Document sans titre

0-GENERALITES:

PAYS DEVELOPPES

PAYS EN TRANSITION

PAYS EN DEVELOPPEMENT

Dynamiques du sud

Les pays du Sud

Le système Sud

 

1-LA PLANETE

Pôles et océans

Climat

2-UNION EUROPEENNE
3-PAYS DE L'UNION EUROPEENNE

France

Allemagne

Italie

Espagne:

Royaume Uni

Irlande

Belgique

Pays Bas

Portugal

EUROPE CENTRALE

Hongrie

Pologne

Republique tcheque

Slovaquie

Autriche

Europe Nordique

Danemark

Finlande

Suede,

Les iles de Méditerranée:

Grèce

4 -AUTRE EUROPE

Suisse

Vatican

EUROPE ORIENTALE ET BALKANIQUE

RUSSIE ET CEI:

5- ASIE

Asie Pacifique

Chine

Japon

Corées

ASIE DU SUD EST

ASIE DU SUD

Inde

Pakistan

Asie centrale;

Australie

Océanie , Océan Indien

6-MOYEN ORIENT

Pétrole au Moyen Orient

Histoire du Moyen Orient

Turquie

Iran

Irak

Syrie

Arabie Saoudite

Israel

7 AFRIQUE

Geopolitique du Maghreb

Algérie

Maroc

EGYPTE

Afrique Occidentale francophone

Cote d'Ivoire

Sénégal

Afrique occidentale anglophone

Rouanda

Congo-Kinshasa

Afrique orientale

Afrique australe

 

 

8- AMERIQUE LATINE

Mexique

Cuba

Bresil

Argentine

Chili

Colombie

9AMERIQUE DU NORD

Etats Unis

USA: géographie, histoire

USA: Politique et Société

USA: Diplomatie

USA Economie

Canada

 

 
 
 

 

RECHERCHE

Recherche rapide,

Recherche avancée

Comment s'informer

CYBERSCOPE

Sources Biblio

Sources Internet

Google Scholar

Search by location

Les Wiki par categories

Geoforum

Librairie

Chroniques sur Internet

Espaces sur Internet

Themes sur Internet

Liens externes

 
 

 

 

 
image

eHISTOIRE DU TIGRE CELTIQUE

conférence de Erik Egnell à l'Alliance française de Dublin "Histoire du Tigre celtique"


Pour le Larousse encyclopédique, le tigre est un grand mammifère carnivore des forêts d'Asie, au pelage d'un beau jaune orangé, blanchâtre au ventre et marqué de zébrures noires. Le tigre, qui chasse à l'affût, est le plus grand des félins actuels. Quand il pousse son cri, le tigre feule, rauque ou râle.

Ceux d'entre nous qui ont déjà un certain nombre d'années derrière eux, se se souviennent des « tigres de papier » du temps de la guerre froide, quand Mao qualifiait ainsi l'Amérique, redoutable en apparence seulement. Les années 1960 virent une grande compagnie pétrolière domestiquer le tigre: il devint multinational et s'installa dans les moteurs du monde entier

Mais, dans notre imaginaire à tous, le tigre, c'est d'abord Shere Khan, le terrible Shere Khan, du Livre de la jungle, qui peupla nos rêves de prime jeunesse en compagnie de l'ours Baloo et de la panthère Bagheera. Shere Khan, le symbole d'un sous-continent jadis conquis pour le compte du roi d'Angleterre par l'Irlandais Wellington. Mais Shere Khan, boiteux et peu aimable, prêt à dévorer le jeune Mowgli, est-il vraiment à l'image du Tigre celtique ?

L'Irlande, une République ayant coupé tous ses liens avec la Couronne et le Commonwealth depuis 1948, reste-t-elle secrètement attachée à la magie de l'empire ? Ou bien au contraire le subconscient collectif irlandais a-t-il voulu opposer au tigre de Kipling avec ses connotations victoriennes un rival d'origine purement locale ? Le tympan du portail nord de la chapelle de Cormac sur le rocher de Saint Patrick à Cashel (comté de Tipperary) dans l'Irlande profonde, une merveille de l'art roman insulaire dont vous pouvez admirer la reproduction au Musée national, ne décrit-il pas une chasse au tigre?

Ceux des historiens ou préhistoriens pour qui l'Irlande a été d'abord une île flottante venue occuper son site actuel à l'issue d'une longue pérégrination transocéanique - elle aurait été l'Atlantide aperçue par les Anciens au delà des Colonnes d'Hercule - comptent volontiers le tigre parmi ses premiers habitants frappés d'extinction par l'arrivée de l'âge glaciaire. Le tigre de Cashel serait une possible référence à cette époque très lointaine

Mais l'animal dont nous nous occupons ce soir, le Tigre celtique, est d'apparition et de disparition plus récente. Ses dates sont connues, même si les historiens n'ont pas tous retenu exactement les mêmes dates, comme il est normal entre historiens. Voici donc l'histoire du Tigre celtique en trois épisodes: la jeunesse du Tigre, le Tigre bondissant, le crépuscule du Tigre.

La jeunesse du Tigre

« On dit qu'il est né en Irlande - un pays que personne ne connaît, et où ceux qui y sont nés ont particulièrement peu envie de vivre pour différentes raisons ». Ce commentaire de Charles Mathurin, curé anglican, romancier et oncle d'Oscar Wilde, tenu en 1823 à propos de son héros Melmoth the Wanderer (Melmoth l'errant), est particulièrement prophétique.

En 1800, quand l'union politique avec le Royaume-Uni fait disparaître l'Irlande de la carte du monde, les Irlandais sont plus de huit millions. Un demi-siècle plus tard la Grande Famine donne le signal de leur départ en masse pour les Etats-Unis. L'île Verte, laissée à l'écart par la révolution industrielle, Belfast excepté, se vide de sa population et tombe dans l'oubli.

