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La contre-matière hostile

14 janvier 2010 à 11h37

Je continuais mon immersion dans la contre-matière. La nuit la plus marquante se déroula près de Saint-Germain en Laye. Je me trouvai dans une cité de maisons de briques rouge tombant en ruines, dévorées par la végétation. A l’époque je dansais, imitant des chorégraphies nées dans les années 80 où les danseurs se projetaient violemment en l’air pour y faire des rotations sur eux-mêmes avant de retomber sur leurs pattes. J’avais dansé place Gambetta, sans grands effets sur le public. Là devant les maisons abandonnées, j’étais encore perdu sur la personne de mon cœur. Je songeais encore fortement au Chanteur, mais mon acupunctrice chinoise avait pris le dessus. Elle était belle, elle avait des pouvoirs magiques. La dernière séance, elle avait pris une sérieuse en décharge électrique en me posant une aiguille. Je me disais que c’était elle la reine du cosmos et pour la convaincre je devais exécuter le maximum de rotations en un saut, en regardant le maximum de lumières, en pensant au bébé qu’on allait faire.

Ce n’était jamais assez. J’étais tombé dans un état second en exécutant la même figure au moins soixante dis fois de suite dans la faim, le froid, la pluie, la nuit. Je n’avais qu’une seule obsession, recommencer, faire mieux, plus haut, plus vite, plus de rotations, aboutir à la transcendance. Mes pieds gelés se réchauffaient grâce à des dizaines de violentes piqûres situées sur mes lignes d’acupuncture qui me fournissaient tonus et chaleur. J’étais découragé, marchais entre plusieurs villes désertes, aboutis à une grande cité d’immeuble au bord d’une quatre voies où ne circulaient que des voitures neuves qui se ressemblaient. Je repensais au Chanteur. Des lumières étaient allumées et je notais qu’en faisant les danses, dix lumières s’allumaient, des voitures grises faisaient des tours sur des parkings et pensais gagner des amants maghrébins car il fallait reconnaître qu’ils me polarisaient fortement. De l’autre côté de la quatre voies, des jardins, des terrains vagues s’étendaient jusqu’à une crête lointaine d’immeubles. J’accélérais le rythme de mes danses : rien. Pour quitter la cité, j’empruntais un tunnel sous la quatre voies. A la sortie du tunnel, un choc énorme : je retrouvai, non pas les terrains vagues que je voulais gagner mais la cité que je venais de quitter. Les terrains vagues et les jardins étaient du côté opposé. Je retournai sur mes pas à l’intérieur du tunnel. A la sortie : je retrouvai la même cité. C’était une histoire de fou. Quelle direction que je pus prendre à l’intérieur du tunnel, je débouchais sur la cité et son parking et les terrains vagues et les jardins étaient toujours en face !

J’avais beau aller et venir à l’intérieur du tunnel, il y avait transfert et inversement de la matière. J’avais affaire à une contre-matière hostile qui voulut m’enfermer sur ce site. J’escaladai le talus qui montait jusqu’à l’autoroute et marchais sur les bas côtés, prenant garde aux voitures. J’arrivai à un petit village où je crus un instant qu’une cantatrice noire new-yorkaise m’attendait. J’entrai dans un bureau de poste et crus que l’employé attendait de moi une adresse-sésame sur un pli recommandé pour qu’il appelât l’amant cosmique. Mais l’employé s’énerva et me dit qu’il avait d’autres choses à faire.

A la sortie, j’étais totalement découragé. Un homme s’approcha de moi et me dit : « Viens avec moi, c’est fini, on va te donner à manger. Tu vas te reposer ».

J’étais tombé sur un foyer Emmaüs. Au guichet d’attente, je vis arriver doucement, une voiture grise avec une plaque d’immatriculation et des lettres formant les initiales du Joueur. J’eus comme une révélation : c’était lui. La contre-matière, toutes mes misères n’étaient survenues que parce que je l’avais négligé alors que c’était lui que je désirais le plus. Je me voyais vivre avec lui et c’était un soulagement même si dans le même temps, je me disais : bof. Le foot, c’était pas mon truc. Regardait-il autre chose que des matches de football et des films d’action à la télé ?

C’était vrai qu’on ne se connaissait pas. Il était un mythe pour moi, voilà tout. Allais-je être enthousiasmé par sa personnalité ? Sexy d’accord mais on ne tient pas des lustres si au final, il ne se réduisait qu’à un simple footeux… On me donna une chambre pleine de charme, faite de bric et de broc, pour me reposer et me réchauffer. On me servit un repas et je sentis que les aliments étaient de la contre-matière : les carottes râpées avaient un sérieux goût de plastique chauffé. Ce n’était pas pas normal. Le responsable du centre téléphonait. Il avait l’air sérieux. Je lui avais dit ma profession. Avait-il Martin Hirsch au téléphone ?

Il me dit :

– Ecoute, je te donne un ticket de métro, tu vas à Paris et tu t’adresses à n’importe quel policier. Il te prendra en charge.

Je rentrai sur Paris, en retournant chez moi, évitant soigneusement la case « Police nationale ».

P.-S.

Pour consulter le blog depuis son premier épidode : http://ballondumondial.blogspot.com/
Les préliminaires avec le joueur Contre-matière