Comparution immédiate du 16 décembre, chambre 23-2 de Paris.
Au Palais, on le dit « connu comme le loup blanc ». On dit aussi que les comparutions de ce « clown » feraient toujours « beaucoup rire les juges », que ce multirécidiviste finirait même par « se prendre pour une star », qu’il aurait besoin de ce public-là pour se « sentir exister », mais aussi qu’il « commencerait à en agacer plus d’un », incapable qu’il est de s’arrêter.
Xavier H., 36 ans, en est déjà à sa 34e comparution immédiate en 23 mois. Les faits sont toujours les mêmes : « grivèlerie d’aliments ». Xavier s’invite dans un excellent restaurant de Paris ou de sa région, se commande une bonne pitance bien chère et bien arrosée, et feint le malaise au moment de payer l’addition. On l’a vu repartir les pieds devant à l’aide du Samu, se carapater en douce ou carrément en courant, ou même jouer franc-jeu avec la direction du restaurant : « Vous allez rire, mais je ne peux pas payer l’addition ».
Avec lui, les juges auraient tout essayé : la grosse voix sur le ton paternaliste, l’amende, l’obligation de soins, le sursis, le travail d’intérêt général, de nouveau le sursis, la mise à l’épreuve, encore le sursis. Restait la prison. Xavier est incarcéré à Fresnes depuis le 17 août dernier. On l’en a extrait pour ce nouveau jugement – son 34e. Et rien ne dit que l’homme n’aurait pas encore « quelques dossiers en cours au-dessus de la tête ».
L’affaire pour laquelle il comparaît aujourd’hui (une toute petite ardoise de 90,80 € à la brasserie « Le Royal ») a déjà été jugée le 10 mai dernier, puis ajournée. Il s’agit d’une procédure de « jugement différé », où l’on déroule le procès dans son intégralité pour retrouver le prévenu quelques mois plus tard et voir comment il s’est comporté entre temps – avant de le sanctionner. Une chance ultime donnée à Xavier. Entre temps justement, le filou s’est offert un merveilleux gueuleton chez Bofinger, fameuse brasserie chic du quartier de la Bastille. Le juge d’application des peines lui a alors directement révoqué ses sursis et mises à l’épreuve. Direction la prison.
Petit bonhomme rondouillard et souriant, Xavier a franchement une bonne bouille. Des faux airs de Jacques Villeret dans « La Soupe aux Choux », des yeux de chiens battus, une gueule légèrement cabossée par un accident de piscine qui l’a handicapé à 80 % - l’homme est sourd comme un pot, mais aurait toute sa tête.
Avec un BTS en « Vins et Spiritueux » et une unique expérience professionnelle de boucher charcutier, une chose est sûre : Xavier aime le bon manger. « Il n’est pas dingue, estime un avocat qui l’a déjà défendu à trois reprises, il est simplement gourmand, il n’a pas les moyens d’assumer sa passion et il s’ennuie aussi beaucoup dans la vie. C’est vrai qu’à le voir, on n’a pas du tout envie de l’enfoncer, mais à la longue, cette petite gueule d’amour finit par devenir un fléau pour la société – 34 comparutions, imaginez ce que cela peut coûter ! »
Célibataire plus qu’endurcit, Xavier est un garçon de « bonne famille ». En partant vivre leurs vieux jours dans une maison de banlieue, ses parents lui ont cédé leur appartement rue de la Pompe, dans le 16e arrondissement de Paris : « Mon père s’appelle Claude et ma mère s’appelle Claude aussi », dit Xavier, comme pour se présenter au tribunal. Il se dodeline d’un pied sur l’autre et aurait, malgré son air poupon, « un peu maigri en prison ».
Avant de délibérer sur les faits déjà exposés durant l’audience du 10 mai, le tribunal doit vérifier si le prévenu a suivi ses obligations. Pour l’obligation de travail, l’homme est handicapé et pris en charge par la Coterep : « J’ai fait des démarches auprès de la mairie du 16e pour travailler comme bénévole auprès des sans-abri, mais ils ne m’ont jamais re-contacté ». Pour l’obligation de résidence, Xavier dit « habiter à Fresnes depuis quatre mois ». Enfin, pour l’obligation de soin, le prévenu n’a aucune pièce justificative, mais dit avoir été hospitalisé à Sainte-Anne en juillet dernier pour se soigner de ce qu’il appelle son « toc ». Il déclare aussi avoir suivi une cure de quinze jours pour ses « problèmes d’alcool » dans un hôpital à Saint-Cloud en août – juste avant l’épisode Bofinger et l’envoi en prison. À croire que les soins n’ont pas été de la plus grande efficacité.
Sur le ton de la mère de famille blasée par les bêtises à répétition de son rejeton, la Procureure prend la parole : « Tout a été essayé avec lui, il a un abonnement chez nous. Le pire, c’est qu’il ne va jamais au McDo ou au Bistro Romain. Non, Monsieur se soigne. On dépasse systématiquement les 100 euros. Après toutes ces condamnations, ces sursis et ces mises à l’épreuve, on finit par pédaler dans la choucroute. Il faudra bien un jour qu’un tribunal prenne la mesure de ses actes. Je demande quatre mois de prison ferme avec mandat de dépôt ».
« Parler de choucroute devant mon client n’est pas du meilleur goût, lance l’avocat de la défense, tout sourire. Je demanderai simplement au tribunal de garder en mémoire le fait que mon client n’a jamais fait de mal à personne ». Pour sa défense, Xavier est le dernier à parler : « Ces quatre mois à Fresnes m’ont vraiment fait réfléchir, dit-il. C’est déjà cher le repas pas payé. C’est ce que j’ai dit la dernière fois au président du jury ». La Présidente lui lance un dernier sourire attendri : « Ce n’est pas un président du jury, Monsieur H., vous devriez connaître le fonctionnement de la justice depuis le temps. »
Le verdict. Trois mois de prison ferme avec mandat de dépôt. Xavier lance un clin d’œil au tribunal et, tel le Prince Charles de la 23e, adresse à son public un discret au revoir de la main.