Gabriel a tout juste vingt ans et son visage encore des traits d’enfant. Il comparaît seul devant la 23e chambre pour « dégradation par tag ». Seul, parce qu’il n’a pas souhaité l’assistance d’un avocat. C’est pourtant sa cinquième condamnation pour de tels faits. Taguer, Gabriel « ne peut plus s’en empêcher ».
Le 5 décembre dernier, en début de soirée, Gabriel se rend en bus à l’anniversaire de son frère. Il monte à l’arrière du véhicule, il y est seul et tague rapidement la vitre arrière avant de se rasseoir le temps de son trajet. Epinglé par le conducteur, un contrôle d’identité est effectué. Parce que « très défavorablement connu des services de la RATP », le Procureur décide de le déferrer. Une décision plutôt rare pour de tels faits.
« Je crois que j’ai besoin d’être soigné, considère d’emblée Gabriel, d’une voix douce et posée. C’est un TOC, un Trouble Obsessionnel Compulsif. Dès que j’aperçois une surface lisse et vierge, c’est plus fort que moi, j’y appose ma signature ». Face au tribunal, le jeune homme paraît extrêmement mature. Ses mots, son raisonnement dénotent une évidente intelligence – une personnalité qui jure avec les faits.
Gabriel habite chez sa mère, secrétaire dans une école et n’a plus vu son père, architecte, depuis plus de trois ans. Employé en CDI dans une société de jardinage, il gagne mille euros par mois – dix pour cent de ce salaire est déjà directement reversé à la RATP pour rembourser de précédents dommages et intérêts. « C’est un peu idiot, constate simplement le Président du tribunal. Le tag ne vous apporte visiblement pas grand chose, vous comparaissez ici aux côtés de prévenus qui ont commis des délits très graves ». Gabriel confirme avoir un « handicap » : « Mais les graffitis me font du bien, dit-il. Cela me permet d’arrêter de penser ».
Le Président cherche à comprendre : « Il existe des associations où l’on peut taguer des murs en toute légalité. Les résultats sont souvent très jolis d’ailleurs … Pourquoi ne pas vous tourner vers ce type d’association ? » Gabriel répond du tac au tac : « Je sais, c’est vrai… Mais les mairies imposent alors leur cahier des charges. On n’a pas du tout la même liberté – et de fait, pas du tout le même plaisir ». Le Président soupire : « Oui, un cadre, un cahier des charges, cela s’appelle l’autorité ».
La Procureure prend la parole et souligne qu’il est effectivement très rare de déferrer des tagueurs : « Avant d’en arriver là, il existe toute une échelle de sanctions que Monsieur a déjà largement expérimentées. Certains comme lui ne comprennent pas ces avertissements et finissent alors en détention – c’est un dilemme, mais au bout d’un moment, que voulez-vous faire d’autre ? Sachez que pour de tels faits, la peine plancher est de trois ans, dont un an de prison ferme. C’est tout de même cher payé le gribouillage…Je demanderai au tribunal de rentrer en voie de condamnation et requiers quatre mois avec sursis, avec une obligation de travail d’intérêt général ou de suivre des soins ».
Pour sa propre défense, Gabriel reprend la parole, toujours aussi calme et posé : « Je suis d’accord pour un travail d’intérêt général, ma dernière condamnation en juillet 2008 m’a value 40 heures de travaux et cela m’avait fait beaucoup de bien. Je compte évidemment indemniser la RATP, mais s’il vous plaît, soyez cléments quant aux montants. Mon père ne paye plus de pension alimentaire et ma mère compte sur moi pour l’aider ».
Verdict : quatre mois avec sursis et 105 heures de TIG sur 18 mois. Gabriel devra indemniser la RATP à hauteur de 1839,91 euros, le coût exact du remplacement de la vitre. « Si vous effectuez ces 105 heures dans le temps imparti, vous n’irez pas en prison, explique le Président du tribunal, avant d’ajouter : « Sachez, Monsieur, que si nous avions appliqué la loi bêtement, vous seriez parti ce soir pour un an de prison. Nous avons encore fait une exception, mais il faut vous ressaisir car la prochaine fois, le tribunal sera moins clément. Votre déferrement avait une visée pédagogique, il faut que cela soit pour vous un déclic. Vous êtes suffisamment mature pour vous prendre par la main et vous faire soigner de vos propres moyens si vous pensez avoir un problème de comportement ».