Le pays avant tout agricole qui devient indépendant en 1922 veut se doter d'une industrie. L'équipement hydro-électrique du fleuve Shannon est lancé dès 1923, avec la participation notamment de Siemens. Quand De Valera arrive au pouvoir en 1932, il accentue l'intervention directe de l'Etat dans le développement industriel. Pour financer la mise sur pied de cette industrie nationale, l'Irlande interrompt alors le paiement des indemnités aux propriétaires anglais expropriés, ce qui déclenche une guerre économique de plusieurs années avec l'ancienne métropole.

Les champions qui naissent alors s'appellent Irish Cement (aujourd'hui entré dans le groupe privé CRH et 4ème cimentier mondial), Irish Sugar (aujourd'hui privatisé et devenu Greencore), qui traite la betterave locale, Irish Steel (aujourd'hui disparu).. Pourtant l'industrie privée n'est pas absente. C'est dans les années 1930 que l'Anglais Jefferson Smurfit crée à Dublin une « usine à papier », qui deviendra le No1 mondial du carton ondulé.

Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, De Valera et son parti le Fianna Fail (« Les guerriers du destin », ayant perdu la faveur des électeurs, doivent céder la place au gouvernement de coalition dirigé par John Costello. Alors est créée, en 1949, une Agence d'Etat, rattachée au ministère de l'industrie et du commerce, l'Industrial Development Agency, l'IDA. Cette agence reçoit du nouveau taoiseach (premier ministre) bien décidé à tourner le dos au nationalisme économique de son prédécesseur, la mission d'attirer en Irlande les investisseurs étrangers.

Quand De Valera revient au pouvoir en 1951, son tanaiste (vice-premier ministre) Sean Lemass le persuade de maintenir la nouvelle orientation. Lemass, qui, en tant que ministre de l'industrie et du commerce, a mis en oeuvre la politique économique protectionniste et étatiste de l'avant-guerre, a connu son chemin de Damas. Il devient le promoteur d'une Irlande terre d'accueil pour les industriels de tous les pays.

Alors s'engage entre les gouvernements successifs une véritable surenchère. De Valera, à l'instigation de Lemass, crée un régime spécial de subventions pour les projets industriels dans les régions défavorisées de l'Ouest. Quand Costello le remplace à nouveau en 1954, ce régime, est étendu à l'ensemble du territoire. En outre la loi de finances pour 1956 prévoit, sous le nom d'EPTR (Export Profits Tax Relief), un abattement de 50% de l'impôt sur les sociétés pour les bénéfices réalisés à l'exportation. Quand l'équipe De Valera/Lemass reprend les rênes en 1957, les profits à l'exportation sont totalement détaxés. Les entreprises installées à l'aéroport de Shannon sont exemptées d'impôt pour vingt-cinq ans.

Il est vrai qu'il y a urgence. Le rapport Whitaker de mai 1958 présente une image alarmante de l'économie irlandaise. L'Irlande a perdu 5% de sa population depuis l'indépendance. Un million de personnes ont émigré. Le départ vers les pays qui créent suffisamment d'emplois, Etats-Unis, Australie, Afrique du Sud, reste la principale issue pour les jeunes atteignant l'âge du travail. En 1961 la population de la République atteint son minimum absolu: 2.810.000 personnes.

Jack Lynch, qui devient taoiseachen 1966, fait encore un pas de plus. Il donne sa pleine indépendance à l'IDA. A partir de 1969 celle-ci fonctionne comme une société privée ayant l'Etat pour actionnaire, un statut qui lui permet de mener une stratégie continue, en dépit des changements de gouvernement, et de gagner ainsi la confiance des investisseurs étrangers.

Ceux-ci ont répondu à l'appel. Les premiers à venir en Irlande au lendemain de la guerre sont les Allemands, qui y trouvent un site plus favorable que leur propre pays dévasté. Les Anglais et surtout les Américains vont suivre. A ces derniers le président Kennedy, qui visite la terre ancestrale en 1961, montre le chemin. Dès 1970 les investissements américains sont plus importants que leurs homologues britanniques.

Les Français eux aussi sont là. Le constructeur aéronautique Potez ouvre en 1962 un atelier à l'aéroport de Baldonnell près de Dublin et la Régie Renault installe en 1964, après le non gaullien à l'entrée du Royaume-Uni (et de l'Irlande) dans le Marché commun, une usine de montage à Rosslaere. Les deux unités seront fermées dans les années 1970, tout comme l'usine automobile Ford de Cork.

En effet, le 1er janvier 1973, après une longue attente due aux « non » gaulliens à l'entrée du Royaume-Uni, les deux îles Britanniques finissent par forcer la porte de la Communauté européenne. Les investisseurs étrangers dans l'île Verte ont désormais plein accès au marché continental..

Mais l'Irlande commence alors à accueillir ses vraies industries d'avenir, celles du Tigre celtique. En 1972 Pfizer installe à Ringaskiddy près de Cork une usine d'acide citrique. Le coup d'envoi de ce qui deviendra un pôle pharmaceutique mondial est donné. C'est en Irlande que plus tard la même multinationale fera fabriquer pour le monde entier son produit-phare, le Viagra. La France s'associera au mouvement avec Rhône-Poulenc (aujourd'hui Aventis) et Servier, qui s'installe à Arklow en 1988.

A la décennie suivante c'est l'informatique, l'industrie américaine par excellence, qui s'implante en force dans l'île Verte. En 1983 arrive IBM. En 1985, l'année où la balance commerciale irlandaise devient pour la première fois excédentaire, c'est au tour de Microsoft. En 1991, pour ne citer que les plus grands noms, suivra Intel, le No1 mondial des micro-processeurs, à l'issue d'une mise en compétition sévère de divers sites européens, dont la France, l'Angleterre et l'Ecosse.

L'économie de l'Irlande, devenue patrie des multinationales, est désormais liée à ses exportations. Elle accompagnera l'évolution du marché mondial, dans son expansion comme dans ses vicissitudes.

Or, si les investisseurs internationaux dans ces secteurs de pointe choisissent l'Irlande, c'est aussi que la politique de l'éducation menée par les autorités de la République leur permet d'y trouver une abondante main d'oeuvre qualifiée. La part du PNB irlandais consacrée à l'éducation passe de 4,1% en 1961 à plus de 8% dans les années 1990.

