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Epuisement et état des lieux

13 février 2010 à 00h18

Revenons à aujourd’hui, un certain jour de février 2010. Je regarde un match de Ligue 1. Les forces magnétiques s’acharnent à arracher ma tête d’un livre posé sur le canapé pour la fixer toute entière sur le ballon. Elles lui font suivre sa trajectoire, l’anticipent même. Elles veulent absolument me démontrer que je suis le ballon et que bientôt ce sera le pied (ma tête sur se fixe des pieds de joueurs, de table, de chaise). Elles s’acharnent parce que je m’interroge et que je suis épuisé.

Ces forces magnétiques reviennent toujours à la charge. Elles sont têtues et colériques quand je doute des messages qu’elles veulent m’envoyer. Et pour me mettre les points sur les i, elles me font suivre le ballon puis arrêtent ma tête sur une ligne blanche de la pelouse : le ballon est en paix. Il faut y croire, ne pas avoir peur, ne pas se décourager. Le Joueur et le ballon vont gagner. Leurs ennemis : les marchands de canon, les spéculateurs financiers, les accros de la concentration de richesses, de haute-technologies et de savoir, leurs politiciens appointés, leurs services secrets et leurs auxiliaires qui une fois leur identité dévoilée laisseront tout le monde cois. Ils vont droit dans le mur, commencent à paniquer, à se coucher, envisagent des replis…

Moi, je veux bien le croire. Mais je ne crois que ce que je vois. Je vois bien que le monde peut basculer vers le meilleur comme le pire d’ailleurs. Je voix aussi beaucoup de paix dans mon appartement, cette couleur blanche et ces brillances argentées qui parsèment mon salon. Je vois le bleu des vacances, pour moi, le Joueur, et la planète entière. Je vois les combattants (couleur verte) à l’ombre. Je vois le cul de ma petite chèvre en plastique (c’est moi !) remonter et entrer dans la fente de ma mappemonde tirelire de mes dix ans : elle est vouée à faire de l’or pour toute l’humanité.

Non, mais ça ne va pas s’arrêter ce délire ? J’en ai marre de ce langage cosmique qui épouse mes états d’âme, mes interrogations, mes lassitudes pour prendre la liberté de faire bouger violemment ma tête sur des objets ou couleurs-mots et- fabriquer une ou deux phrases qui se transforment en communiqués de victoire sur le mode enfantin.

Je partage cet univers à quelques amis qui restent dubitatifs, à mon psychiatre qui m’encourage à cultiver ces nouveaux territoires. Mais ce langage cosmique prend toute la place au point que j’ai l’impression de vivre avec le Joueur comme un couple déjà installé. Quand je suis fâché avec lui, il trouve toujours le moyen de me rappeler à l’ordre, d’implorer la paix, la réconciliation, des baisers sur son nez que j’aime lui faire sur un coin d’oreiller, il donne des piqûres dans les mollets, d’irrépressibles démangeaisons sur les bras, sur le crâne ou à l’orifice de son nez comme il en est la proie devant les caméras de télévision.

J’ai l’impression de n’être qu’un lecteur mécanique, un robot-pantin soumis à des forces physiques dont la puissance est parfois insoutenable. J’ai perdu mes jambes, la gratuité d’un regard, la neutralité, la gratuité d’un regard (tout est interprétation de signes). Il me reste des pensées vagabondes, des souvenirs d’enfance ou un passé plus douloureux, mais toujours ma voix qui parle au Joueur et ce dernier qui me répond aussi sec. J’ai besoin d’être anesthésié, de dormir, d’oublier, de goûter à la vraie solitude, de le lâcher, QU’IL ME LACHE, qu’on se retrouve d’accord mais que je me retrouve sans être dans une relation totalement exclusive avec cet être, tout cosmique qu’il soit. J’ai l’impression d’être dans une prison, une chambre de none, une cour de Quartier de Haute Sécurité.

Bien sûr, il y a plein d’occasions de se payer des bosses de rire, des moments d’érotismes torride, des tocades mais là c’est trop. Et puis toujours ces incertitudes infirmés par de rares moments de télévisions. Comme ce matche de bienfaisance filmé par Canal Plus où complètement extasié, je lui disais tout mon amour et je le voyais pleurer et regarder droit dans la caméra quand un journaliste se mit à conclure : « Celui-là, c’est où qu’il veut, quand il veut ». Une autre émission où il faisait fixer ma tête en haut à droite pour la faire descendre brusquement en bas à gauche pour que mon regard se pose sur sa main qui en un seconde fit le V de la victoire. Cette interview dans le Parisien où il déclaré être venu avec son « très fidèle ami Toutou » alors que dans mon appartement notre jeu consiste à ce que je l’appelle mon chat et que je lui répète que je serai sa chienne, en inventant un surnom : Toutou ! Et en répétant en rigolant : « attention Toutou la chienne va se déchaîner pour toi, tu ne vas pas t’en remettre ». Je dois dire qu’il m’a soufflé quand il a réussi à replacer Toutou.

Sans compter les intenses démangeaisons que nous nous déclenchons au même endroit au même instant quand il est sur un plateau TV…

Fejria Ma résurrection à New-York