C’est l’histoire d’une relation paradoxale, truffée de petits secrets et de grandes révélations, faite de mépris et de complicité. L’histoire d’une amitié à la fois fusionnelle et houleuse, orchestrée par un arrangement tacite qui, depuis de nombreuses années, fait partie du quotidien des affaires dites « sensibles ». Cette histoire, c’est celle des magistrats, policiers, avocats et journalistes qui, chaque jour, se « fréquentent » en marge des enquêtes et des procès.
Leurs méthodes de travail et leurs objectifs auraient dû faire d’eux des protagonistes en perpétuel conflit. « Aussi enraciné soit-il, ce conflit ne résiste pas à l’interaction immédiate et concrète de ces groupes qui en arrivent à une connivence, une collusion qui font de l’un l’auxiliaire de l’autre », affirme Georges-André Parent, journaliste québécois auteur d’une étude sur la relation police-médias [1]. « Le rapport de force et la tension qui devraient régler les relations entre ces quatre groupes ne sont plus là. L’apathie complice des journalistes l’emporte sur la méfiance, la réticence et l’hostilité ».
Par la force des choses, journalistes, avocats, magistrats et policiers ont donc besoin les uns des autres. Ils alimentent au quotidien un rapport ambiguë jusque dans la sphère privée. Objectif : se faire bien voir de son interlocuteur. « Tout cela s’entretient de manière constante par des déjeuners, des rendez-vous dans les cafés. Il y a une relation de copinerie qui se crée, car nous parlons des mêmes choses et fréquentons les mêmes personnes. Parmi nos sources, il y a celles qui ne nous aiment pas. Il faut se débrouiller pour que celles qui nous aiment soient les mieux informées », explique Gérard Davet, journaliste au service « Enquêtes » du quotidien Le Monde [2]. « Je tutoie très peu de gens et ne suis parti en vacances avec personne », nuance Laurent Valdiguié, rédacteur en chef du service « Investigation » du Journal du dimanche. « Mais il y a dans ce milieu des sources que je côtoie depuis dix ans et que je connais mieux que certaines personnes de ma famille » [3].
Cependant, aussi inévitable soit-elle, cette alchimie artificielle donne lieu à une partie de cache-cache entre ses protagonistes sur le parvis des tribunaux et des commissariats. La faute à « un système un peu hypocrite géré par une loi qui théoriquement interdit tout contact entre journalistes, juges, et policiers », précise Jean-Marie Pontaut, chef du service « Investigation » de l’hebdomadaire L’Express [4]. « Le journaliste possède néanmoins des intermédiaires à tous les niveaux. Les avocats vous parlent et vos réseaux personnels vous parlent. En particulier dans la police ».
Lire ou relire sur Bakchich.info l’épisode précédent du blog de Benoit Pavan :
Voir aussi le blog professionnel de Benoit Pavan : http://benoitpavan.wordpress.com/
[1] Parent, Georges-André, Presse et corps policiers : complicité et conflit, Criminologie, Volume 20, numéro 1, 1987, p. 99–120.
[2] Propos recueillis le 9 avril 2008 à Paris, dans les locaux du Monde.
[3] Propos recueillis le 23 avril 2008 à Paris, dans les locaux de Paris Match.
[4] Propos recueillis le 29 avril 2008 à Paris, dans les locaux de L’Express.