Le gouvernement de Jack Lynch a décidé en 1968 la gratuité de l'enseignement secondaire. Celui dit « de l'Arc-en-ciel » en fera autant pour l'enseignement supérieur en 1996. Le pourcentage des élèves de l'enseignement secondaire obtenant le Leaving Cert passe de moins de 15% à plus de 80%. Quant à la proportion des étudiants de l'enseignement supérieur, elle est aujourd'hui très au dessus de la moyenne de l'Union européenne..

L'IDA adopte comme slogan dans les années 1980: « Ses habitants sont à l'Irlande ce que le champagne est à la France » (People are to Ireland as champagne is to France). Les subventions du Fonds social européen sont utilisées pour la formation du futur personnel des multinationales.

Si l'offre de main d'oeuvre attire la demande, à son tour la demande suscite l'offre. A l'expansion démographique s'ajoute un mouvement significatif de retour d'expatriés attirés par les nouveaux emplois offerts dans l'île ancestrale; le flux migratoire net, négatif depuis des siècles, s'inversera pour la première fois durant la décennie 1970, où le seuil des trois millions d'habitants, franchi à la baisse au tout début du siècle, sera retrouvé et dépassé.

Cependant la Commission européenne, gardienne des règles assurant le bon fonctionnement du Marché commun dont l'Irlande fait maintenant partie, s'inquiète du traitement fiscal de faveur dont bénéficient les industriels étrangers s'installant chez elle. En 1978 l'EPTR est supprimé et remplacé par un taux de 10% de l'impôt sur les sociétés applicable à toutes les industries manufacturières.

De ce taux bénéficieront également les prestataires de services internationaux installés sur le sol irlandais. En 1979 le ministre des postes et télécommunications Albert Reynolds lancera un programme d'investissements massifs dans la numérisation du réseau téléphonique national, passant de nombreuses commandes de centraux téléphoniques à la firme française Alcatel et à son homologue allemande Siemens. Ainsi connectée à l'intérieur et avec l'extérieur, l'Irlande va pouvoir attirer chez elle les sociétés de services internationaux, en particulier les centres d'appels (call centers), où de nombreux jeunes Français et Françaises viendront travailler.

Mais la conjoncture internationale s'est mise en travers de l'essor ainsi amorcé. Fin 1973, le gouvernement de coalition Fine Gael-Labour, qui vient d'entrer en fonctions, est confronté au premier choc pétrolier. A la différence du Royaume-Uni, mis relativement à l'abri par le pétrole et le gaz de la mer du Nord, l'Irlande, où le modeste gisement de Kinsale vient tout juste d'être identifié, est touchée de plein fouet par la crise énergétique.

Le taoiseach Liam Cosgrave choisit alors de laisser filer le déficit budgétaire. Pour en limiter l'ampleur il institue en 1974 un impôt sur la fortune (wealth tax). Cette initiative provoque une fuite des capitaux à l'extérieur.

En 1977 Jack Lynch et le Fianna Fail sont ramenés au pouvoir par les électeurs. L'impôt sur la fortune est supprimé, ainsi d'ailleurs que l'impôt local sur la propriété résidentielle. Seuls les immeubles à usage industriel et commercial continueront à payer les « rates ». L'allocation de premier achat de logement est introduite.

Mais l'effort de relance du Fianna Fail est réduit à néant par le deuxième choc pétrolier, tandis que s'aggrave le déficit financier. L'inflation atteint 20% en 1981. La livre irlandaise est décrochée du sterling et rejoint le « Serpent monétaire européen ». Elle devra être dévaluée plusieurs fois au cours des années qui suivront.

Alors s'ouvre une période d'agitation sociale. Des grèves à la poste et chez Aer Lingus durent plusieurs mois. Elles sont suivies d'une grève nationale des bus. Les salariés s'estiment défavorisés par le système de prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu Pay As You Earn ou PAYE. Cependant le ministre de la santé Charles Haughey a mis en place un nouveau système de sécurité sociale, le Pay Related Social Insurance ou PRSI, qui améliore sensiblement la protection des travailleurs.

Ce climat troublé a des répercussions politiques. Charles Haughey, devenu taoiseach, perd les élections de juin 1981, au profit de Garret Fitzgerald, chef du Fine Gael, allié au Labour, qui impose l'abolition de la TVA sur les vêtements et chaussures d'enfants. Mais la nouvelle majorité est fragile. Quatre gouvernements vont se succéder en deux ans. En novembre 1982 la coalition Fianna Fail-Labour revient au pouvoir, cette fois jusqu'en 1987.

L'horizon économique reste sombre: faible croissance, fort taux de chômage, qui en 1987 frôlera les 17% de la population active, émigration accrue. La dette publique enfle rapidement et atteint jusqu'à 130% du Produit intérieur brut ou PIB, c'est-à-dire la valeur ajoutée des biens et services produits dans le pays pendant une année. Pourtant le ministre des finances Alan Dukes s'attaque courageusement au déficit budgétaire, qui entre 1982 et 1987, recule de 16% à 8% du PIB.

Le Fianna Fail, alors dans l'opposition, fait campagne pour une approche plus libérale et dynamique de l'économie, une campagne menée par Desmond O'Malley, Mary Harney et Charlie McCreevy. En 1985 les deux premiers font scission et fondent les Progressive Democrats (Démocrates de progrès) ou PDs, dont le programme vise à mettre en place un modèle de développement résolument libéral en créant un environnement encore plus favorable aux affaires.

Alors vient le grand tournant. Les élections de février 1987 mettent en place un gouvernement minoritaire Fianna Fail dirigé par Charles Haughey. Le ministre des finances Ray Mac Sharry inaugure une nouvelle politique économique placée sous le signe du retour à l'orthodoxie budgétaire et du désengagement de l'Etat, à l'école de la britannique Thatcher et de l'américain Reagan.

