Lettre d’hôpital écrite au Joueur
Le cigare que Marcellin m’a donné me donne envie de boire un alcool fort en ta compagnie et de quatre autres amants que nous aurions choisis. Il y en a tu le sais qui m’occupent l’esprit.
J’ai besoin de faire du sport, de parler avec mon corps comme tu le fais si bien et le ferais davantage si j’étais auprès de toi.
Mais j’accepterai mon sort. S’il faut rester en HP pour me purifier l’esprit, s’il faut écrire encore, tout déballer, je le ferai.
Je veux nous faire gagner. Je veux tout simplement vivre dans la paix, sans les brûlures qui me sautent à la gorge à force d’imaginer l’avenir dans ce temps présent que je partage à distance, nous sommes aussi rapides que la lumière et pressés de faire rejoindre les différents mondes, monde des Justes et des divinités là-haut et celui de la Terre, victime de la faim, des guerres, de l’ignorance, de l’intolérance et du racisme qui tente de me transformer et me tenir éloigné de toi, de vous.
Ce mal n’y arrivera pas même si des mots merdeux font irruption dans mes pensées, les tentations échouent à chaque fois : je me réveille tel que je suis, amoureux de toute l’humanité, de tout ce qui fait un homme ou une femme, quelle que soit son origine, à partir du moment qu’il ou elle ait abandonné toute logique de meurtre, à partir du moment où moi-même je me soulève comme un élève, jamais détaché de toi et de vous, afin d’enfanter de nouvelles strophes, rythmes et bouffées d’amour de toujours.
Je dois attendre. Mais surgit une question : notre langage codé avec les « éléments » n’est-il pas une autosuggestion de ma part ? Tu me fais tirer la sonnette d’alarme de la chambre. Je vois.
Je ne dois donc pas paniquer, attendre, attendre et continuer de t’écrire moi qui semble t’avoir tout dit, sauf le principal : un éventuel déni de l’amour que tu m’envoies. Normal : tu ne m’envoies aucun signe tangible. Du concret ! Du concret et du concret ! Concret, concret, dit le médecin. La guérison des virus ne peut plus attendre et mon envie de respirer aussi.
Je dois admettre que de temps en temps des points d’acupuncture à la racine des pieds se mettent à chauffer et piquer. Mais c’est tout ou presque. D’accord, les mouvements de tête, les sacs avec leurs logos publicitaires, les mouvements de voitures, camions, les avions. Mais tout cela est-il un simple hasard ou relève-t-il de tes interventions ou de nos divinités qui voudraient bien se mêler ou tout simplement par le fait que le premier homme-femme et toi premier homme de l’humanité, voire même premières cellules de vie, nous trouverions, je trouverais normal que tout s’imbrique et se déroule à mes pieds et tout autour de nos corps pour le meilleur et pour le pire lorsque je suis un temps possédé par les démons, les tiens, les miens.
Je me gratte comme un singe, me plie, me déplie, me tord, je voudrais tellement me soulager derrière les tympans, faire tomber mon masque africain, retrouver la mémoire de mes gestes égyptiens, et unir les multiples points (en réalité des trous) du plafond, ou me perdre en chacun d’eux, sortes de pores où tu viendrais t’attacher.
Quand je persiste à divaguer c’est-à-dire à nier notre relation, tu me plonges dans une fatigue profonde et des arbres morts. Des maux de ventre me font comprendre que tes lois me gouvernent et me font tourner la tête comme dans une transe brésilienne ou une danse indienne, japonaise, tibétaine, soufie.
J’aimerais en égrener la liste en te caressant les pieds.
Je prononce ton nom. Je n’arrive à y croire. Et pourtant c’est tellement vrai. Depuis que j’écris, le soleil a percé les nuages alors qu’il neige ! Ne serais-je pas condamné à une écriture d’observation symbolique ?
Le soleil brille, brille, brille et cette fois, tes rires sur la pelouse du stade avant-hier me font plaisir.
Toi tu t’éclates avec la France multicolore, celle dont je rêve.
