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Petite leçon de propagande (1) : la photo

18 décembre 2008 à 23h55
"Quel salopard !" Le flegmatique Jérôme s’emportait, devant cette photo du "Courrier picard". Moi pas, ce cliché ne m’impressionnait pas. J’étais bien le seul…

On collait des affiches, en ville, avec Jérôme, sur les cabines téléphoniques, pour la prochaine "Teuf à Babeuf". Quand à côté de La Poste, on croise Denis (c’est le président de notre asso, toujours à vélo) :

« Vous avez vu le Courrier picard ? il nous demande.

- Non. »

Il farfouille dans son cageot, soulève ses salades (c’était un samedi, jour de marché) et nous sort le quotidien du coin : « Le désespoir des Cosserat » barrait la Une.

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C’est la plus vieille, la dernière en fait, fabrique de velours à Amiens. Avec Fakir, on avait fait un reportage sur eux. On les avait même invités à une fête. On avait rencontré leur patron, aussi.

« Tourne la page, m’indique Denis.

Regarde ça : pendant que les ouvriers pleurent, leur directeur lit tranquillement à trente mètres de là. »

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Jérôme lâche un juron : « Quel salopard ! » Faut vous préciser que Jérôme, c’est pas un furibard, pas un vindicatif du tout.

Au contraire.

Plutôt un « taiseux » comme en produit notre région. Un rien discret, réservé. Et là, il s’énervait un peu, timidement mais quand même : « C’est de la provocation. Il a osé ! Lire là ! »

Bof.

Cette photo, moi, ne m’impressionnait pas.

En général, les boss qui ferment les usines ne lisent pas au pied d’un saule, non. Ils dirigent un « meeting » de « managers » dans des « buildings » de verre à l’autre bout du monde. Ou ils voguent sur leur yacht. Ou ils planent dans un jet privé à 6000 mètres de haut. Ils ignorent même, je devine, qu’à l’instant « t », on liquide l’ « unité d’Amiens ». C’est simplement un papier, parmi d’autres, qu’ils ont signé six mois auparavant.

Du coup, je modérais mon camarade :

« C’est juste parce que, là, ils sont rapprochés. D’habitude, ils sont éloignés…

- Mais quand même ! Mais quand même ! C’est pas respecter les ouvriers… »

Cette indignation me surprenait.

Le « Christian Criegee » en question, le petit chefaillon allemand, il ne valait sans doute pas, en froide crapulerie, les dirigeants de Goodyear, ou le fils-à-papa Arnaud Lagardère. Et pourtant, jamais Jérôme n’hurlait pareil contre les dirigeants de Goodyear, ou contre le fils-à-papa Arnaud Lagardère…

J’enregistrais son irritation.

En l’estimant un peu déplacée, un peu gaspillée.

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"Lui casser la gueule"

Mais la semaine dernière, au Café des Sports de l’Etoile, dans le Val-de-Nièvre, j’ai rencontré Marie-Jeanne, une employée de chez Cosserat. Dans cet entretien pour Là-bas si j’y suis, à un moment elle m’a confié ça :

« Y a eu une photo choc, je ne sais pas si vous l’avez vue dans le Courrier picard. Au moment où tous les salariés partaient, y a eu une photo prise de l’employeur en train de lire sous son arbre avec un bouquin. Tout le monde a été scandalisé. Même les personnes qui n’ont pas travaillé chez Cosserat, elles trouvaient ça scandaleux. Et ça, c’était super, ça nous a fait un peu de bien. Parce qu’il faut savoir qu’on avait l’impression d’être seuls, un licenciement aujourd’hui c’est tellement devenu banal. Parce que ça ferme de partout… Et de voir cette photo, j’étais très contente c’est de voir cette réaction au niveau des gens à l’extérieur en disant : ‘Mais fallait lui… à la limite lui casser la gueule, quoi !’ Excusez-moi l’expression. »

C’avait valeur de test, alors.

Y avait eu, dans notre coin, des dizaines de Jérôme.

Des gens, guère militants, pas vraiment engagés, mais que ce cliché avait révolté.

Le Courrier picard avait délivré une petite leçon de propagande : leur seule photo s’était révélée plus efficace, peut-être, pour la désignation de l’adversaire, pour « la conscience de classe » on dira même, que tous mes articles réunis du Monde diplo – voire que mes bouquins. Faut qu’on tienne compte de ce résultat.

Pour soulever les masses…

Et je vais vous expliquer comment, à mon avis.