A l'occasion d'une conférence le 2 septembre 1987 à la chambre de commerce de Tallaght, le nouveau chef du Fine Gael, Alan Dukes, annonce que son parti soutiendra la politique économique du gouvernement La « stratégie de Tallaght » inaugure le consensus politique qui va permettre l'émergence du Tigre celtique.

Le budget de 1988, approuvé par les deux grands partis, réduit drastiquement les dépenses des différents ministères. L'éducation et la santé sont particulièrement touchées, ce qui n'est pas sans causer quelque émotion. Aux nouvelles du matin à la RTE un présentateur s'écrie: « But people are dying, Minister, people are dying! ».

Des hausses d'impôt ont également lieu. Mais le taux général de l'impôt sur les sociétés est réduit de 50 à 43%. La rigueur budgétaire permet à la Banque centrale d'abaisser le coût du crédit.

Cependant sur un point la nouvelle politique se distingue radicalement du modèle thatchérien. Une de ses composantes importantes est en effet le « partenariat social » associant gouvernement, syndicats et patronat, concrétisé par la signature du premier accord tripartite sur les salaires, le Programme pour le redressement national (Programme for National Recovery PNR) 1988-1990.

L'accord prévoit des hausses de salaires modérées en échange de promesses gouvernementales de réduction des impôts personnels, d'augmentation des prestations sociales et de plus grande association des partenaires sociaux aux décisions de politique économique. Son artisan direct est le ministre du travail, Bertie Ahern, alors âgé de trente-six ans, qui révèle dans cette tâche sa passion pour le consensus, une passion qu'il continuera de cultiver devenu taoiseach.

Mais, nonobstant le partenariat social, les charges sociales pesant sur les entreprises sont maintenues à un niveau très bas, à l'image de la fiscalité, avec en contrepartie une sécurité sociale d'Etat réduite au minimum. La législation sociale continue d'être peu contraignante, qu'il s'agisse par exemple de la durée des congés ou de l'indemnisation des licenciements. Les multinationales, qui mettent en place pour leur personnel des formules d'assurance privée, tiennent les syndicats à l'écart avec la complicité de travailleurs bien payés

La dernière et non le moindre des initiatives économiques de l'année 1987, inspirée par le financier Dermot Desmond, est la création du Centre de services financiers internationaux de Dublin, travaillant off-shore pour le compte de non-résidents et bénéficiant du même régime fiscal favorable que les autres clients de l'IDA. L'IFSC, installé sur le site des Docklands, les anciennes installations portuaires, connaît un succès immédiat et durable.

Si les financiers de l'IFSC travaillent à l'échelle du monde, les industriels étrangers établis en Irlande ont pour cible prioritaire le marché européen. Or les produits fabriqués en Irlande circulent certes dans le Marché commun sans barrières douanières mais ils se heurtent aux multiples barrières non-tarifaires, normes et réglementations en tout genre, des différents Etats membres. Un homme va changer cette situation: Jacques Delors, président de la Commission européenne depuis 1984. En 1987 l'Acte unique européen crée le Marché unique (Single Market) succédant au Marché commun.

Tous ces facteurs combinés font repartir la croissance: elle est de 4,2% en 1987, de 4,6% en 1988, de 6,2% en 1989, de 7,8% en 2000. L'inflation est contenue au voisinage de 2,5%, ce qui permet une hausse des revenus réels à partir de 1989. Entre 1987 et 1989 le taux de chômage recule de 16 à 12%. Le nombre de conflits sociaux sur la même période tombe de 100 à 35 par an. Le déficit budgétaire est stabilisé autour de 2% du PIB et la dette publique amorce sa décrue, repassant en dessous des 100% du PIB en 1989.

Mais une fois encore l'actualité internationale compromet le processus de redressement. Le président irakien Saddam Hussein annexe le Koweït. Le président Bush l'Ancien déclenche la guerre du Golfe. Les besoins de financement de la réunification allemande poussent à la hausse les taux d'intérêt. Un ralentissement général des affaires s'ensuit.

L'Irlande subit le contrecoup de la conjoncture mondiale. La croissance n'y est plus que de 1,9% en 1991, soit une chute de six points d'une année sur l'autre. Elle remonte à 3,3% en 1992 mais fléchit à nouveau l'année d'après avec seulement 2,7%. Le chômage se remet à croître et retrouve son niveau antérieur de 16% de la population active.

Nous sommes alors en 1993. Aux Etats-Unis, avec l'avènement du président Clinton, va s'ouvrir la plus longue période de prospérité de l'après-guerre. L'Europe, elle, aborde une nouvelle phase de son intégration avec l'entrée en vigueur du traité de Maastricht, ratifié par 70% des électeurs irlandais, qui institue l'Union économique et monétaire. En janvier 1993 la livre irlandaise est dévaluée pour la dernière fois, avant d'entrer dans la monnaie commune, qui s'appellera l'euro.

Le Tigre celtique va pouvoir faire son apparition.

Le Tigre bondissant

En 1994 la croissance irlandaise dépasse à nouveau les 5%. En 1995 elle est de 10%. Sur les sept années 1994-2000 elle sera en moyenne de 9,3%,soit plus de trois fois la croissance moyenne de l'Union européenne, qui, dans cette période économiquement faste pour tous, reste inférieure à 3%. L'OCDE, les sages du château de la Muette à Paris, une institution éminemment pondérée, qualifie la performance irlandaise de « stunning », ce que le Harraps traduit par « étourdissant, renversant, éblouissant ».

Les dragons asiatiques des années 1980 ont trouvé leur émule. Si Voltaire vivait aujourd'hui et s'il était économiste, il ne pourrait plus dire: « Les Irlandais savent se battre, sauf dans leur pays »

La Toile couvre le monde, bouleversant la façon de travailler des entreprises, et un petit appareil conquiert les habitants de la planète: le téléphone portable. L'Irlande bénéficie fortement de ces nouvelles percées, qui enthousiasment les Bourses de tous les pays. Elle est devenue terre d'élection pour les biens et services liés aux hautes technologies. Au point que les jeunes cadres irlandais des firmes informatiques américaines, y ayant acquis leur savoir-faire, créent leurs propres entreprises.

