Informer, oui. Mais pas à n’importe quel prix. La curiosité du journaliste au contact de ses sources lui vaut parfois de se retrouver dans le box des accusés. « En possédant un document judiciaire, vous pouviez également être dans le recel du secret d’instruction sans le savoir », témoigne Vincent Nouzille, journaliste indépendant et ex-collaborateur du site d’informations Bakchich [1].
Autre problème : trop de précipitation à publier une information non vérifiée pour déjouer la concurrence et la sanction est immédiate. Si précieux au sein des « affaires », policiers, avocats et magistrats se muent en mauvais camarades lorsque la machine médiatique s’emballe. Se pose alors le problème du secret des sources, comme dans le cas où le journaliste est assigné en diffamation pour avoir publié une information. Il peut, pour se défendre, présenter les pièces issues du dossier de l’instruction qu’il possède pour montrer la bonne foi de son enquête. Mais cette situation le place dans la position de receleur.
« Le journaliste a le choix de trahir ses sources, ou d’être condamné lui-même. La plupart optent pour le second choix. Dans ce cas de figure là, le journaliste est néanmoins condamné à tous les coups », analyse Christophe Bigot, avocat au barreau de Paris. « Soit comme diffamateur s’il ne montre pas ses preuves, soit comme receleur s’il les montre. Le délit le plus important est commis par le professionnel du droit qui viole le secret de l’instruction mais c’est le journaliste qui va prendre car c’est le seul qui est identifiable. Il paie pour tous les autres. Il n’y a pas d’échappatoire possible » [2].
Heureusement, le projet de loi voté le 16 mai 2008 apporte une avancée notable en matière de secret des sources. Le texte prévoit en effet que les journalistes poursuivis pour diffamation, et qui apportent les preuves de leur bonne foi, ne pourront plus être attaqués pour recel.
D’une relation confuse s’extrait finalement une réalité on ne peut plus limpide : les journalistes, placés au centre de ce petit manège d’hypocrisie, ne détiennent plus le pouvoir d’informer. « Le pouvoir d’informer, ce ne sont plus les journalistes mais les policiers et les juges qui l’exercent, du moins dans le champ d’action qu’ils ont en commun », analyse Georges-André Parent [3]. À cette dérive imputable aux policiers, avocats, et magistrats, s’ajoute celle du journaliste « justicier », qui n’hésite pas à outrepasser ses fonctions pour juger lui-même ceux qu’il croit coupables. « Certains journalistes dits « d’investigation » se sont pris pour des juges d’instruction et ont épinglé des présumés coupables à la Une de leurs journaux comme si c’était eux qui avaient pour but de faire le grand ménage », déplore Frédéric Ploquin, journaliste au service « Investigations-Société » de l’hebdomadaire Marianne. « Beaucoup de personnages qui ont été cloués au pilori ont été blanchis par la justice dix ans plus tard » [4].
Lire ou relire sur Bakchich.info l’épisode précédent du blog de Benoit Pavan :
Voir aussi le blog professionnel de Benoit Pavan : http://benoitpavan.wordpress.com/
[1] Propos recueillis le 21 avril 2008 à Paris.
[2] Propos recueillis le 13 mai 2008 par téléphone.
[3] Parent, Georges-André, Presse et corps policiers : complicité et conflit, Criminologie, Volume 20, numéro 1, 1987, p. 99–120.
[4] Propos recueillis le 23 avril 2008 à Paris, dans les locaux de Marianne.