(Mais dans une prochaine note, parce qu’il paraît que mes papiers sont trop longs et que je ne suis pas adapté au « format Internet ». Au passage, au fait, je ne promets pas de fournir des post avec la régularité métronomique de Notre Maître A Tous Le Camarade Fontenelle. Ca sera plutôt du « quand j’ai le temps », et quand j’ai un truc à raconter, parce que je ne me lève pas gonflé d’inspiration tous les matins.)

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« La guerre des classes existe, c’est un fait, et c’est la mienne, celle des riches, qui mène cette guerre et nous sommes en train de la remporter. »

Warren Buffett, première fortune mondiale.

Suivant le conseil de ce multimilliardaire, il faut rendre son unité au monde. Rattacher riches et pauvres, vainqueurs et vaincus - comme des liens de causes à effets.

Petite leçon de propagande (2) : deux mondes disjoints Le roman de la rose – et de ses épines

11 Messages de forum

  • Petite leçon de propagande (1) : la photo

    18 décembre 2008 22:26, par nardo
    Quoi François, tu rêves d’employer les méthodes du courrier picard pour propagander les masses ? je me perds en conjectures, là…
  • Comment qui disait l’autre : L’idée vraie n’a pas de force intrinsèque, ou qque chose comme ça (attention, hein je n’ai aucun lien de parenté avec le NEM). Et croire que dévoiler les mécanismes suffit à les enrailler est sans doute la plus mauvaise croyance de nos sociologues préférés. Amitiés PC
  • Petite leçon de propagande (1) : la photo

    19 décembre 2008 17:35, par vince
    il suffit "de ne pas se coucher" il y a tant de choses à raconter,à dénoncer et à combattre.les consciences doivent se reveiller.par vince
  • Juste une question

    19 décembre 2008 21:47, par Fitzcarraldo
    Est-il certain que les photos juxtaposées ont été prises au même moment, ou du moins à des moments proches l’un de l’autre ? Dans le cas contraire, même si ce n’est pas ce qu’on est enclin à croire de prime abord, la manipulation ne serait pas celle que l’on croit…
  • Un peu déçu par cet article : je m’attendais à une critique des procédés journalistiques cousus de fil blanc, comme la juxtaposition de photos pour les faire apparaître comme simultanées, le patron dans son jardin pendant que les ouvriers grognent.

    Le journal a créé sa une et on parle de lui comme un révélateur alors qu’il fait justement le jeu de la propagande.

    C’est là qu’il faudrait "enquêter" pour vérifier si le non-dit de ces photos côte-à-côte est bien celui qu’on pense…

    • Petite leçon de propagande (1) : la photo 20 décembre 2008 04:00, par cultive ton jardin

      Ca change vraiment quelque chose, la simultanéité temporelle des deux photos ? Si le patron lit sous son saule la veille ou le lendemain, quinze jours avant ou même l’année précédente ?

      Ce sont deux modes de vie éloignés dans l’espace (et pourquoi pas dans le temps) qui sont mis en contraste, non ?

      Ce genre d’arguties ne tient pas, en effet, face au "choc des photos". Pourquoi ce choc émeut-il les ouvrier(e)s ? Parce qu’ils ont "perdu de vue" ce contraste, contrairement à ceux qui le réactivent fréquemment par des lectures et des promenades sur le net, contrairement à ceux qui, ayant du temps pour s’informer, ont gardé ça dans leur imaginaire.

      Nous sommes mythridatisés, eux pas.

  • "Comment qui disait l’autre : L’idée vraie n’a pas de force intrinsèque, ou qque chose comme ça (attention, hein je n’ai aucun lien de parenté avec le NEM). Et croire que dévoiler les mécanismes suffit à les enrailler est sans doute la plus mauvaise croyance de nos sociologues préférés. Amitiés PC "

    Alors quoi, c’est ca votre solution ? Mentir aux dominés pour les révolter ? On va utiliser les méthodes de nos ennemis, et faire de la propagande à notre tour ?

    Moi je ne suis pas d’accord avec ca. La vérité suffit, encore faut il la mettre en lumière et savoir parler aux gens.

    Il n’y a pas de "les sociologues" en l’occurence, ce genre de généralisations est imbécile. Chaque sociologue a sa vision des choses. Oui dévoiler les mécanismes est un premier pas (nécessaire mais pas suffisant).

    Mais ensuite encore faut-il faire comprendre les causes et conséquences. Savoir utiliser les mots adéquats selon son public etc..

    Mais revenir à la periode du stalinisme, se mettre à citer Beria ? Oo l’on pensait que tout était bon pour "révolter" les "masses" alors qu’en fait le but était de les garder sous controle en les gavant de mensonges ? Non merci bien !

