In the mood for anger
Vous les connaissez tous, la femme-cyborg en tailleur droit et talons hauts qui demande son thé avant d’avoir dit bonjour, et le chef tatillon qui rôde autour de la machine à café comme pour signifier que la pause est terminée. Pire, le supérieur fier de sa supériorité, qui vous envoie un email, avec tous les chefs de service en copie, pour vous indiquer qu’il y a une faute d’orthographe dans le dernier rapport que vous avez tapé, quand cela lui aurait pris exactement trois secondes de la corriger lui-même. Vous les avez vus dans Le Diable s’habille en Prada, dans Working Girl. Ils aiment harceler les subalternes, rugir pour dominer, ils éprouvent du plaisir à lire peur et souffrance dans les yeux d’employés terrorisés à l’idée de perdre leur place, poursuivis par la crise. Travailler, c’est parfois survivre.
La souffrance au boulot, plus de 10 % des salariés (dont 13,5 % sont des femmes) s’en déclarent victimes selon une étude publiée en 2007. Ce fléau moderne, que la vague des suicides à France Télécom a mis récemment à la une des médias, n’est pas nouveau et perdure. Il possède les visages de salariés infantilisés, démoralisés, culpabilisés, dégommés dans leur estime d’eux-mêmes.
Secrétaire ou agent de sécurité, coursier, administrateur informatique, manager de second plan, ils sont essentiels au fonctionnement d’une entreprise. Corvéables et bon marché, ils sont souvent naturellement assimilés à des domestiques, un bataillon d’exécutants invisibles, qui ne peut se prévaloir ni de la réflexion, ni de l’argent. Opportunément estampillés PPDM (Petit Personnel De Merde), on pourrait les assimiler à la caste des Intouchables en Inde. Plutôt déprimer tout seul que se commettre à déjeuner avec son PPDM. Dans une société française qui ne partage ni le pouvoir, ni les bénéfices, les entreprises fonctionnent sur un mode hiérarchisé et pyramidal implacable.
L’existence de ce PPDM découle d’une espèce tout aussi éradicable qui se nomme PPDM aussi (Petit Patron De Merde). Souvent, il ne possède pas la société, ni ne la dirige, parfois si. Sa position lui fait considérer l’existence de certains employés comme inférieure à la sienne. En tout cas, il défend bec et griffes en avant les intérêts et le prestige de l’entreprise avant le salariat. En ces temps de contestations et de revendications, rappelons qu’il est possible de lutter contre ce double PPDM, et que contrairement à ce que le service marketing de L’Oreal nous assène depuis de nombreuses années, nous valons tous mieux que ça.