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Bakchich : informations, enquêtes et mauvais esprit
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Porter la plume dans la plaie

19 octobre 2009 à 21h23
Le mythe est tel qu’on ne peut échapper à l’aura légendaire qui l’enveloppe. A ce voile de prestige qui, depuis près de quarante ans, entoure une pratique qui fascine autant qu’elle intrigue. A ce rayonnement infini, qui, telle une étoile, éclaire les nuits orageuses d’une profession qu’ils sont nombreux à choisir par vocation. Par passion. Pour la noblesse de ses objectifs.

« Le journalisme d’investigation ». Devant le renom de l’expression, pourtant qualifiée de pléonasme par certains, on se prend à rêver d’une aventure à travers les siècles dont on serait le héros. On se métamorphose alors en Albert Londres, audacieux reporter décrivant les horreurs quotidiennes vécues par les prisonniers du Bagne, à Cayenne. On se transforme en Joseph Kessel, dénonçant la menace nazie dans « La passante du sans-souci ». On se mue en Bob Woodward, valeureux localier du Washington Post, projeté au cœur d’un séisme médiatique qui va provoquer la chute d’un président et de son système de financement occulte. On s’imagine seul, dans un obscur parking souterrain, dans l’attente d’un informateur mystérieux et de ses révélations. On tente de se persuader qu’il n’existe qu’un seul et unique journaliste, combattant intrépide, justicier courageux, pourchassant les illégalités et dénonçant les infractions. Bref, qu’il n’existe en somme qu’un seul journalisme : d’investigation.

Avant d’ouvrir les yeux, on se résout enfin à croire que de retour d’Afrique, Albert Londres avait raison en rédigeant sa célèbre maxime : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie » [1]

Oui mais voilà. Aussi belle et respectable soit cette affirmation, la réalité nous pousse cependant à amorcer un douloureux retour sur terre. Les faits sont là, devant nous, et nous narguent. Non, l’investigation n’est objectivement plus aujourd’hui l’équivalent du journalisme. Elle n’est plus LE journalisme mais un genre du journalisme, voire un des métiers du journalisme, même si près de la moitié des Rouletabille modernes continuent de penser le contraire. D’ailleurs, ce sont les mêmes journalistes qui, en dépit de leurs opinions, mettent l’investigation de côté. Et pour cause : elle ravive une blessure profonde qui n’a pas encore cicatrisé, une douleur anesthésiée par le temps, l’évolution des pratiques, et les attentes du public. Elle oblige les détenteurs de la carte de presse à se remémorer, parfois avec nostalgie, une période faste où l’on pouvait sans problèmes l’afficher avec fierté.

Pour constater que cette souffrance existe, il suffit, justement, de « porter la plume dans la plaie » et de demander à la profession de définir le journalisme d’investigation  : une méthode journalistique rigoureuse faite de vérifications et de recoupements de l’information, nécessitant un travail de longue haleine. Le journalisme, en somme, diront les puristes. Mais également une spécialité du journalisme, vouée au suivi des affaires dites « sensibles » qui ont rythmé cette fameuse période faste de l’histoire de la presse. Cette approche journalistique, ce genre à part, marginalisé, devrait pourtant prospérer dans toute la profession. Ce n’est malheureusement plus le cas. Le journalisme a évolué. Il a perdu de sa superbe.

Difficilement tolérée par les journalistes, la réflexion sur le journalisme d’investigation devrait pousser ces derniers à entamer leur propre autocritique. Une sorte de thérapie de groupe pénible qui rend compte de l’ampleur du désastre rongeant une profession dont les règles déontologiques sont bafouées. Le constat est rude : la course au scoop menace encore l’investigation. L’agonie financière de la presse écrite et la logique commerciale sans scrupules des annonceurs a amorcé son déclin. L’indépendance chancelante des entreprises de presse, symbolisée par le rachat des titres par de richissimes magnats servant leurs propres intérêts, l’a blessée, la plongeant même dans le coma. Espérons que l’association de toutes ces épreuves ne la tue pas. Car c’est au journalisme tout entier que sa disparition porterait un coup d’arrêt.

Voir aussi le blog professionnel de Benoit Pavan : http://benoitpavan.wordpress.com/

L’investigation, la pépite menacée du journalisme

Notes

[1] Albert Londres, Terre d’ébène (La Traite des Noirs), récit, Paris : Privat/Le Rocher, 2007, coll. « Motifs »…

Mots clés : journalisme

3 Messages de forum

  • L’investigation et ses prétendues "révélations"

    20 octobre 2009 13:22, par Lola
    Bien vu. On constate aujourd’hui que de plus en plus de quotidiens et d’hebdomadaires misent sur des prétendues "révélations" pour doper leurs ventes. Sont-elles réellement le fruit d’enquêtes de longue haleine, ou simplement la conséquence d’un réseau bien entretenu par le journaliste, qui n’a plus qu’à gober des infos brutes issues de fac similés, fournis par de généreux protagonistes ayant un intérêt à le faire ? Bref, difficile de s’y retrouver. Le journalisme d’investigation, n’est-ce pas finalement du journalisme tout court ?
  • Porter la plume dans la plaie

    28 novembre 2009 10:17, par Chloé
    Ce qu’on appelle aujourd’hui "journalisme d’investigation" ne devrait-il pas être la définition même du mot journalisme ?
  • Porter la plume dans la plaie

    8 janvier 2010 16:13, par jonsnow
    Il est étonnant d’entendre les mêmes grands journaux crier à la baisse de leurs ventes et lecteurs quand c’est la qualité de leurs écrits et de leur indépendance qui en sont la cause.