Comparutions immédiates du 6 décembre 2008. Brancardier depuis quinze ans dans un hôpital parisien, Fabien, 34 ans, est poursuivi devant la 23e chambre de Paris pour agression sexuelle sur un patient.
La victime, un jeune homme brun d’environ 25 ans, raconte sa version des faits au Président du Tribunal : « Tout commence par des maux très importants au niveau de la vessie. Les anti-douleurs n’arrangent rien et je décide, le 3 décembre, de consulter à l’hôpital Saint-Louis. À l’accueil, personne. J’attends un peu et croise enfin un homme, le prévenu ici présent, en blouse blanche. J’ai pensé qu’il était médecin. Je lui montre mon bas-ventre, je lui décris mes douleurs, il me conseille d’aller immédiatement au service neurologie et me dit : “L’attente est longue là-bas. Venez avec moi, je vais vous donner un numéro et vous patienterez tranquillement en salle d’attente”. Je le suis, il me balade d’une pièce à l’autre, on finit par rentrer dans un petit bureau et là, il referme la porte à clef derrière nous. J’ai à peine le temps de réagir qu’il baisse mon jogging d’un coup sec et me masturbe. Passé l’effet de surprise, je lui demande sèchement de retirer sa main. Je relève mon pantalon, il me tend un numéro de guichet – et nous ressortons. En reprenant mes esprits, je me dis que ce qui vient de se passer n’est pas du tout normal. Je retourne à l’accueil où je croise enfin un infirmier – un vrai, à qui je raconte tout. C’est lui qui m’a conseillé de porter plainte. »
Placé en garde-à-vue, Fabien reconnaît les faits. Jamais condamné par la justice, ni même signalisé par la police, Fabien assure : « C’est la première fois que cela m’arrive ». La lecture de la procédure fait pourtant part de « doutes au sein du service ». Un collègue aurait notamment rapporté à la police : « Nous avions des soupçons concernant ses pratiques sur les patients, mais nous pensions qu’il s’agissait de simples rumeurs ». S’adressant au prévenu, le Président s’inquiète : « Vous êtes brancardier, vous côtoyez tous les jours des personnes malades, fragilisées et souvent dévêtues. Vous pouvez facilement profiter d’elles, notamment suite à une intervention, quand elles sont encore endormies ». Rougeaud, Fabien reste muet.
Décrit par ses collègues « comme l’un des plus bosseurs du service », l’expertise psychologique du prévenu dépeint pourtant une personne « triste, en dépression chronique, mais sans troubles psychiques ». « Il pourrait être utile pour vous de suivre un traitement anti-dépressif, fait remarquer le Président. D’autant qu’après cet épisode, il va falloir gérer une grande culpabilité. Tous vos collègues sont dorénavant au courant de vos actes et de votre comparution devant cette cour. Le retour au service risque d’être difficile », prévient-il.
La partie civile souligne la gravité de la situation : « Mon client va aux urgences, il voit quelqu’un en blouse blanche, il le prend pour un médecin, il le suit – et le voilà agressé sexuellement ! C’est très grave. D’autant que mon client ne l’a pas dit, mais il souffrait en fait de colites néphrétiques, des douleurs très intenses. C’est dire s’il était particulièrement vulnérable au moment des faits ».
La Procureure se lève pour creuser le même sillon – un milieu hospitalier normalement protégé, où des personnes en détresse viennent chercher du secours : « Nous avons cherché à savoir si Monsieur X s’était déjà livré à de tels faits – certes, nous n’avons rien trouvé, mais les rumeurs étaient là ». À croire qu’il n’y a « pas de fumée sans feu » pour la Procureure, qui requiert un an d’emprisonnement avec mise à l’épreuve.
« Ah ! ces infractions graveleuses !, commence l’avocat de la défense. Vous remarquerez que la salle d’audience devient toujours très silencieuse dans ces moments-là. Dans ce cocon intime propre aux circonstances, permettez-moi de revenir sur quelques faits ». Et l’avocat de vouloir « tout d’abord dédramatiser les faits » : « Le délit a été qualifié d’agression sexuelle… Mais est-ce une agression ou une tentative d’agression ? La victime est partie ! Le délit a donc été interrompu par la victime. Je vous demande donc de requalifier les faits en ce sens. » Une avocate jusque-là penchée sur ses propres dossiers lève les yeux au ciel et souffle à sa voisine : « Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre ».
L’avocat de la défense continue : « Les conséquences pour mon client sont déjà énormes : 47 heures de garde-à-vue, les auditions de police sur ses penchants sexuels, la perquisition, l’expertise psychologique… Tout le service est au courant de son homosexualité qui, vous l’avez entendu comme moi, est présentée par certains de ses collègues comme suspecte sur le plan de la moralité. Si l’homosexualité n’est clairement pas une maladie, mon client est bel et bien fragile psychologiquement. Il ne vit pas ses orientations sexuelles de façon épanouie, il est solitaire, il a des pulsions. Qu’il soit suivi pour tout cela, OK. Mais mon client est parfaitement inséré. Il n’a aucun casier. Je demande donc un ajournement de peine avec obligation de soins ».
Le verdict. Un an avec sursis et mise à l’épreuve de 2 ans ; 800 euros de dommages et intérêts et obligation de ne pas approcher la victime. Cette peine ne sera pas mentionnée sur son casier (« non-inscription au bulletin numéro deux »), mais l’inscription au Figes (le fichier national des délinquants sexuels) est demandée. « Sachez Monsieur, qu’il ne peut y avoir de prochaine fois, termine le Président. Les faits sont graves et la peine plancher serait alors de trois ans. Concernant votre futur au sein du service, c’est à l’administration hospitalière d’en décider. Mais je pense qu’il serait peut-être plus judicieux pour vous de demander à changer de service. »