USA
2 300 pages… c’est ce que pèse la loi "Dodd-Frank" — du nom du sénateur Chris Dodd et du représentant Barney Frank, ses principaux auteurs.
Autant dire a priori que l’Etat ricain a sorti la grosse Bertha. Le but approximatif de cette loi : faire mordre la poussière à l’envahisseur financier, rendre aux citoyens, liberté et dignité.
1- Réglementation des produits dérivés : la loi prévoit la création d’une chambre de compensation chargée de mutualiser les risques associés aux produits dérivés. Le marché de gré à gré – ou marché noir – annuellement les 615 000 milliards de dollars.
2- Régulation des fonds spéculatifs : les hedge funds devront agir sous la surveillance de la SEC — security & exchange commission — dès que leurs fonds dépassent 150 millions de $.
3- Réglementation des opérations de titrisation : les émetteurs de prêts immobilier devront retenir une partie des risques de défaut de paiement dans leur bilan (5%) — se mouiller donc.
4- Prévention du risque systémique : création du "Conseil de surveillance de la stabilité financière" réunissant des représentants du gouvernement et des principaux régulateurs.
5- Protection du contribuable : Création d’un "Bureau de protection financière des consommateurs" hébergé par la Fed et dont le directeur sera indépendant.
Par ailleurs la loi prévoit que le contribuable américain ne devra plus payer en cas de faillite ou démantèlement du système financier : du lourd… vous dis-je !
Ils sont énervants ces américains.
D’abord ils nous sauvent deux fois. Ensuite, ils ont Lady Gaga — et en plus ils font des réformes pour stopper les "bullshits" (trad : inconséquences de la sphère bancaire).
Alors on se tourne vers chez nous, et chez nous en France, ben on a Sarko Ier… et Lagarde… et Woerth… et arrêtons là le massacre, je file le bébé aux blogs politiques !
Mais bon voilà, on va encore se trainer 10 ans de retard sur l’Oncle Sam. Nous avons grandi avec ce décalage — et il semble que l’Europe continue de sceller notre destin.
Il serait pourtant de bon ton que chez nous aussi, il soit clairement légiféré sans concessions que le contribuable européen n’aura plus à payer pour l’avidité de la sphère financière.
Bon… rassurez-vous… tout n’est pas si manichéen — réformer le secteur financier, même aux United States of America n’est pas un long fleuve tranquille, nous allons voir pourquoi…
En gros et en poilu, c’est Ben Bernanke — président de la Fed — qui devient le gendarme des institutions financières de plus de 50 Mds $ d’actifs ainsi que d’un millier de plus petite taille.
C’est à lui que l’on demandera des comptes si un jour une nouvelle crise devait nous mettre à terre — autrement dit, c’est aux régulateurs que revient la responsabilité d’agir en héro.
Sauf que la Fed a fait été à plusieurs reprises d’une complaisance peu dissimulée à dissiper les soupçons qui pèsent sur les us et coutumes des grandes banques d’affaire.
Dernier exemple en date, la grande vague d’investigations menée par Bernanke dans le but de déterminer si, oui ou non, les bankers de Goldman Sachs auraient permis à la Grèce de dissimuler le niveau réel de son endettement aux yeux des investisseurs…
Résultat à l’époque : RAS. Circulez, y a rien à voir ! Sans vouloir jouer les Cassandre, je pense qu’il nous faudra surveiller tout cela de près.
Deux ans de travail pour pondre cette réforme… vous imaginez ? En fait, c’est autant de temps passé à se battre contre les lobbys bancaires.
Ces derniers ont deux types d’armes : les arguments et le pognon.
Dans les arguments on peut citer en exemple le rapport signé par l’Institut of International Finance qui stipule que "si les règles de Bale III étaient mises en œuvre tel quel, cela représentera 4,3% de croissance en moins sur 2011-2015, soit un peu moins d’1% de croissance annuelle, et près de 5 millions de chômeurs supplémentaires sur la période."
Alors là évidemment ça serait fatal : émission de dette… crise mondiale… apocalypse.
Du coup, on va s’arranger… On va dire que Goldman Sachs Group, JP Morgan Chase et Morgan Stanley obtiendront des aménagements réduisant la portée des clauses qui leur auraient causé le plus de dégâts.
"En définitive, ces sociétés conserveront encore une énorme partie de leur capacité à faire du profit", selon Anton Schutz, président de Mendon Capital Management.
Côté pognon, les lobbys bancaires auraient déboursé entre 2008 et 2009, 462 millions de dollars, soit une hausse de 120% sur dix ans.
A elles seules, les 6 principales banques américaines ont mobilisé 75,3 millions de dollars pour financer les campagnes présidentielles, législatives et sénatoriales.
Tout ça pour dire que chaque point développé dans la loi "Dodd-Frank" qui ne sera pas mis en application immédiatement sera soumis à la pression des lobbys.
Et rétrospectivement, ils obtiennent souvent de bons résultats.
Aux dernières nouvelles, les banques pourront toujours s’engager dans les swaps de devises et de taux, qui représentent la plus grande partie du marché des dérivés financiers. Idem pour les swaps sur l’or et l’argent et dans les dérivés de couverture.
La nouvelle donne réglementaire laisse tout loisir à une banque de créer une filiale de dérivés au sein de sa holding et de la délocaliser pour échapper à la réglementation américaine.
Autant vous dire que c’est monnaie courante dans les grandes banques d’affaires du Royaume-Uni et aux Etats-Unis… et comme vous le voyez dans le graphique ci-dessous…
… le marché mondial des produits dérivés est largement dominé par ces deux acteurs.
Pas de taxe… C’était pourtant une de ces fameuses idées à 17 à 19 milliards de dollars, mais les lobbys ont réussi à s’en prémunir.
C’est d’autant plus dommage que cette taxe aurait servi à financer un fond de liquidation — dont l’emploi aurait permis au contribuable de ne pas renflouer la chute d’une grosse banque.
Techniquement, après la crise il y a moins de grandes banques. Donc elle capitalise plus de fonds et plus de risques. Comme elles sont elles-mêmes créditeurs de la dette américaine — je ne vois pas comment l’État pourrait plus facilement les laisser sombrer en cas d’imprudence…
Pas de nouveau "Glass-Steagall Act" — voté après la Grande Dépression, il faisait tampon entre banques, sociétés de courtage et compagnies d’assurance.
C’est regrettable, parce qu’il faudra surveiller la perméabilité des pertes entre les différents secteurs d’activité — et notamment qu’une brusque chute dans le secteur affaire ne soit pas répercuté dans le secteur prêt…
Paradis fiscaux — là aussi, on tombe aux abonnés absents. Je n’ai pas trouvé une ligne pour le moment sur ce point noir de la finance mondiale, cette plaque tournante du blanchiment d’argent, et sans oublier le gouffre fiscal que le citoyens lambda doit reboucher sans cesse.
Rien là-dessus non plus, alors… comment juger cette réforme : profonde mais insuffisante ?