L'industrie indigène irlandaise se taille une place dans la high tech, dans les logiciels et services informatiques avec Iona, qui entrera au NASDAQ en 1997, Baltimore et tous les autres. mais aussi dans la pharmacie avec Elan, qui deviendra la plus forte capitalisation de la bourse de Dublin.

L'Irlande, dont le revenu par habitant n'est au début des années 1990 que de 60% de la moyenne européenne, va alors recevoir une aide accrue de la part de l'Europe institutionnelle. Les fonds structurels européens, destinés à faciliter le rattrapage économique des régions et des pays les moins avancés de l'Union,.jouent un rôle central dans la mise en oeuvre de la stratégie industrielle de l'Etat irlandais car ils aident à financer l'implantation sur le terrain de pôles (ou « clusters ») où sont valorisées les nouvelles technologies. Ces fonds structurels ont déjà été doublés avec l'Acte unique européen, ils le sont à nouveau par le traité de Maastricht.

L'Europe se préoccupe aussi des infrastructures de base. Le traité de Maastricht crée au profit exclusif des quatre pays membres les plus défavorisés dans ce domaine (Espagne, Portugal, Grèce et Irlande) le « fonds de cohésion ». Ainsi peuvent être lancés ou accélérés le programme autoroutier, celui des transports publics de l'agglomération dublinoise, les grands projets d'eau et d'assainissement.

Au total c'est environ 40% du coût des projets inscrits au Plan de développement national septennal 1993-1999 qui seront couverts par les fonds européens. Cependant les infrastructures industrielles se développent plus vite que les infrastructures classiques, creusant l'écart entre les forces productives du pays et son équipement. L'ensemble des aides au titre du Cadre communautaire d'appui représente annuellement au début 2,4% et à la fin 2,8% du PIB.

Le partenariat social fait maintenant partie de la vie nationale. Les accords triennaux successifs prévoient la limitation de la hausse des salaires, une limitation compensée pour les salariés par la baisse des taux de l'impôt sur le revenu. Les noms de ces accords vont illustrer la marche conquérante du Tigre: « Programme pour le progrès économique et social », « Programme pour la compétitivité et le travail », « Partenariat 2000 » et enfin « Programme pour la prospérité et l'équité » (PPF) couvrant la 2000-2002.

C'est que les recettes engendrées par le Tigre lui permettent de satisfaire tout le monde. L'amélioration des finances publiques est spectaculaire. Le budget de l'Etat redevient excédentaire en 1997. Le Tigre accomplit un miracle: plus les taux de l'impôt baissent et plus les recettes fiscales augmentent. Le solde positif va continuer de croître et frôlera les 5% du PIB en fin de période. La dette publique diminue régulièrement. En 2000 elle ne représentera plus que 35% du PIB, le taux le plus bas de toute l'Union européenne après le Luxembourg

La politique économique du pays pendant toute cette période est marquée par une parfaite continuité, un point très apprécié des investisseurs et des financiers étrangers, et d'autant plus méritoire que la vie politique irlandaise reste mouvementée.

Aux élections de 1989 le Fianna Fail ne conserve le pouvoir qu'en s'alliant avec les Démocrates de progrès. Le Fine Gael, qui se présentait comme le plus apte à poursuivre la politique de redressement économique, ne remporte pas le succès escompté. Son chef, Alan Dukes, première victime politique du Tigre celtique, cède sa place à John Bruton. Le taoiseach Charles Haughey est lui-même bientôt remplacé par son ministre des finances Albert Reynolds, qui avait succédé à Ray Mac Sharry, nommé commissaire européen à l'agriculture.

Mais Reynolds s'est brouillé avec ses alliés PDs à propos d'une affaire d'exportation de viande sur l'Irak. Changeant de partenaires, il dirige de 1992 à 1994 un gouvernement Fianna Fail-Labour, avec comme ministre des finances Bertie Ahern, à qui revient la tâche ingrate de mener à bien la dévaluation de 1993 imposée par le flottement de la livre sterling.

Mais le Labour à son tour change d'alliés, rejoignant le Fine Gael. Reynolds démissionne. Lui succède un gouvernement dit de l'Arc-en-ciel dirigé par John Bruton, dont le ministre des finances, le travailliste Ruiri Quinn, démontre la capacité de son parti à poursuivre la politique qui a permis l'arrivée du Tigre.

L'Arc-en-ciel gouvernera jusqu'à la fin de la législature en 1997. Bertie Ahern devient chef du Fianna Fail. Les élections de juin 1997 amènent au pouvoir une coalition Fianna Fail-PDs, qui apporte enfin la stabilité puisque elle dure encore aujourd'hui.

Mais ces aléas politiques n'affectent pas les acteurs économiques. Il est vrai que si les dragons asiatiques, Singapour, la Corée, Hong-Kong, Taïwan, ont connu un développement économique conduit par l'Etat et les grands groupes industriels autochtones, le Tigre celtique au contraire, c'est le champ libre, le plus libre possible, laissé aux investisseurs étrangers. Les économistes disent que l'Irlande a été un « Etat à développement flexible » par opposition aux « Etats à développement bureaucratique » d'Asie de l'Est.

L' « effet de démonstration » contribue à continuer d'attirer les multinationales en Irlande. La question n'est plus « Pourquoi irais-je en Irlande? » mais « Pourquoi ne suis-je pas en Irlande ? ». En 1997 les investissements directs étrangers représentent 48% des emplois industriels, 69% de la production et 85,5% des exportations. Les entreprises étrangères paient des salaires 25% plus élevés que l'industrie indigène.

La Commission européenne cependant, constatant l'amélioration de la situation économique de l'Irlande, estime que les conditions fiscales de faveur dont y jouissent les investisseurs étrangers ne sont plus justifiées. Le gouvernement irlandais tourne la difficulté grâce à la réduction progressive, déjà entamée, du taux général de l'impôt sur les sociétés. Un accord conclu avec la Commission en 1998 prévoit que ce taux, applicable à tous, sera de 12,5% à compter du 1er janvier 2003. Ce dispositif rassure plutôt qu'il ne contrarie les multinationales.

