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Petite leçon de propagande (2) : deux mondes disjoints

19 décembre 2008 à 18h46
Ils vivaient côte à côte, auparavant, riches et pauvres. Les uns dans des châteaux, les autres dans des taudis. Et cette proximité des contraires suscitait, presque sans discours, la révolte…

(Je vous rappelle l’épisode précédent : on est au Café des Sports de l’Etoile, dans le Val-de-Nièvre, et Marie-Jeanne – qui vient d’être licenciée de chez Cosserat – nous montre cette photo du Courrier picard, avec le directeur qui lit tranquillement sous un arbre tandis que les ouvriers brûlent des pneus, et pleurent leur usine délocalisée. Ce cliché avait révolté Jérôme, et plein d’autres gens, qui recommandaient de « casser la gueule au patron ». C’est pas qu’on soit opposé à cette solution, mais la violence de la réaction nous surprenait…)

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Faut dire un mot sur le Val-de-Nièvre, d’abord, ce coin à 20 kilomètres d’Amiens. C’était l’empire industriel de la famille Saint, avec Flixecourt comme capitale. Qui inspira Hector Malot, en 1893, pour En Famille. Dont voici la préface :

« Je ne voudrais pas refaire le tableau du patron qui rentre dans son château en l’opposant à celui de l’ouvrier qui rentre dans son pauvre garni, il se trouve dans ce roman. Car ce riche château dominant le village où grouille une misérable population ouvrière n’a point été inventé de chic, pour des phrases. Il existe, comme il en existe bien d’autres, de même qu’existent des taudis dont un propriétaire ne voudrait pas pour ses bestiaux. Et c’est parce que les choses sont souvent ainsi que je les ai peintes telles que je les ai vues : - le château au milieu de son parc, avec ses fleurs, son ameublement luxueux, ses serres, ses écuries, ses équipages, sa valetaille ; - le village ouvrier avec sa misère et sa saleté, ses cabarets empoisonneurs et sa débauche. »

Et l’écrivain concluait : « Il faut n’avoir jamais passé quelques heures dans un village industriel pour accepter sans révolte la comparaison qui s’établit entre l’existence du patron et celle de l’ouvrier. »

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Cette « révolte » allait de soi, alors, tant les « pauvres » pouvaient observer les « riches ». Les manifestations, le premier mai, ou les jours de grève, s’achevaient devant le « Château de la Navette ». Et on brûla parfois une aile d’un manoir.

Cette « révolte », au siècle d’après, Patrick (pas du tout du tout communiste) l’éprouvait encore :

« Chés gens vivaient de peu. Ils faisaient leur jardin en sortant du boulot. C’était la misère, surtout que les habitants voyaient le pognon s’afficher : t’avais quand même quatre châteaux là-bas, le seigneur qui dominait. Puis le cimetière de Flixecourt, ça te rappelle l’empire Saint, cet énorme tombeau sur l’allée principale… Même là il fallait que la famille s’impose. A l’église, ah oui, Dieu est pour tout le monde et tout le merdier, mais y avait la place de la maison Saint, tout devant, encadré avec des grilles. Tu voyais la domination partout. »

Lui a trimé, ensuite, sur la Zone industrielle, et ça a tout changé : « Quand je bossais chez Valeo, je ne connaissais pas le patron, on ne savait même pas où il était. Chez Saint Frères, tu voyais. Bien. »

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Rapprocher ces deux mondes

Ces deux mondes sont aujourd’hui disjoints.

La « révolte » ne naît plus de cette évidence, visible, ostensible au quotidien. Riches et pauvres n’habitent plus le même lieu. Les uns se réservent des quartiers dans les grandes métropoles – Paris, Londres, Bruxelles –, disposent de villégiatures dans des zones protégées – la Côte d’Azur, les hauteurs de Marrakech, un chalet à Gstaad. Les autres sont relégués à la périphérie, dans les campagnes ou les banlieues, et s’ils aperçoivent l’opulence des nantis, ce n’est que subrepticement, par médias interposés, par l’image d’un yacht dans les eaux maltaises, par des sommes qui se chiffrent en milliards.

Une information noyée parmi mille autres. Que les vaincus ne rattachent que confusément à leur propres privations.

Tout notre effort de propagande doit tendre, alors, à rapprocher ces deux mondes. Comme sur la photo du Courrier picard.

A commencer par ici, dans le Val-de-Nièvre :

« Est-ce que vous savez à quelle figure importante aujourd’hui, on peut relier ce qui s’est passé ici, avec la liquidation de tout l’empire Saint-Frères ? A qui ça a profité ? »

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Autour de la table, y a d’anciennes ouvrières des filatures, de la velveterie, du tissage. Qui ont traversé cette histoire, d’un repreneur au suivant. Qui ont vécu ce dépouillement. Mais guère de réponse. Je sors une photo de Bernard Arnault, le propriétaire de LVMH.

« Qui c’est, celui-là ?

- On ne le connaît pas… »

On va leur apprendre à le connaître…

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« La guerre des classes existe, c’est un fait, et c’est la mienne, celle des riches, qui mène cette guerre et nous sommes en train de la remporter. »

Warren Buffett, première fortune mondiale.

Suivant le conseil de ce multimilliardaire, il faut rendre son unité au monde. Rattacher riches et pauvres, vainqueurs et vaincus - comme des liens de causes à effets.

Portfolio

Petite leçon de propagande (3) : Bernard Arnault et la Picardie Petite leçon de propagande (1) : la photo

1 Message

  • Bravo françois,

    Ton analyse est toujours aussi pertinente. Tu as mille fois raisons, il est impératif de mettre à nu cette classe qui nous domine. Le capitalisme financier a cassé le schéma traditionnel du capitalisme paternaliste. A nous les militants, de diriger les regards des dominés vers les dominants et de reconstruire une lutte des classes.