Elle dort dans les bras de sa mère. Recroquevillée sur le toit de la cabane, elle change régulièrement de position passant du sein gauche au sein droite de Nasnima qui regarde la ligne d’horizon. La lune provoque des reflets blancs sur les vaguelettes de l’eau du Gange qui déborde et envahit les ruelles du village surpeuplé dans un coin maritime du Bengladesh. Nasnima ne sait combien de jours et de nuits il faudra attendre pour voir venir les premiers secours. La famille se contente de quelques boulettes de riz cuit emporté à la hâte pendant la montée des eaux. Heureusement le typhon s’est calmé. Mais le toit risque de s’effondrer d’un moment à l’autre et là, il n’y aura plus de solution.
Tasnia se réveille, s’étire, geint timidement, pelote entre ses doigts un morceau d’étoffe de sa maman. Elle tente de se rendormir lorsqu’il lui semble que les eaux commencent à se retirer. Maman, regarde, le niveau baisse.
Il règne une douce chaleur. Pour la première fois des cabanes surgissent au dessus du niveau du fleuve. L’eau baisse plus vite encore comme si elle était happée par la terre ou le magnétisme de l’océan. Tasnia ne peut s’empêcher de réprimer un oh ! lorsqu’à dix centimètres d’elle un filet d’or sort des planches et coule à grosses gouttes chaudes pour s’immobiliser près de sa robe. Ne touche pas. Il est encore chaud. C’est merveilleux ! La cahute du voisin qui touchait presque l’habitation de Nasnima se retrouve maintenant à dix mètres de là sans que personne n’ait remarqué un glissement de terrain ou un tremblement de terre. L’eau a définitivement disparu et laissé des bancs de sable blanc et des parcelles de terre à la couleur nouvelle. On a un jardin ! Nasnima et sa fille descendent à terre. Le soleil se lève. Des immensités s’étalent maintenant entre les habitations. Des fleurs de toutes les couleurs se mettent à pousser en quelques minutes. Des légumes aussi. Des moutons arrivent par un chemin et se mettent à paître une herbe fraîche. Tasnia se retourne vers la cabane : Regarde comme ça a changé ! Le bidonville est devenu une maison en bois précieux. A l’intérieur, une grande pièce au sol enjolivé de mosaïques soignées, dessert quatre chambres. Une porte s’ouvre. Un homme moustachu trentenaire s’élance vers Nasnima et sa fille. Mes amours ! Zahir, comment es-tu revenu du pays des morts ? Je ne sais pas. Je me suis réveillé ce matin dans ce lit si doux et si moelleux. C’est comme dans un rêve. Le lit ressemble à ceux des rois avec une moustiquaire argentée. Des commodes, des armoires, un bureau en bois sculpté soutenant un ordinateur dernier cri sont apparus aussi. Des encens brûlent, des galets dégagent des odeurs de jasmin, de fleurs d’orangers et de multiples parfums. De la cuisine s’échappe un fumet d’agneau au curry. Sur la table, des poulets tandooris tout chauds, des cheese nans, toutes sortes de pâtisseries et de fruits confits forment un ensemble de fête. Deux petits garçons, en pyjama, s’immiscent dans l’embrasure de la porte, pas réveillés, le sourire enjoliveur. Nasnima se précipite sur eux : Rahman ! Rajib ! Comment êtes-vous revenus à la vie ? Tout le monde rit, s’embrasse, pleure. Les petits s’amusent avec l’ordinateur. Tanisma couvre encore son mari de baisers : J’étais morte moi aussi quand vous n’êtes plus revenus de la mer. Mon amour que se passe-t-il ? Je ne sais pas. En tout cas, il faut en profiter. Allons manger. Les uns et les autres se retrouvent encore à s’agglutiner, à se couvrir de baisers, à s’entendre respirer, à s’échanger des mots doux. Et le père : Maintenant, la mort c’est fini. La famille se met à table quand de part et d’autre, des filets d’or se remettent à couler le long des murs. Le métal précieux suinte de partout et envoie des reflets de soleil sur les visages ébahis. Tasnia voit une étrange lumière surgir du fruitier rempli de pétales de fleurs odorantes. Elle les écarte, découvre que le saladier est rempli de diamants de toutes dimensions. A côté, elle soulève le couvercle d’une marmite dont la présence est insolite. Des émeraudes, des jades et toutes sortes de pierres précieuses attendent qu’on les touche. Près de la nouvelle télévision, un agenda en cuir doré laisse déborder des billets d’avions pour quatre et des réservations d’hôtel pour Tokyo, New-York, Paris, Sidney, Johannesburg, Rio de Janeiro. Tout le monde éclate de rire. Un homme frappe à la porte. Bonjour, je suis le représentant de la Bank of Bengladesh. Je vous informe que vous êtes titulaire d’un compte contenant 1 million de dollars. Voici la carte bleue, les chéquiers, un peu de liquide. Laissez-moi vous faire la démonstration du fonctionnement de votre compte sur internet. Il n’y en a que pour quelques minutes. Un peu fatigué de répéter la même chose de maison en maison, l’homme dit seulement que l’humanité est entré dans un nouveau monde, que nous sommes presque arrivés à un état d’aisance et de vacances permanentes, qu’il n’y a plus de guerre non plus, plus de violence, que la terre s’est agrandie de dix, de vingt, de cinquante fois, on ne sait pas encore et qu’elle s’apprête à faire la fête. Il conseille d’allumer la télé pour en savoir plus. Cela fait deux heures que l’or coule, coule. La famille apprend en quelques minutes le fonctionnement de l’Internet. Le préposé à la banque prend congé : Je reviendrai pour discuter de l’or. Ne vous inquiétez pas. Laissez-le couler. Personne n’ira le voler. La délinquance a aussi disparu…