Je rencontrai Fejria la première fois au jardin des Tuileries. Elle avait des cheveux noirs irisés par le soleil, un visage doré, une douceur de lait, portait des Ray-Ban, affichait d’emblée un solide caractère. Elle était attirante, pas franchement joyeuse. Elle avait ce quelque chose chez une personne que l’on voulait sonder. Nous étions quatre assis à une table de cafeteria et nous parlions chacun de notre psychanalyse. Nous sortions d’une exposition consacrée à Lacan au Jeu de Paume. Elle cherchait ses mots, sa langue était précieuse, recelait à la fois la révolte, la sensibilité et la recherche de la beauté, la recherche tout court. Elle faisait part de son mal-être et je me disais : cette fille a tout pour elle, c’est dingue comme elle pourrait être heureuse. Ses parents étaient Algériens. Elle avait grandi dans une famille de six enfants à Orly. Elle était comédienne et actrice dans des films de cinéma et de télévision. Cela marchait relativement bien pour elle. Elle m’impressionnait. Sa beauté, son intelligence, sa forte personnalité brillaient. Je sentais une sensualité qui n’était pas totalement épanouie. Sa manière dont elle parlait de sa psychanalyse me laissait deviner, peut-être à tort, que tout était cérébral chez elle. Quatre ans passèrent. Je l’oubliai.
Je revenais de New York. Le médecin me fit arrêter le fameux médicament Zyprexa et je perdis très vite mes kilos. L’expérience new-yorkaise avait fait de moi un homme neuf, rajeuni, enthousiasmé par Big Apple, inquiet de constater qu’une nouvelle page d’histoire s’était tragiquement tournée et que nous connaissions une drôle de guerre. Mais l’énergie et le courage des New-Yorkais, ma rupture avec Paris et mes dernières miasmes sentimentales me laissait entrevoir que l’avenir m’appartenait. Paris semblait une belle ville italienne endormie mais je voulais dévorer plus que jamais son multiculturalisme. Je voulais redémarrer une vie.
Je revis Fejria. J’en tombai littéralement, passionnément amoureux. Je dégustais son corps, je me voyais faire l’amour avec elle, je la désirais, c’était nouveau et surprenant. J’avais l’impression d’être Christophe Colomb, un homme qui se réveillait, un gay qui avait fait le tour d’une sexualité et qui découvrait un sentiment de complétude, de gourmandise érotique, de désirs d’enfants, de sérénité avec Fejria, uniquement elle. J’aimais trop comment elle riait, gueulait, parlait de choses et légère, toujours vive, profonde, pertinente et terriblement humaine. Je sentais une sensibilité et une souffrance des origines qu’elle sublimait totalement en diffusant le miracle d’être LA femme et la volupté jusqu’au bout des ongles. Elle était vraiment très belle, envoûtante, très féminine et parfois un côté mec qui s’effaçait rapidement. Elle était émouvante et son corps était à croquer. J’étais transporté, habité, déjà heureux, je ne voulais plus la quitter, tentais de gagner toujours du temps passé avec elle. J’étais très surpris de me retrouver en situation de désirer une femme, pas étonné de vouloir la sentir le long de mon corps, dans un lit, au plus profond d’elle-même. Il me semblait que je l’avais charmé, je lui faisais ouvrir des sourires grands comme ça et des yeux qui trouvaient l’étrange lumière des amoureux, tendre, complice, coquine et réveillée par une faim insoupçonnée.
J’étais sûr de moi. Elle envoyait trop de signes. Je sentais qu’elle n’était pas vraiment épanouie avec son compagnon. Elle avait un fils, c’était déjà le mien et je mourrais d’envie de lui donner des frères et sœurs. Je lisais les petites annonces des agences immobilières pour m’installer avec elle. Je me regardais dans un miroir. J’embellissais. Je retrouvais mon visage de mes vingt ans, il est vrai très féminin. Nos rencontres étaient espacées, toujours en compagnie d’autres amis. Je rêvais de la possibilité d’un tête-à-tête avec elle. Je me sentais totalement régénéré et c’est à ce moment là qu’au journal, on me proposa de faire un reportage en Egypte sur la lignée des artistes de Pharaon avec la visite de la Vallée des Reines à Louxor. Premier reportage tranquille en onze ans de maison ! J’acceptai sans imaginer qu’un nouveau piège allait se refermer sur moi.