Le pays s'installe ainsi dans ce que les économistes appellent une « économie duale », partagée entre un secteur moderne conquérant et un secteur traditionnel à la précarité croissante, de plus en plus menacé par les importations.

Mais les multinationales ont leurs inconvénients. Les industries du Tigre celtique font appel au capital plus qu'au travail. Le chômage met du temps à reculer. En 1993 il est revenu au niveau de 1987, autour de 17%. En 1997 il est encore de 10,3%. Cependant la décrue s'accélère à cette date. L'élan donné par la high tech stimule l'emploi dans d'autres secteurs, comme celui de la construction, alors que l'arrivée massive des Américains à la recherche de leurs racines fait les beaux jours de l'hôtellerie-restauration. En fin de période le nombre des demandeurs de travail descendra au dessous de 4% de la population active.

Est-ce une coïncidence ? 1994, la première année du Tigre celtique, est aussi celle du cessez-le-feu annoncé par l'IRA en Irlande du Nord, exemple bientôt suivi par les milices loyalistes, qui permettra les accord du Vendredi Saint de 1998. Ne peut-on pas penser que la baisse rapide du chômage, inversant le rapport économique entre les deux parties de l'île, a détourné la jeune génération du combat nationaliste, ses objectifs étant désormais l'exercice d'un emploi salarié et la jouissance d'un revenu sans cesse amélioré, ceux du Nord souhaitant imiter les chanceux du Sud ?

Un autre inconvénient des investisseurs étrangers est le rapatriement de leurs bénéfices hors d'Irlande. Ces sorties de capitaux atteignent 17% du PIB à la fin de la période du Tigre celtique, soit 1 à 2 points de croissance en moins. Le revenu national par habitant sera en 2000 le deuxième plus élevé de l'Union européenne après le Luxembourg si on le calcule sur le produit intérieur brut (PIB) mais seulement légèrement supérieur à la moyenne européenne, et comparable à celui de la France si on raisonne en produit national brut (PNB), un « agrégat » qui exclut le solde des transferts financiers avec l'extérieur.

Mais ces différences de chiffres ne doivent pas masquer le fait fondamental: grâce au Tigre celtique les Irlandais sont, pour la première fois de leur histoire, devenus riches.

L'envolée des prix de l'immobilier est la marque la plus évidente du phénomène d'enrichissement, la demande, alimentée par la hausse sensible des revenus par tête à partir de 1994, ne cessant de précéder l'offre. Le mouvement est entretenu par les bas taux d'intérêt, l'endettement des ménages irlandais, parti de très bas, restant malgré tout modéré.

L'inflation reste pourtant contenue jusqu'en 2000, année où les derniers mois voient se produire une flambée des prix, atteignant 7% de hausse annuelle en novembre, signal d'une économie fortement déséquilibrée. L'Irlande détient alors le privilège peu enviable d'être un des pays les plus chers d'Europe, ce dont les touristes vont finir par s'apercevoir.

Les immatriculations de véhicules neufs sont une autre manifestation de la nouvelle richesse du pays. Elles sont de 75.000 en 1993, 153.000 en 1997 et 275.000 en 2000, effet millénaire aidant. Ce gonflement massif du parc roulant, ne manque pas d'affecter la circulation dans le Grand Dublin, d'autant plus que la situation du marché immobilier impose aux gens d'habiter de plus en plus loin du centre.

Tels sont les problèmes des riches. Pourtant tous sont pas riches.. En fait les années du Tigre celtique vont voir l'enrichissement des classes moyennes mais aussi l'accroissement de la pauvreté des plus pauvres.

Il y aura toujours des pauvres parmi vous. Cette parole de l'Evangile se vérifie dans l'Irlande du Tigre celtique, où il y en a même de plus en plus. La part des Irlandais vivant avec 50% ou moins du revenu moyen de la population passe de 18,6% en 1994 à 24,6% en 1998. Selon les critères du PNUD, le Programme des Nations Unies pour le développement, l'Irlande se situe à l'avant-dernier rang des pays industrialisés (après le Royaume-Uni et avant les USA) au classement de l'indice de pauvreté, un critère qui révèle l'existence d'une société duale à côté d'une économie duale.

Pourtant le partenariat social, à côté de son rôle comme instrument de politique économique, a pris aussi des initiatives comme la Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, la NAPS, les programmes mis en oeuvre dans ce cadre bénéficiant de financements européens. On assiste néanmoins à un recul des dépenses sociales en pourcentage du PIB.

Même le succès du Tigre celtique en matière d'emploi doit être nuancé. La proportion d'emplois à temps partiel s'accroît dans les années du Tigre, passant de moins de 7% à près de 11% du total. Nombreux sont les emplois saisonniers. Le chômage au sens strict descend en fin de période à un niveau résiduel enviable mais le nombre des travailleurs indemnisés inscrits au « Live register » reste plus du double.

Les menaces sur l'environnement sont un autre des effets pervers de la croissance. L'Irlande industrialisée et motorisée du début du troisième millénaire émet des gaz à effet de serre à un rythme double de celui autorisé par le protocole de Kyoto. L'eau, cette richesse traditionnelle de l'île Verte, est menacée. Enfin la multiplication des déchets ménagers et industriels attaque le paysage, avec la prolifération des décharges sauvages, l'absence de moyens suffisants de recyclage et le refus persistant des incinérateurs par la population.

Restent les effets psychologiques du Tigre. A-t-il créé, comme le disent certains, une « nation étrangère à elle-même » ? La montée du taux des suicides, surtout parmi les jeunes, est un symptôme inquiétant. La perte d'influence des structures d'encadrement traditionnelles, l'église, la famille, laisse les individus face à eux-mêmes, ainsi qu'en témoigne l'augmentation du nombre des « ménages à un », les « single households », qui est un des aspects du problème du logement.