    On a donc pas tiré les lecons de l’histoire ??

    Les "masses" c’est nous. On ne peut pas mentir, comme le font ces putains de patron, on ne peut pas déformer la réalité, comme le font ces putains de médias dominants. On doit etre exemplaire, parce que faire comme l’ennemi ne finit que par vous transformer en ce que vous haissez.

    En l’occurence il me semble que ce que fait cet article du courrier picard, ce n’est que rapprocher deux faits qui sont effectivement liés, et les mettre en lumière. Ce n’est pas de la propagande, c’est une vérité. Comme quoi, dévoiler, ca marche, il n’est nul besoin d’en rajouter, de travestir, de mentir, pour etre "efficace".

    Ne faisons pas comme eux, restons intègres et respectons ceux que nous voulons toucher, respectons leur droit à la vérité et surtout, surtout ne les manipulons pas. Face à la vérité, ils peuvent prendre leurs propres décisions.

    • Petite leçon de propagande (1) : la photo 21 décembre 2008 11:49, par Paul Coutange

      Camarade,

      je n’ai aucune « solution ». Et à aucun moment je ne dis qu’il faut faire fi de la vérité. Je dis que cela ne suffit pas. J’en veux pour preuve les wagons de cyniques éclairés qui brillent en société tout en se satisfaisant de comment va le monde. Je ne pense pas qu’il faut revenir à la période du stalinisme et je n’ai pas connu personnellement Beria. Je vous rassure, je ne suis pas pour une épuration des médias ou de la vie politique(quoique…), je pense juste qu’une démocratie devrait permettre à tout à chacun de savoir et pouvoir exprimer son opinion, une opinion qui devrait produire du droit. Cette opinion pouvant être contraire à la mienne (c’est peut-être ça que vous négligez, vous n’êtes pas plus que je ne suis « les masses »). Pour prendre une image de propagande une démocratie du « joyeux bordel ».

      Je n’ai aucune envie d’être exemplaire parce que je ne peux pas l’être ; Je n’ai aucune envie d’être intègre parce que je ne le suis pas et c’est pour cela que je vis en société. Toute la partie de votre discours sur la pureté d’une ligne de conduite morale en politique m’inquiète plus que ma prétendue dérive stalienne.

      Salutations militantes PC

    • Petite leçon de propagande (1) : la photo 3 janvier 2009 11:06, par smolski

      En photo, la dissimulation, c’est à dire le non-cadré est à la base du discours tenu. C’est à dire, que ce qui est ôté du cadre d’un cliché donne le signifiant à ce qui y est montré. C’est un langage avec une grammaire…

      Les mots choisis de l’article ne sont-ils pas eux-mêmes des travestis devant l’ensemble des réalités ?

      Pourquoi se priver du langage photo tout aussi explicite et orienté ?

      Peu importe la juxtaposition technique des clichés, pourvu qu’en définitive la lecture en soit claire, hélas, on ne peut plus claire !

  • Leçon de propagande

    21 décembre 2008 13:58, par Bakounine

    Bonjour François,

    Ton texte est très intéressant. Et il est encore plus intéressant que ce soit quelqu’un comme toi qui en soit l’auteur. Tu es en effet le produit d’une éducation supérieure avec une famille d’un certain niveau social et d’un certain niveau culturel. Et cela te prête sans doute moins que d’autres à comprendre comment s’adresser efficacement à ceux qui dérouillent le plus dans la guerre sociale que nous livrent les libéraux.

    Globalement la gauche est nulle. Aussi bien le PS (pour ce qui reste de gauche en son sein) que le PC, la LCR ou autre parti que l’on voudra. Nulle dans les idées et nulle dans l’expression. Et il très est bien que tu t’attaches à écrire au sujet de l’expression après avoir écrit au sujet des idées. Tu es décidément un garçon à la tête bien faite que j’ai toujours grand plaisir à lire.

    Bien cordialement,

    Bakounine

    Voir en ligne : Les maraudes de Bakounine

  • Petite leçon de propagande (1) : la photo

    21 décembre 2008 17:47, par bonne-voglie

    Bonjour,

    tout d’abord merci pour vos "papiers", surtout ne changez rien, concernant la longueur, le "format internet"… si c’est clair, aéré, les phrases pas trop longues.. Pour ma part, je préfére recevoir une lettre avec des nouvelles, qu’une carte postale avec "ici il fait beau"…. Cela me permet de "respirer" encore que de lire vos analyses, vos engagements, ne changez rien SVP, bon courage et sourires !