Sorti du porche de l’Assemblée nationale, je décidai de traverser la Seine. Place de la Concorde, je m’arrêtai au pied de l’obélisque. Je remarquai qu’à son extrémité figurait une gueule de chat tordue. Elle évoquait la bouche pulpeuse et parfois grimaçante de Nordine, mon compagnon de route du quartier qui m’avait fait croire qu’il avait suffisamment d’entregent pour convaincre le Chanteur de me rencontrer. Le chat, dernier personnage de l’obélisque, représentait pour moi le début de l’éternité. C’était vraiment une caricature de Nordine et je me disais que j’étais sur la bonne piste. Fort de mes pouvoirs, je me racontais que j’étais suffisamment en position de faire arrêter le président Chirac. J’imaginais que des magistrats avaient entre temps accumulé des preuves pour haute trahison de l’Etat dans des affaires de corruption, de ventes d’armes, je ne savais pas moi, c’était les magistrats, je le sentais, qui avaient découvert le pot-aux-roses.
Moi l’homme (femme ?) aux pouvoirs encore flous de l’atome et du magnétisme, je décidai de m’installer au pied de l’obélisque. Je posai une boîte d’allumettes en trois endroits différents et les allumai. Je m’allongeai au centre du triangle. Je fixai l’Elysée et imitai le cri nasal du chat très en colère. J’étais le superchat qui se voyait superman-woman. J’étais certain que ça allait impressionner Chirac, qu’il allait baisser la garde, que des hiérarques de la préfecture de police allaient se présenter pour lui signifier son arrestation sur une base constitutionnelle.
D’ailleurs un fourgon de policiers passa par là. Les flics me regardèrent faire et décidèrent de poursuivre leur route. Je continuai, répétai de plus en plus fort le cri du chat et j’imaginais du feu sortir de mes yeux. Je ne voyais aucun signe d’agitation autour du palais de l’Elysée. Le bougre, il tenait encore. Il fallait que je redouble d’énergie. J’allumai des cigarettes un peu partout autour de moi, contemplais l’obélisque, en appelai aux forces de la vie et de la mort. Je voulais vraiment lui faire passer un sale quart d’heure. Un soir alors que j’étais à Téhéran, un diplomate mitterrandien l’avait accusé d’avoir livré au pouvoir iranien armes et argent pour faire libérer les otages du Liban entre deux scrutins électoraux. Je n’avais jamais pu vérifier cette histoire (je n’en avais pas envie d’ailleurs, trop fatigué par toutes ces histoires de services secrets) mais je le sentais pas blanc comme neige le Chirac. Et là, je poussai un cri de loup. Je contractai mes muscles au maximum. Je concentrai mon regard sur l’Elysée. Je crachai dans sa direction. Je fis pipi sur l’obélisque en croyant déclencher une réaction chimique. J’en avais marre : je décidai de prendre un thé au Crillon avec mes pieds nus. Un beau Black me dit, à l’entrée : non pas cette fois-ci, désolé. Je fis route sur le palais de l’Elysée. Devant le porche, rien d’anormal. Moi je répétai :
Tu vas finir en prison !
J’entrai dans une boutique d’antiquités chinoises et je sentis que la vendeuse était prête à m’expulser. Je cherchais à gagner du temps et j’imaginais Chirac regarder son écran d’ordinateur car j’étais désormais persuadé que je n’étais pas retransmis à la télé mais via Internet. J’insistai pour qu’on me présentât une série de coupoles mises sous clé ainsi qu’un paravent. Debout devant le ministère de l’Intérieur, je ne sentis aucun frémissement. J’entrai dans une boutique de tissus précieux. Le couple de propriétaire me reçut avec tous les honneurs possibles, ce qui m’étonna vu mes pieds nus. Tenez cette étoffe. Elle est magnifique. Elle est vraiment faite pour la beauté des femmes. Elle vous irait très bien.
Toujours flatté qu’on me prenne d’emblée pour une femme, je sortis immédiatement ma carte bleue. Le tissu coûtait 1000 euros mais j’étais subjugué par sa beauté.
Je marchais devant le palais de l’Elysée, le tissu soigneusement déroulé sur mon corps. Et je lui dis :
Regarde comme je suis belle. Je sais que tu as voulu jouer au pervers avec moi. Tu ne m’auras jamais.
Il fallut que je rentre chez moi. J’avais d’autres idées pour faire valoir mes compétences fraîchement découvertes.