L'alcoolisme et la drogue, ces « côtés sombres » de la réalité irlandaise, pour reprendre l'expression de la présidente McAleese, se sont répandus pendant les années du Tigre. La violence continue à faire partie de la vie nationale. La « civilisation du pub » reste une valeur ambiguë, modèle de convivialité mais aussi évasion commode face au présent et surtout à l'avenir.

« Vivre avec le Tigre celtique feulant devant ma porte était devenu fatigant » Tel est le cri du coeur d'une jeune journaliste dublinoise partie s'établir avec ses enfants à la campagne en France.

Mais ces critiques restent très minoritaires. Le miracle irlandais fait l'émerveillement de l'Europe, particulièrement des pays de l'est du continent, récemment passés du communisme au capitalisme, qui viennent chercher en Irlande la recette d'un décollage économique rapide. Pour une Irlandaise au moins cette recette ne fait aucun doute. A l'été 2000 la tanaiste Mary Harney déclare qu'elle se sent « plus proche de Boston que de Berlin ».

La seule question que tous se posent est de savoir si et combien de temps le Tigre va durer.


Le crépuscule du Tigre


En 2000 les économistes, dont certains annoncent depuis trois ans la fin du Tigre, sont unanimes quant au principal obstacle à la poursuite de la forte croissance irlandaise: la raréfaction de la main d'oeuvre disponible. Le Tigre a besoin de toujours davantage de monde. Le nombre des emplois à occuper dans l'île Verte est passé durant la décennie de 1.183.000 à 1.670.000, soit près d'un demi-million de nouveaux postes créés.

Or le taux de natalité dans la très catholique Irlande a baissé de plus d'un tiers entre 1980 et 1995. Le Tigre celtique interrompra cette baisse. Le nombre annuel de naissances, tombé à moins de 48.000 en 1994, remontera à plus de 54.000 en 2000. Mais l'arrivée à l'âge du travail des générations creuses de l'avant-Tigre va maintenant se manifester.

. Fin 2000 un économiste calcule que l'accroissement naturel de population et les progrès de productivité ne pourront apporter respectivement que 2% et 5% de hausse du PIB. Où donc le Tigre trouvera-t-il le reste ?

Il y a une première réponse: faire travailler davantage les femmes. Mais leur taux d'activité, longtemps un des plus bas de l'Union européenne, est aujourd'hui un des plus élevés.

La seule solution véritable est l'appel à la main d'oeuvre extérieure. Depuis 1997 le solde migratoire, redevenu négatif dans les années 1980, est à nouveau positif. Mais le rythme est insuffisant. Il faut trouver ailleurs sur la planète encore plus, toujours plus de travailleurs.

Le gouvernement irlandais relève le défi. Des missions de l'Agence nationale de l'emploi FAS partent pour des pays ciblés, à commencer par les grands pays de langue anglaise, Canada, Australie et aussi Afrique du Sud, où les autorités locales reprochent à l'Irlande de vouloir lui prendre ses cadres, à quoi il est répondu qu'il ne s'agit que de les emprunter pour les rendre mieux formés. Les pays d'Europe de l'Est sont également visés mais l'immigration en provenance de cette zone n'est pas toujours du type souhaité.

Grâce à la main d'oeuvre venue d'ailleurs, les économistes n'excluent pas un taux de croissance de 8,5% encore en 2001 après les 11,5% de 2000. Mais l'économie du Tigre, une des plus ouvertes au monde après Hong-Kong et Singapour, dépend avant tout de la demande extérieure. Or l'environnement mondial va connaître cette année-là plusieurs chocs, affectant fortement l'Irlande.

Le premier est le choc technologique. Le marché des PC et plus encore des téléphones mobiles, arrivé à un point de saturation, se contracte brusquement, entraînant dans son sillage les fabrications et les services qui lui sont liés. La « bulle Internet » éclate. Les valeurs technologiques s'effondrent en bourse, déclenchant un recul général sur les places financières. Les multinationales du secteur des TIC annoncent des réductions d'effectifs.

Le ralentissement économique global concerne d'abord les Etats-Unis, marquant le terme de la longue période de prospérité qui a caractérisé les deux présidences Clinton. L'Irlande, d'où les multinationales exportent surtout sur l'Europe et le Moyen-Orient, espère d'abord que l'impact chez elle sera limité.

Son principal problème est alors l'inflation. Comme elle fait partie des douze pays s'apprêtant à introduire chez eux l'euro au 1er janvier 2002, ses partenaires européens surveillent de près sa politique des prix. Le 12 février 2001 le budget du ministre McCreevy est condamné par l'ECOFIN, le conseil des ministres européens des affaires économiques et financières, comme pro-cyclique et inflationniste.

Non seulement le gouvernement mais aussi les citoyens irlandais, fiers des exploits du Tigre, ressentent cette condamnation comme une injustice, voire un affront. Les électeurs irlandais s'en souviendront sans doute le 6 juin suivant, quand ils diront « non » au traité de Nice.

L'inflation affecte les coûts industriels. Malgré le partenariat social les revendications salariales resurgissent, créant un climat d'agitation sociale qu'on n'avait pas vu depuis longtemps. En décembre 2000, le « Programme pour la prospérité et l'équité » 2000-2002 doit être ajusté en catastrophe, avec trois points supplémentaires d'augmentation des salaires sur la période. Les hausses effectives sont beaucoup plus élevées dans les multinationales, qui s'arrachent le personnel qualifié.

Les coûts industriels s'en ressentent. Or l'Europe de l'Est, qui va bientôt entrer dans l'Union, offre une main d'oeuvre bien meilleur marché. La grande peur s'installe que les investisseurs étrangers, qui n'ont pas de patrie, désertent l'île Verte pour des sites plus propices. Il n'est que plus important de les retenir par des taux d'impôt avantageux, ce qui raidit l'Irlande dans son opposition aux projets d'harmonisation fiscale dans l'Union.

