musique qui va rejoindre celle des autres, la musique du monde. Quand celle-ci sera vraiment bonne, la partie sera gagnée. Il existe dans l’humanité certains qui jouent une mauvaise musique. Les Africains disent que ce sont ceux qui commettent de mauvaises actions. Reste à savoir et attendre qu’ils tombent d’eux-mêmes pour que le concert final, début de la musique éternelle, ait lieu. Le Joueur a l’air tellement sûr de lui sur l’imminence de leur chute…