Le feu s’empare de ma gorge. D’aucuns pourraient me croire possédé. Allons chercher l’exorciste en plus du psychiatre, de l’ami rationaliste etc…
Il faut bien m’avouer que toi, l’homme marié, père de quatre enfants, vivant en harmonie avec ta famille, ne me semble guère l’homme « idéal » pour d’abord révéler ce que je pourrais être, dieux que nous serions tous les deux : charabia pour chat.
Une voiture accélère et emprunte les virages à toute blinde. Des ouvriers travaillent avec du béton à l’intérieur de l’hôpital. Leur engin s’appelle Manitou.
Je m’imagine transformé(e), nue sous un manteau de fourrure et nous irions passage Pommeraye à Nantes comme dans un film de Demy : bois mort. Non, nous irions déjeuner à Marseille au bord de la mer : bois mort. Nous sommes donc voués à ne jamais nous rencontrer. Ou alors ici, ou au Canada, à Barcelone ou au Brésil.
Comment concilier ta vie de famille et notre union : je panique, je redoute le scandale, je ne veux surtout pas le naufrage des tiens, ce serait le mien. Le nôtre à coup sûr.
Je suis peut-être un enfant inconscient de ce que nous avons déjà engendré. Seul, entouré : un nuage, un avion. Envie d’aller dans le désert avec tes caravanes antiques et nos nuées blanches de nos dénuements que nous avons si longtemps apprivoisées.
Pourquoi y aurait-il gêne, timidité ou cris de haine lors de notre première rencontre ? Est-ce-toi ? Ne caches-tu pas quelqu’un d’autre ? Tu es toujours là avec ce qui m’apparait toujours comme un problème insoluble : ta famille et cette transformation-mutation qui conduirait à notre fusion thermonucléaire. Entends-tu ma voix ?
Dois-je attendre sur ce banc d’hôpital ? Mais je ne suis pas prêt avec toutes ces phrases maudites qui me traverseraient l’esprit, j’en ai encore peur. Je ne crois pas en la perfection mais au minimum, que je redevienne moi-même avec ma volonté de me battre contre les intolérances, les totalitarismes. Avons-nous au moins des victoires à savourer nous deux ? Moi, je n’éprouve que la honte des pensées furtives et maudites, honte de mon physique, de ma nature. Est-ce une étape normale ?
Ton nom, ton aura, ton génie m’impressionne désormais. Toute rencontre semble désormais improbable. J’ai eu des rêves de grandeur. Pour rêver, je pars, je m’envole, j’invente, je créé notre mythologie. Qu’avons-nous fait à Carpentras sinon d’inventer tous les viols ? Et cet esprit qui a guidé et réchauffé mes pas, tué la fatigue, alourdi ou allégé mon sac, était-ce bien toi ? Ou ton karma qui te dépasse ?
Sommes-nous bien conscients l’un et l’autre de ce qui nous arrive ? Est-ce de l’amour, de l’amitié fraternelle et électromagnétique ? Avons-nous besoin de l’un et de l’autre pour pouvoir vivre, parler, penser et jouer comme tu le fais si brillamment ?
M’a-t-on jeté un sort ? Veut-on faire de moi un instrument d’humanité avec sa force d’amour, ses faiblesses, ses haines qui dans mon cas n’en sont pas, ces « phrases » iniques qui perdent de leur sens quand elles traversent mon esprit. Tout cela servirait-il à désamorcer pour de bon leur charge d’horreur et de haine ? Ça y est, je me mets à rêver ? Et si c’était la réalité ? Ou le contraire effrayant ?
Toujours est-il qu’il s’agit d’un destin et la gorge me brûle, s’apaise, me brûle. Toi tu y es habitué, toi l’habité. Moi, je ne m’appartiens plus, si ce n’est de n’avoir de cesse de chasser ces haines qui ne parviennent pas à se greffer dans ma chair en demande de rencontre de celui qui m’a déjà autant transformé.
J’imagine seulement l’électricité dont nous serions à l’origine : libre et gratuite pour tous.