Soyons franc, en ce début de la CAN (Coupe africaine des nations) et au lendemain de la qualification des Fenneks pour le Mondial, le ballon est résolument algérien. J’exagère un petit peu : je me sens citoyen du monde et tout le monde aura ses chances (un petit coup de pouce aux Ivoiriens ? Ca me tenterait…).
Je retournerais bien en Algérie. J’ai la nostalgie. Pourtant la sécurité militaire, les services en tous genres, des agents secrets que j’ai identifiés même parmi mes meilleurs amis ne m’ont pas ménagé. Je déteste ce régime cynique et corrompu. Mais les gens !
Le jour de la qualification, j’ai vu un peuple uni, une foule criant « One, two, three, viva Algérie ! », des villages comme on n’en voit jamais à la télé (seulement abonnée aux attentats et jamais à la vie quotidienne pourtant si belle), des femmes, des enfants, un pays entier saisi par la vague du bonheur et ce slogan qui a une nouvelle fois fait la preuve que les Algériens avaient le génie de la trouvaille, de l’humour, de la fête. J’étais en pleurs. Et me remontaient aussi toutes les souffrances de la guerre civile, de l’outrecuidance des dirigeants dans leurs vilenies, la résistance des Algériens face aux trois menaces que constituent l’appareil Etat, les islamistes et Al Quaïda, leur imagination, leur interminable proximité avec la mort, la misère, l’avenir en impasse et leur légèreté, leur musique intérieure enfantine qui ne les a jamais quittés, le sens du rire, l’éclat de vie comme des jaillissements de nourrissons. C’est ce merveilleux qui caractérise ce pays mais on l’a vu avec l’Egypte, il faut toujours qu’il y ait une injustice quelque part. Quand elle est réparée, quelle beauté !
Quand je pense à l’Algérie, quand je l’aime, je n’aime pas mon pays. Je ne suis pas fier de la France. La Marseillaise m’insupporte, c’est viscéral depuis l’enfance et les images d’archives de guerre dans les Aurès et des ministres de la IVe république, de Gaulle.
Moi aussi Français, je suis prêt à la siffler la Marseillaise ou à me boucher les oreilles ou à l’insulter car elle a servi à faire la guerre d’Algérie et jusqu’à aujourd’hui, aucune demande de pardon n’a été formulée à ce pays pour une colonisation faite de massacres au 19e et au 20e siècle. Je hais la naïveté des hussards de la république, la « gauche », ces instituteurs qui sont partis et ont laissé un pays où quasiment aucun enfant arabe n’avait eu accès à l’école jusqu’en 1962. Quel humanisme ! Et la SFIO, la gauche elle-aussi, parti de la guerre !
Aujourd’hui c’est à se demander si le congrès d’Epinay a bien eu lieu et que le Parti socialiste ne soit pas encore hanté par son ancêtre de la IVe république dans son refus obstiné, puis son impuissance littéralement pathétique à attirer et à choisir des candidats éligibles, des porte-paroles, des ministres parmi des Français fils d’immigrés deuxième, troisième génération. C’est pitoyable. Les deux derniers qu’ils nous ont sortis parlent langue de bois ou techno comme s’il fallait être encore plus caricatural pour se faire tolérer. C’est vrai que la Marche des Beurs enterrée en 1984 par Mitterrand en créant SOS Racisme a fait des dégâts et créé un tabou qu’aucun hiérarque socialiste n’a eu le courage de briser et d’examiner publiquement, ce qui ne serait pas un luxe plus de vingt ans après ! Les années 70-80 ont vu le syndicalisme français abandonner les nouveaux prolétaires français qui étaient principalement des Algériens, aux côtés des Marocains et des Tunisiens.
