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Bakchich : informations, enquêtes et mauvais esprit
Bakchich : informations, enquêtes et mauvais esprit

Dérapages contrôlés

5 mai 2010 à 18h53
Rappel : magistrats, policiers, et avocats constituent une source d’information inévitable pour les journalistes chargés de couvrir les dossiers « sensibles ». Entre connivences et manipulations, s’est créée une relation ambiguë qui affiche les limites du secret de l’instruction et pose le problème du secret des sources.

Après trente-trois années passées dans la police, Dominique Martin, 55 ans, en connaît un rayon sur les journalistes et leurs méthodes. Les sollicitations et des coups de téléphone intéressés, cet ancien chef de groupe de la Brigade Financière de Grenoble, aujourd’hui retraité de la police judiciaire, affirme avoir toujours tenté de les concilier avec le secret d’instruction auquel il était soumis. « Souvent, des journalistes téléphonaient pour confirmer des informations », se souvient-il. « Ce qu’ils demandaient, c’était s’il y avait matière à s’engager sur une affaire pour être le premier. De notre côté, nous nous attachions à respecter le droit et à travailler dans la discrétion. Toute personne est censée être innocente tant qu’elle n’a pas été condamnée. C’est notre principal point de discorde avec eux » [1].

Le policier avoue pourtant s’être lié d’amitié avec des journalistes qu’il a rencontrés sur le terrain au fil des années et des enquêtes. Des journalistes auxquels il a donné des tuyaux. Mais pas à n’importe quelle condition. « S’il y a contacts, ce ne sont que des contacts contrôlés. En général, on noue des liens avec un journaliste que l’on a jaugé, qui est fiable et compétent. Quand un enquêteur précise à un journaliste que l’information qu’il vient de lui livrer doit rester confidentielle, il doit être certain que le journaliste ne va pas la dévoiler », explique-t-il. « Sur une trentaine de journalistes que vous connaissez, vous savez qu’il y en a certains à qui vous pouvez faire confiance. Doivent alors se créer des rapports droits, sans ambiguïté, et l’instauration d’une confiance réciproque  ».

Garder sous contrôle l’information sensible et tenir à distance les journalistes. Tel est le but des enquêteurs de la police. Pour Gérard Cea, ancien expert du délit financier à la PJ de Lyon, l’arrivée de la presse en amont des procès a poussé les policiers à user de malice pour concilier le droit de réserve et la liberté d’informer. « Face aux journalistes, je n’ai toujours fait que confirmer ou infirmer les informations. Il faut savoir qu’en général, l’enquêteur n’aime pas voir la presse marcher sur ses plates bandes. Nous sommes soumis à un devoir de réserve en tant que fonctionnaire de police et au secret d’instruction en tant qu’officier de police judiciaire » [2].

Au sein des palais de justice, la méthode est également régulièrement utilisée pour contourner les barrières dressées par le secret de l’instruction. Cependant, pour Karl Laske, journaliste au service société du quotidien Libération, l’idée répandue qu’il y aurait une alliance factuelle entre juges et journalistes est fausse. « Quand tu contactes les juges, 50% d’entre eux ne te répondent pas. Le reste ne veut pas parler, mais accepte de te dire que tu n’es pas dans l’erreur ou de confirmer des informations. Pour eux, il y a un secret total de l’instruction. Par la suite, ceux qui s’expriment le font lorsque la pression est trop forte de la part des politiques » [3].

« Si j’appelle un juge d’instruction, je sais qu’il n’a théoriquement pas le droit de me parler. Pour beaucoup, ce n’est même pas la peine de leur demander l’heure », confirme Hervé Gattégno, journaliste au service "investigation" de l’hebdomadaire Le Point [4]. « Si je le connais, je me permets parfois d’insister. Ceux qui parlent sont peu nombreux et ne le font que sur la base d’une relation suivie et de confiance  ».

Épisode 3/6

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Lire ou relire sur Bakchich.info l’épisode précédent du blog de Benoit Pavan :

Rappel : magistrats, policiers, et avocats constituent une source d’information inévitable pour les journalistes chargés de couvrir les dossiers « sensibles ». Entre connivences et manipulations, s’est créée une relation ambiguë qui affiche les limites (…)

Voir aussi le blog professionnel de Benoit Pavan : http://benoitpavan.wordpress.com/

Sans confiance, pas de scoop Un secret mal gardé

Notes

[1] Propos recueillis le 28 mars 2008 à Grenoble.

[2] Propos recueillis en novembre 2006 à Lyon.

[3] Propos recueillis le 29 avril 2008 à Paris, dans les locaux de Libération.

[4] Propos recueillis le 16 mai 2008 par téléphone.