Dans le coffre, y a nos deux cartons de tracts sur « les notables fantômes du PS ». A l’arrière, Lény essaie de dormir. Aline donne le sein à Jojo, notre fiston de un mois – qui mène aujourd’hui sa première action anti-Peillon. A l’avant, Pierre essaie de programmer « Parc des Expositions, Reims » sur le GPS. La voiture file sur l’autoroute, dans la nuit, et pendant ce silence, je vais vous raconter comment j’ai rencontré Pierre. En un sens, c’est une histoire pleine d’espoir.
C’était pendant le blocage des facs, l’an dernier, contre la loi Pécresse. Les étudiants m’avaient invité à animer un débat sur « Médias et mouvements sociaux ». Et bon, c’est pas qu’on se rêve en Johnny dans des stades remplis mais là, je suis arrivé, le président de l’Université avait décrété l’évacuation. Les étudiants avaient déserté. Les amphis étaient bouclés. On s’est retrouvés à quoi ? A dix dans un sous-sol, assis par terre sur un bout de moquette, éclairés par des néons. Eux, le moral en vrille, parce que leur mobilisation se terminait en eau de boudin. Moi, le spleen quand même, parce que la gloire emprunte parfois de bien mornes sentiers…
Sauf que, parmi les rebelles, y avait ce Pierre, cheveux courts bien rasé lunettes carrées. J’ai pris son téléphone, et il nous a rejoints pour notre campagne anti-Robien. Jusqu’à la dernière minute, jusqu’au vendredi soir minuit, on a diffé ensemble dans les rues d’Amiens, glissant notre petit canard dans le noir, dans les boîtes à lettres, avec le chien qui aboyait derrière la porte. Ensuite, après l’effort le réconfort : j’ai pris une semi-cuite au punch avec Pierre.
Comme quoi, hein, on sait pas ce qu’on sème : de cette après-midi pourrie à la fac était sorti un pilier de la Fakirie. Qui venait de dompter le GPS : « Tourner à gauche. Vous êtes arrivé. »
« Demandez un peu de littérature picarde avec des dessins marrants. Parce qu’on essaie d’être drôles. C’est pas une réussite tous les jours, mais c’est l’intention qui compte… »
On peut reprocher énormément au PS – et on ne s’en prive pas. Mais il reste un truc franchement démocratique : si devant un Congrès du PC, ou de la CGT, ou de l’UMP, ou de je ne sais pas trop quoi, vous tractez contre le PC, la CGT, l’UMP, ou je ne sais pas trop quoi, y aura un service d’ordre pour s’occuper de vos fesses. Là, non. On diffe tranquillement. De nous retrouver là, les camarades de la Somme sont morts de rire. Y a un côté humour aussi, pour notre bande.
Un peu comme dans un dessin animé de Tex Avery, où Coyote poursuit éternellement Bip Bip : dans les manifs amiénoises, on distribue des tracts sur Peillon. On écrit un bouquin dont l’anti-héros est Peillon. On passe à la radio, et c’est pour charger Peillon. On publie dans Le Monde diplo, et le papier commence par Peillon. On se rendait maintenant, à Reims, pour tracter – entre autres – contre Peillon…
Du comique de répétition.
Qu’un cadre royaliste n’apprécie pas.
Il nous tourne autour.
Que « c’est pas bien d’avoir mis des noms ».
Qui appelle ses copains pour les prévenir.
On continue quand même : « Demandez un peu de littérature picarde ! Ouais, aujourd’hui, la Picardie fait son anschluss sur la Champagne ! »
Une caméra de leftblogs.info s’approche :
Le journaliste : Vous êtes une association sommoise, alors ça serait intéressant d’avoir votre point de vue sur Vincent Peillon, qui a été député de la Somme et qui est maintenant le député européen de la région Nord – donc quel est votre avis, vous qui êtes au contact plus régulier avec quelqu’un comme Vincent Peillon ?
Fakir : On ne peut pas dire qu’on soit tellement au contact avec Vincent Peillon, parce que quand on est dans la Somme, on n’a pas tellement l’occasion de le voir, Vincent Peillon.
Un secrétaire de section du Vimeu, qui passe : Ah bah faut venir dans le Vimeu…
Fakir : Mais même dans le Vimeu…
Le secrétaire de section : Tu parles du Vimeu, mais faut y mettre les pieds plus que deux jours, et pas que pour rencontrer des apparatchiks… Là vous parlez de la désindustrialisation. Vous parlez de l’intérim et tout ça. Venez, vous avez des choses à dire, vous êtes intéressants, vous êtes de gauche, mais venez voir la réalité.
Fakir : Ce qu’on indique dans notre tract, c’est que suite à la défaite de Vincent Peillon en 2007, on s’est intérrogés : comment se faisait-il qu’il avait perdu dans une circonscription qui est quand même une circonscription ouvrière ? On s’est rendus à la Bourse du Travail et là on a rencontré ce que Monsieur appelle un apparatchik, c’est-à-dire le responsable de l’Union Locale CGT du Vimeu, sachant qu’en ce moment y a quand même plein de boîtes du Vimeu qui dégagent, de la serrurerie, de la robinetterie : ‘Ah nan, on n’a jamais vu Vincent Peillon ici, il n’a jamais mis les pieds à la Bourse du Travail.’ Ce qui est quand même suprenant : c’était supposé faire dix ans que Vincent Peillon était implanté dans le Vimeu, et il n’avait pas mis les pieds une seule fois à la Bourse du Travail ! C’est problématique…
Le secrétaire de section : C’est pas problématique : c’est que les ouvriers, il les rencontre dans les sections, il les rencontre sur le terrain. C’est pas en débarquant dans le Vimeu, en rencontrant deux trois gus comme ça que tu peux faire un état des lieux.
Isabelle Demaison, conseillère générale dans la Somme : Mais Vincent Peillon ne vient pas sur le terrain, hein…
Le secrétaire de section : C’est pas un élu local.
Isabelle Demaison : Mais même quand il était député…
Fakir : La justice a pour ainsi dire mis un terme à cette controverse, puisque Vincent Peillon a tenté de voter dans sa circonscription, et il a été débouté parce que la justice a prouvé qu’il n’avait pas de logement dans la circonscription, en tout cas pas un logement viable. Il avait un logement sans douche. On doute que Vincent Peillon ne se douche pas le matin. Donc, le débat sur l’implantation locale de Vincent Peillon est clos. Maintenant, moi, ce que j’analyse, quand j’entends Vincent Peillon, quand je lis ses tribunes, je lis un paquet de mots qui n’ont pas de sens. Comme quoi « les choses sont plus complexes », qu’il faut « rénover », et je vois un lien direct entre son absence d’implantation locale et le vide, l’abstraction de sa pensée. Jaurès disait que « le socialisme, c’est l’alliance d’un idéal et du réel ». Dans le cas de Vincent Peillon, il y a l’absence d’implantation réelle – et du coup l’absence d’idées assises sur un terrain social…
Le Jojo commence à brailler dans l’aguayo de sa mère.
Nos estomacs à nous aussi gémissent.
La plupart des militants sont rentrés avec notre tract : mission accomplie. On peut bouffer au restau l’âme en paix. Et peut-être que, en chemin, on fera le détour par le familistère de Guise. Où, au XIXème siècle, Godin a fait un rêve qu’il a transformé en pierres. C’était à l’aube du socialisme…