Surprise : le Clemenceau vaut de l’or

L’unique fois où le porte-avions Clemenceau a participé à une action de guerre, en 1983 au large du Liban, ses avions ont bombardé Baalbek et le Hezbollah. Pour finalement tuer un âne. Aujourd’hui démobilisé, désarmé et baptisé « Q 790 », ce vaisseau tueur d’équidé est devenu lui-même un animal : une poule aux œufs d’or.

Les tonnes d’amiante contenues dans ses flancs avaient contraint le gouvernement, on s’en souvient, à ramener le "Clem" en France, après un piteux aller-retour vers l’Inde début 2006. Des esprits avisés viennent de s’apercevoir que la coque empoisonnée du porte-avions, qui encombre la rade de Brest en attendant son désamiantage et découpage, est une mine flottante. Une mine de cuivre, de chrome, de plomb, de nickel, de cadmium et strontium. Des matières rares qui, en moyenne, viennent d’augmenter de 140 % en quelques mois. La flambée des prix du cuivre, par exemple, explique que des pirates du rail s’attaquent régulièrement aux câbles de la SNCF qui sont volés, coupés en tronçons, et revendus sur certains marchés opaque des non ferreux. Et quelques loups de ce business ont vite compris que, par ces temps de folie métallique, la coque du Clemenceau cache un trésor.

Des intermédiaires, aussi policés que bien introduits dans les couloirs du pouvoir, ont alors lancé un signal vers le ministère de la Défense. Sur le thème : « on va vous aider à vous débarrasser de tout encombrant métal qui ne soit pas du fer ». Et la proposition a, semble-t-il, été écoutée avec une grande attention dans l’entourage du ministre Hervé Morin. Une sollicitude qui a immédiatement déclenché des commentaires de politiciens UMP, aussi mal informés que jaloux : « Certains auraient-il trouvé, avec les vestiges du « Clem », un moyen de financer leur parti ?… » Une boutade, bien sûr.

La malveillante rumeur est arrivée jusqu’à Jean-Louis Borloo qui, en tant qu’écologiste en chef du gouvernement, est prié de gardé un œil sur le « Q 790 », nom de code du Clemenceau, maintenant qualifié officiellement de « déchet toxique ». Et le « numéro 2 » du gouvernement a donné l’alerte sur ces amateurs de cuivre, et autres matériaux rares, qui rôdent autour du cadavre du « Clem ».

Mais, bizarrement, comme si un bateau de guerre était une affaire trop sérieuse pour la laisser à des militaires, c’est enfin l’Elysée qui s’est récemment saisi de ce dossier « déchet Q 790 » qui pèse de l’or. Et attire toute sorte d’intermédiaires, soudainement pleins de bonnes intentions écologiques.

Dans l’appel d’offre qui a été lancé en novembre 2006 par le ministère de la Défense afin de « déconstruire » le « Clem », dont on attendait les résultats fin décembre - l’entreprise belge Van Heyghen Recycling étant donnée favorite- , il est prévu que le montant de la revente de tous les matériaux retirés du navire, et revalorisés, sera déduite de la facture globale de déconstruction, évaluée à 20 millions d’euros. Mais des ferrailleurs qui tournent autour de la vieille carcasse espèrent que, par exemple, du cuivre - pourtant si bon conducteur -, se perde dans le brouillard.