Immobilier
Je suis parisien et je vis seul dans un 48m².
Quand mes amis me demandent le loyer de mon appartement, je leur réponds : 1100 €.
Nous sommes à Paris, c’est cher. Mais le montant du loyer importe peu dans ce que je vais vous dire aujourd’hui. Ce qui importe au fond, c’est le réflexe pavlovien propriétariste qui pousse les gens à réciter ce mantra dans une transe dont ils ne garderont plus aucun souvenir en sortant de chez moi : « Mais pourquoi tu n’achètes pas plutôt ? ».
Sans blague. Toute personne dans ma position connait cette phrase.
Elle tranche à elle seule la société en deux catégories : les propriétaires responsables et les locataires flambeurs. Les fourmis et les cigales.
Cette question, c’est tout l’héritage culturel collectif condensé en une baffe sèche.
Pour l’esquiver, je pense fort à Bouddha et tente de décrocher un rictus qui pourrait inciter mon interlocuteur à méditer sur l’harmonie intérieure que confère la location, parce que je me souviens que le lien social ne tient qu’à un fil et qu’exulter en fronçant les sourcils ne servirait à rien.
Sentant que le transfert de vérités transcendantales passe mal entre nos deux âmes, j’explique verbalement que je ne suis pas très sensible à cette idée de propriété, et que j’aime le sentiment de liberté que confère la location. Si un jour mes voisins (qui sont de vrais cons) m’énervent trop, (ce qui ne manquera pas d’arriver), je partirai sans demander mon reste.
Irrémédiablement, mon interlocuteur saisi une cacahuète de sur la table et me rétorque, sur un ton qui me laisse penser – ou bien qu’il n’a pas vraiment écouté mon précédent argument, ou bien qu’il a été engagé par mon banquier pour me faire souscrire un crédit sur 30 ans : « oui mais si tu achetais, tout cet argent ne partirait pas en fumée, à la fin, tu aurais ton appart, à toi. ».
C’est dans ces moments-là que le néant essaie de s’emparer de moi — je le sens parce qu’il y a des courants d’air qui glissent sur mes articulations et qui remontent à mon cerveau. Bon joueur, je la joue quand même piqué par la pertinence de la réplique et réponds sans mollir : « oui, mais je n’arrive pas à anticiper sur 30 ans. D’ici là, je trouverai cet endroit trop petit ou trop parisien. »
A cet instant, nos deux cerveaux sont complètement cramés d’avoir ahané des arguments rabâchés des millions de fois à d’autres interlocuteurs, et dans un dernier effort de sociabilité, sentant que je commence à le regarder avec les yeux d’un décérébré, il lance : « oui mais tu peux très bien mettre ton appart en location pour rembourser ton prêt et vivre ailleurs. Tu reste libre. »
Explosion au napalm à l’intérieur. Rester calme à l’extérieur. Surtout, ne pas exposer l’entourage, le plus dur est passé. « Ah ouais, pas con » dis-je pour conclure l’accord et céder courtoisement la priorité, harassé par notre différence profonde de vision du monde…
La plupart du temps, je me dis qu’il faudrait que je développe ma pensée pour que mes amis entendent mon point de vue, quitte à plomber l’ambiance. Mais le plus souvent, je cède à la facilité de passer pour un benêt qui a bien de la chance qu’on lui explique la vie sans avoir à réfléchir.
Mais puisque vous êtes là et que vous avez envie de comprendre pourquoi la LOCATION est de loin le mode de vie le plus SAIN et le moins MORTIFÈRE dans ce qui existe actuellement, je vais développer.
Ce qu’il faut savoir, c’est qu’à chaque fois que vous voulez posséder quelque chose qui dépasse la somme de vos revenus, vous devez passer par une banque.
Et cette banque vous consentira – si vous prenez la précaution pendant l’entretien de ne pas faire mention de votre dégoût à l’endroit du système financier et de ses agents de la mort – un prêt.
Et alors là, attention, tenez-vous bien, parce que c’est précisément ici que tout se joue. Figurez-vous que dans ce petit mot de 4 lettres réside un très redoutable abîme métonymique en Do majeur.
La subtilité sémantique qui réside dans la double interprétation possible de ce simple mot « prêt » est à mon avis insidieusement LA SEULE ET VRAIE origine de l’inégalité parmi les hommes.
N’en déplaise à Rousseau, nous verrons cela dans la suite de notre prochain billet…