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Masseration du monde

Planches / mardi 24 novembre 2009 par Addison DeWitt
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Dans We are l’Europe, Jean-Charles Massera et Benoît Lambert passent à la moulinette les discours et l’imaginaire de la « petite bourgeoisie blanche occidentale » de l’aube du XXIe siècle. Défoulant.

Il y avait eu We are la France , la saison dernière à la Villette. Depuis, on attendait la récidive de Jean-Charles Massera. We are l’Europe, au Théâtre de Malakoff, mis en scène par Benoît Lambert poursuit l’entreprise de sape des clichés et des discours des sociétés capitalistes mondialisées et le portrait de leurs malheureux consommateurs. Ce n’est, selon les deux intéressés, « ni la promesse d’un élargissement (…) ni une pièce caritative », mais plutôt un « gros debriefing », un « temps de pause pour parler de deux ou trois trucs ».

Au départ, huit « mecs » et « nanas » s’ennuient ferme, dans ce qui ressemble à une cafét’ de PME. Ils porteront les prénoms des comédiens qui les incarnent : effet de réel supplémentaire. Tous, ils participent à la répétition d’un spectacle intitulé « Le projet WALE », et qui n’est autre, on le devine, que ce à quoi le public assiste. Voilà le miroir posé entre scène et salle : eux, c’est nous. La réalité sur scène. Reste à « Manu » d’arriver, aux comédiens à enfiler les costumes. Et musique.

Super héros ordinaires

Benoît Lambert a choisi un registre doucement fou dingue pour faciliter la thérapie collective. En fait de costumes, tout ce petit monde (« le mec qu’a des problèmes de contnu » ou « le mec et la nana qui réalisent qu’il leur arrive plus rien ») se coule dans sa combinaison bleue et enfile sa cape de super-héros, à la poursuite d’un sens qui échappe. Pourquoi les choses n’ont-elles plus de signification ? D’immédiateté ? Pourquoi ça ne bande plus ? Les trentenaires de Massera apparaissent singulièrement désabusés, floués volontairement ou non par le système, victimes consuméristes de la déréalisation ambiante.

Alors, contre tout cela, leur projet WALE veut parler de tout. Et faire rire, ce qui se produit souvent. De l’Europe mondialisée, et de sa culture « post-coloniale hyperagressive », des chaussures qui font puer des pieds, de la crise financière, du port du voile ou de celui du string fendu, des vertus du risque en économie capitaliste, des avantages horizontaux des cuisines équipées ou encore de ceux du Pass Beaubourg.

Ce passage en revue des mythologies modernes marche. Hilare de ses propres approximations à approcher la zone de turbulence du mal-être, il se développe sous des lumières stroboscopiques et à grand renfort de chansons, (du Mistral gagnant à Zazie) souvent – il faut le dire – impeccablement interprétées. D’ailleurs We are l’europe est un genre de forum talk-show parlé-chanté-dansé, qui met en valeur comme rien une bande de jeunes comédiens joliment talentueux.

Au niveau de ta "laïfe"

En cela il semble parfois que le pari de Massera est moins de proposer un texte engagé qu’un pittoresque document de sociologie immédiate, auquel Benoît Lambert prête des couleurs pétard et une dramaturgie réglée au millimètre. On parle chez Massera dans la novlangue élastique et approximative qui sert d’étendard aux 18-35 ans. Les débats s’y « focalisent » « au niveau de ta laïfe », les « ok » précèdent des bouts de phrases qui s’allongent de « tu vois » ou qui s’interrompent inopinément. On entend d’ici grincer les dents des grammairiens pointilleux et des exclusifs de la prosodie racinienne. « Ah bah non » : cette écriture a également un mérite, celui d’indiquer au théâtre l’espace - au moins supposé - du langage collectif comme son origine et sa destination. Et l’on sourit lorsque ces « j’sais pas, tu vois… » laissent affleurer l’écriture sous l’illusion du naturel. Comme une dénonciation supplémentaire, au cœur du langage, celle-là.

Emoticons, émoticonnes de tous les pays

Il y a donc de la verve dans We are l’Europe. Une certaine vérité, aussi. Détournant avec malice le drapeau européen pour en faire un grand smiley jaune, Benoît Lambert prosterne ses comédiens devant la nouvelle Babylone néolibérale qui vient trôner en fond de scène. La mission de ces Power Rangers un peu foutraques et leurs efforts d’émancipation par le dialogue n’apparaissent du coup pas vains. Miracle de la mise en scène ici : le texte de Jean-Charles Massera, dont Benoît Lambert n’a en fait repris qu’un montage, apparaissait quant à lui peut-être un peu plus pessimiste.

Or les quinze dernières minutes, où s’organise le sauvetage in extremis de ce « monde qui part en sucette » offrent une échelle pour remonter la pente. Certes, tout n’est pas si pourri dans le royaume d’Europe. Mais la veine comique exploitée par Jean-Charles Massera suffisait peut-être, à, une fois le reflet croisé dans le miroir, laisser trouver au public la porte de sortie. Au lieu de cela, l’hymne déculpabilisant d’un refrain de Coldplay vient célébrer le moment « d’réinventer notre histoire ».

Car Viva la vida, après tout : grâce au Coca Cola et à une planète mondialisée, « on va enfin se parler ». Le grand smiley jaune du fond de scène semble du coup moins Veau d’or à abattre que nouvelle idole techno-youpi. A ce hold-up de dernière minute, qui offre en matière de spectacle et de plaisir visuel ce qu’il fait perdre à celui du défoulement on peut ne pas adhérer. Mais après tout, la première scène avait mis les choses au point : « ça va bien spasser ». Mission accomplie, donc, pour nos héros puisque une audience visiblement émue, se lève à la fin pour applaudir. Visiblement soulagée de l’absolution, aussi ?

We are l’Europe (le projet WALE)

De Jean-Charles Massera

Mis en scène par Benoît Lambert. Au Théâtre 71 de Malakoff,

Jusqu’au 5 décembre 2009

Avec Emmanuel Fumeron, Morgane Hainaux, Guillaume Hincky, Elisabeth Hölzle, Marion Lubat, Pierric Plathier, Pascal Sangla

Réservation +33 (0)1 55 48 91 00

Relâche le lundi.


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