Il n'y a pas que l'industrie qui donne du souci. Le 21 février 2001 la fièvre aphteuse fait son apparition dans la Grande Ile voisine. L'Irlande prend des mesures draconiennes, supprimant toutes manifestations de masse, à commencer par la Saint-Patrick, fermant ses campagnes aux visiteurs. L'épidémie sera tenue en échec mais le tourisme, qui représente 6 à 7% du PIB irlandais, est fortement perturbé.

Quand arrive l'été, toutes les mesures sanitaires ont été levées et un retour à la normale est espéré. C'est alors que plusieurs grands industriels américains annoncent des décisions qui sont autant de coups de tonnerre. Gateway abandonne l'Irlande avec mille cinq cents emplois supprimés. General Semiconductors annonce la fermeture d'une usine employant huit cents personnes. Intel suspend sine die la construction d'une nouvelle usine à Dublin, un projet d'un milliard d'euros.

Certains craignent le pire. Un économiste évoque la Zambie. Cet Etat enclavé d'Afrique australe avait connu un développement impétueux. Quand les cours du cuivre se sont effondrés, les multinationales sont parties. Le pays est retombé à sa misère initiale. Les optimistes pensent que la high tech n'est pas le cuivre et que l'Irlande n'est pas la Zambie.

Et puis se produit le 11 septembre. L'Irlande est le seul pays d'Europe à décréter un jour de deuil national. La bourse de Dublin perd 20%. Les Américains annulent leurs voyages. Aer Lingus a plus de la moitié de ses avions cloués au sol. Au total ce seront cinq cent mille touristes de moins sur les plus de quatre millions de visiteurs de l'an 2000. La crise économique s'accentue aux Etats-Unis.

Et pourtant le Tigre résiste. La croissance sera encore de près de 7% en 2001 et de 6% en 2002, alors que les Etats-Unis sont en récession et que le reste de l'Europe, à quelques exceptions, s'apprête à suivre leur exemple.

C'est qu'un secteur a échappé à la tendance générale et continue de se développer fortement: celui de la pharmacie, qui voit croître ses ventes en particulier outre-Atlantique, où la déprime accroît peut-être le besoin de médicaments, au point qu'on peut penser un moment que l'Amérique va devenir le premier client de l'Irlande, au lieu de l'Angleterre qui a occupé cette place depuis toujours.

Le rôle des multinationales, pharmaceutiques mais aussi financières, dans ce maintien de la croissance irlandaise est souligné par le fait que, si le produit intérieur connaît cette belle avancée, le produit national, qui exclut les profits desdites multinationales, ne progresse que de moins de 1%.

La remontée de l'euro face au dollar sera le dernier coup porté au Tigre. Elle renchérit brutalement les produits fabriqués dans l'île Verte, dont les prix de revient sont déjà élevés face à ceux de l'Europe de l'Est et de la Chine. Les exportations, dont 60% sont dirigés hors de la zone euro, reculent. Les délocalisations reprennent. La croissance de l'économie irlandaise pour 2003, en produit intérieur comme en produit national, ne sera qu'à peine plus de 2%, inférieure à celle des Etats-Unis et de plusieurs pays européens.

Mais le Tigre a accompli son oeuvre. Il était avant tout un phénomène de rattrapage. Or l'Irlande a maintenant rejoint les rangs des pays industrialisés développés. Elle pourrait devenir contributrice nette au budget de l'Union dans le courant de l'actuelle décennie. Depuis le 1er janvier 2004 elle ne bénéficie plus du fonds de cohésion.

Pourtant les besoins restent considérables. L'écart entre une industrie vouée aux technologies les plus modernes et une infrastructure de pays sous-développé n'a fait que s'accroître au cours des années du Tigre. L'action des propriétaires du sol, des défenseurs de l'environnement, des syndicats de fonctionnaires protégeant les droits acquis, des usagers refusant les péages et des contribuables rejetant les nouvelles taxes, retarde l'effort d'équipement du pays. Les agriculteurs demandant un meilleur prix pour leurs terrains ont pu bloquer le programme routier pendant un an entier.

Le rattrapage n'est donc pas achevé. Les économistes estiment qu'il subsiste en Irlande un potentiel de croissance supérieur à la moyenne de l'Union européenne, potentiel qu'ils évaluent à 4 à 5% par an jusqu'à la fin de la présente décennie.

La technologie et les grands travaux devraient être les éléments porteurs des années à venir. L'IDA a choisi de faire la part du feu, ne cherchant plus à retenir ou à attirer les productions ordinaires, se concentrant sur les activités à forte valeur ajoutée et à fort contenu technologique, aidant à la création en Irlande de centres de recherche et de développement, mettant l'accent sur les biotechnologies, en particulier les nanobiotechnologies, dont la matière est l'infiniment petit vivant, mais aussi le haut débit pour la télématique et la troisième génération de téléphonie mobile, autant de percées dont on espère qu'elles feront repartir le marché.

En même temps les autorités cherchent les moyens de consacrer plus d'argent aux investissements de base sans creuser le déficit public, un dilemme que l'ingéniosité des financiers et l'appel au partenariat public-privé devraient permettre de surmonter.

L'Europe encore une fois vient à la rescousse avec sa toute récente initiative de croissance, dont l'Irlande, qui dispose d'un savoir-faire sans égal pour attirer chez elle les fonds communautaires, devrait pleinement profiter.

L'après-Tigre commence, aidé par le re-démarrage de la conjoncture internationale. Le Tigre celtique aura été à la fin du XXème siècle une sorte de Grande Famine à rebours, dont est sortie une Irlande radicalement différente.

Le Tigre est mort, vive le Tigre

Nous avons connu le Tigre celtique;

Oh, c'était une bête fantastique!

Nous chevauchions sa puissante encolure;

Des ans durant il a gardé sa vive allure;

La croissance et l'emploi jaillissaient sous ses griffes;

De son souffle il faisait monter au ciel les chiffres.

Venu chez nous lorgner cet animal notoire.

Plus d'un pour son usage un aussi bon voudra,

Il nous a quittés, entrant dans l'histoire:

Peut-être qu'un jour il nous reviendra!

Google search
Google
Web http://www.geoscopies.net/GeoCMS/