J’ai été témoin de cette indifférence dans ma cité ouvrière très syndicalisée. Celle-ci n’avait que le mot solidarité à la bouche, elle la pratiquait d’ailleurs « mais entre Français ». Je n’ai jamais vu les ouvriers algériens qui construisaient des immeubles et vivaient dans des Algeco bénéficier de plats chauds ou de l’usage de la douche dans une des maisons de la cité habitées par des leaders syndicaux.
Aujourd’hui on cache un nom qui définit pourtant la réalité des banlieues : c’est celui d’apartheid. Il ne reste pas beaucoup d’années pour que la France ne valle pas mieux que l’Afrique du Sud d’avant la libération de Nelson Mandela. Apartheid ethnique, social et on ne jure que par le sport, le football en particulier, pour maintenir un équilibre précaire et oser parler d’insertion. On exclut et on reproche à des gens parfaitement intégrés culturellement et « nationalement » (dans le sens du désir de vivre ensemble) de n’être pas… intégrés. Il y a aujourd’hui pléthore de jeunes super-diplômés arabes, noirs, indiens, chinois qui ne trouvent pas de travail. On reproche à l’autre de ne pas être intégré sans se poser de questions sur son propre racisme. Ca nous fait une glorieuse machine infernale qui donne sacrément envie d’honorer le drapeau français et la Marseillaise !
Revenons au football. Admettons qu’il y ait pas mal de jeunes largués des cités qui soient accros au ballon. Que n’aurait-on pas imaginé dès les années 80 d’équiper les clubs de foot d’équipes de soutien scolaires, d’ateliers d’écriture, de clubs vidéo, de formation et d’expressions musicales ? Pourquoi ne pas avoir su utiliser le football comme un aimant qui forment des êtres humain parlant, chantant, écrivant avec leurs diverses manières, pourquoi ne pas avoir su leur renvoyer à la gueule leur richesse intrinsèque dès l’âge de douze ans pour qu’ils deviennent des dévoreurs de savoir, de création, de plaisirs d’expression, bref des citoyens du monde ?
Etait-il aberrant d’imaginer qu’un club de foot pût aussi être une école de la deuxième, voire de la troisième chance ? C’est proprement révoltant quand on sait que des milliards et des milliards d’euros ont été vilipendés dans des formations inadaptées. J’ai moi-même été témoin du désespoir d’une conseillère d’orientation dans une cité difficile de la région parisienne. Elle m’expliqua comment des organismes de formation essayaient de recruter des jeunes pour qu’ils refassent la même formation chez eux, la même que l’année passée, en leur offrant un pin’s. Tout cela pour assurer du chiffre et toucher les mêmes subventions. Comment ne pas se sentir humilié, nié, mutilé à l’âge de 16 ou 18 ans ? Comment ne pas imaginer une autre utilisation de l’argent public pour actionner tous les leviers qui font des déclics, des déclics qui font que les énergies explosent, les talents s’expriment, les ressorts de l’imagination se détendent et un destin se trace. Tout le monde s’est cherché dans la vie. Et ceux qui ont réussi savent très bien qu’un parcours initiatique se fait avec les autres. Dans les cités, on fait le vide, on institue le désert, voire on méprise.
J’aurais tendance à croire qu’une des raisons principales est que la guerre d’Algérie ne passe pas. L’armée française verrouille toujours ses archives. Mais il n’y a qu’à voir la réaction d’un franchouillard dès qu’une fierté algérienne s’exprime : c’est de l’indignation. Quel scandale ne fait-on pas quand un drapeau algérien est hissé par un supporter de football. Et alors ? Il y en a bien d’autres des drapeaux différents que le tricolore dans les rues et les travées, on n’en chie pas une pendule !
Moi, je dis que ça pue et pour ces raisons, le cœur du ballon est un peu algérien même s’il a beaucoup de sympathie pour les joueurs français. L’épopée des Fenneks est trop belle, la joie de leurs supporters trop rassérénante. Mais le ballon ne peut pas tout, même s’il a une influence sur le jeu.
Moi, j’aime trop ce cri de ralliement : One, two, three, viva Algérie !