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Le Chanteur et le Joueur

5 janvier 2010 à 16h23

Tu es son ballon ! Tu es son ballon ! disait le Chanteur de rap.



Moi j’avais fait un simple cauchemar la veille. Je m’étais vu guillotiné et ma tête ensanglantée roulait entre les pieds du Joueur. Il faisait des dribbles invraisemblables et mon visage avait la langue tirée, les yeux exorbités, je me réveillai et écrivit un rap au Chanteur.

Je lui en avais déjà envoyé une bonne vingtaine.
Je le connaissais pour avoir travaillé avec lui. Je lui dictais mes raps sur le répondeur de son portable. J’étais tombé amoureux de lui, de sa finesse, de son élégance, de son rire d’enfant, de son africanité, de sa fulgurance de lézard, de sa culture du mot, de sa musicalité, de son goût pour l’exploit sportif et littéraire. Il était vraiment fait pour le dépassement.

Dans sa cité de la banlieue sud, il avait compensé le handicap de son petit gabarit par la technique du combat et la virtuosité des joutes verbales. Sur le plan de la composition, c’était un nouveau Gainsbourg ou un Trenet-danseur de hip hop, un Françafricain, la beauté du continent noir née dans la ceinture parisienne qu’il enjoliva de solides graffitis. Il était toujours dans une recherche, l’esthète…



Il avait le succès milliardaire, l’appartement Art Déco, la vie de jet-setter, ayant gardé de ses années de vache maigre le sens de la dérive, l’invention dans l’urgence, le goût de l’innocence, ayant acquis pendant le triomphe l’aisance sans la suffisance, une immunité contre le mauvais goût et cette volonté de croiser les milieux et les cultures… tout en ayant fait un excellent mariage.

Il me parlait de son fameux bar-tabac Le Balto, à deux pas de chez lui. Il aimait me répéter qu’il y tenait des rencontres informelles avec des gens « venus de mondes très différents ». Il me dit plusieurs fois qu’un jour, je pourrai venir. Il y avait là des amis de banlieue mais d’autres personnes aux profils très différents. Ce mélange me rendait dingue. J’avais très envie de venir. Le Chanteur ne m’en reparlait plus. Deux ans plus tard, j’ai obtenu d’un de ses meilleurs copains qui est aussi un de mes amis, qu’il était sérieusement acoquiné avec les services secrets français. Ce monde-là le fascinait…
Le Joueur, c’était le mythe footballistique incarné et une forme de beauté rare : la virilité alliée à la douceur. Je ne pouvais imaginer être son ballon. Cet homme-là appartenait au paradis, demi-dieu qui vaccinait en un éclair tout un peuple contre ses tentations xénophobes, ses peurs imbéciles, les colères qui se trompent d’ennemis, les replis sur soi, le manque de curiosité, l’aigreur, le désespoir, le découragement, formidable rénovateur du chaudron républicain dans lequel la bourgeoise et l’adolescent des cités pouvaient joyeusement s’embrasser devant un ancien qui n’avait jamais vu une telle liesse populaire et une telle force symbolique de la victoire et de la fraternité depuis la Libération, un soir de finale en 1998. C’était l’homme du football français héroïque, celui qui se dématérialisait pour devenir dans nos cœurs le secours, la beauté, la bonté, la timidité, le rire : le soleil.



Le Chanteur avait la fulgurance du lézard, le Joueur, celle du plus grands des félins.
Dans ma chanson, donc, j’écris difficilement de nouvelles expressions d’amour pour le Chanteur. J’en avais tellement marre de le persuader de m’aimer, que je lui écris : attention, si ça continue, je pourrais tomber amoureux du Joueur.
Au fur et à mesure que mon désir pour le Joueur s’épanouissait, je trouvais de l’inspiration pour le mettre en rivalité avec le Chanteur. Entre nous, je savais qu’une idylle avec le Joueur était totalement inconcevable tant il aimait répéter son amour pour sa femme et ses enfants et qu’il vivait dans la sphère des personnes dorées par leur destin et leur talent et qu’elles étaient de fait intouchables.
Aussitôt la chanson écrite et téléphonée sur le répondeur du Chanteur, celui-ci me rappela immédiatement et me répéta :


Tu es son ballon. Avoue que c’est drôle comme situation !


Il avait l’habitude de parler comme un sphynx, énigmatique et laconique et faisait lourdement comprendre que lorsqu’il avait décidé de ne pas répondre à une question, il ne fallait pas insister. Je n’avais pas d’autres explications. Je restais amoureux de lui mais troublé par mon désir pour le Joueur et cette histoire de ballon.

Mes mains de pharaonne La révolte et j’étais une bille au football…
Mots clés : Football