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Bakchich : informations, enquêtes et mauvais esprit
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Le jour où les journalistes ont volé au secours des juges

24 juin 2010 à 10h48
Soucieux de dévoiler les affaires impliquant des hommes politiques au début des années 80, les juges ont trouvé avec les journalistes d’investigation des alliés de circonstance pour ne pas voir les dossiers étouffés. Trois témoins de cette période faste de la relation entre la justice et les journalistes la décryptent.

- Karl Laske, journaliste au quotidien Libération :

« Il y a eu un contexte particulier et singulier, celui de l’émergence des dossiers judiciaires des années 90, où avait lieu un bras de fer entre les juges et les politiques. À un moment donné, les juges ont été un peu seuls. Il y a eu beaucoup d’offensives législatives pour faire taire leurs enquêtes. Rares ont été les juges qui ont parlé aux médias. Je ne pense donc pas que la justice ait cherché à avoir des relais dans la presse. En revanche, des journalistes ont pris parti en faveur de juges qui ont été attaqués. Il a été normal à un moment donné que certains journaux interviennent dans les tentatives de faire taire des juges, en se postant en soutien de l’indépendance de la justice. Dans ce contexte, les juges ont été en partie idéalisés par une partie du public et des journalistes » [1].

- Jean-Marie Pontaut, journaliste à l’hebdomadaire L’Express :

« À l’époque, le pouvoir de la presse a rejoint le pouvoir des juges. Ces derniers étaient un peu dans la situation des journalistes : ils étaient marginalisés, et se sont donc appuyés sur la presse pour s’émanciper du joug des hommes politiques, qui s’en donnaient à cœur joie car il n’existait pas de loi sur le financement des partis en France. Il y a donc eu les juges Bruyère, Van Ruymbeke, et Joly qui, avec l’aide des journalistes, ont aidé à régulariser et épurer le système démocratique. Aujourd’hui, on observe un retour de balancier évident. Les journalistes d’investigation ont été trop près des juges et des policiers » [2].

- Laurent Joffrin, directeur du quotidien Libération :

« La nouveauté durant cette période, c’est que le journalisme d’investigation a été plus libre, plus virulent et était suivi par la justice, qui enquêtait en parallèle, ou à la suite des révélations des journalistes. Certains juges, craignant que leurs affaires ne soient enterrées, s’arrangeaient pour que cela sorte. Au début des années 80, un couple s’est donc formé entre des magistrats qui prenaient leur indépendance et des journalistes plus audacieux dans leurs révélations » [3].

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Lire ou relire sur Bakchich.info l’épisode précédent du blog de Benoit Pavan :

Souvent aux mêmes endroits, parfois au même moment, ils n’ont ni les mêmes objectifs, ni les mêmes méthodes, mais croisent les mêmes informations. Si pour le journaliste, l’objectif numéro un reste d’informer le public, la police s’attache à donner aux (…)

Voir aussi le blog professionnel de Benoit Pavan : http://benoitpavan.wordpress.com/

Quand la police et la justice sont dépassées Policiers et journalistes : pas la même méthode, mais la même passion

Notes

[1] Propos recueillis par Benoit Pavan le 29 avril 2008 à Paris, dans les locaux de Libération.

[2] Propos recueillis par Benoit Pavan le 29 avril 2008 à Paris, dans les locaux de L’Express.

[3] Propos recueillis par Benoit Pavan le 17 avril 2008 à Paris, dans les locaux de Libération.