Par Jean-Jacques Chavigné
Toutes les fanfares étaient convoquées, de l’orchestre philarmonique de New-York au plus petit orphéon, pour célébrer l’évènement historique de la réunion du G20 en ce début de mois d’avril. Obama complimentait Hu Jintao qui félicitait Sarkozy qui congratulait Merkel. Michelle Obama y allait même de son accolade à Elisabeth Windsor. Et tous les médias, partout dans le monde, reprenaient en chœur « G20 de tous les pays, unissez-vous ! »
Les dirigeants de la planète, les multinationales et les financiers ont, il est vrai, de quoi se réjouir. Les peuples, quant à eux, n’étaient pas invités au bal. Ils auront donc à payer intégralement les frais d’une crise dont ils ne portent pas la plus petite once de responsabilité. Sarkozy qui devait avoir « la banane » ne leur a pas envoyé dire en déclarant à peine la réunion terminée : « Le capitalisme est refondé ! »
Le dernier G20, réuni le 15 novembre 2008 à Washington, avait annoncé que, lors de sa prochaine réunion, la récession ne serait plus qu’un mauvais souvenir . L’OCDE annonce, une baisse du PIB des pays les plus riches de 4,9 % en 2009. Première promesse non tenue.
Cette réunion devait être un nouveau « Bretton Woods » , du nom de la conférence internationale qui, en 1944, avait mis sur pied un nouveau système monétaire international. Mais, en débit de cette prétention, la question monétaire n’a jamais été à l’ordre du jour du sommet. Personne ne s’est intéressé à la sous-évaluation du Yuan par rapport au dollar et à la surévaluation de l’euro par rapport au dollar. Deuxième promesse non tenue.
Cette réunion devait relancer l’économie mondiale. Mais les 5 000 milliards de dollars annoncés par Gordon Brown ne sont que l’annonce des « plans de relance » nationaux déjà mis en œuvre auxquels sont venus s’ajouter les 1 100 milliards de dollars dégagés par le G20. Les principaux opposants à un « plan de relance » international étaient, d’ailleurs, Sarkozy et Merkel. Nous sommes donc très loin du compte, sans même entrer dans le contenu de ces « plans de relance ». Troisième promesse non tenue.
Cette réunion n’a pas traité non plus de la manière dont les banques pourraient être amenées de nouveau à financer l’économie . C’est-à-dire que le G20 ne s’est absolument pas préoccupés de la façon de mettre fin à l’actuelle crise financière. Quatrième promesse non tenue.
Il ne restait donc plus qu’une fonction à ce G20 : éviter le retour d’une prochaine crise financière dans 5, 10, 15 ou 20 ans . Mais, nous allons le voir, même cette cinquième et ultime promesse n’a pas été tenue.
La crise financière commencée en 2008 avait trois racines fondamentales : les déséquilibres mondiaux, l’accroissement considérable de la part des profits aux dépens des salaires, l’absence de régulation de la finance.
Le G20, malgré ses cris de victoire, est passé délibérément à côté de chacune de ces racines de la crise financière actuelle ou les a renforcées.
Le G20 s’est bien donné garde de traiter des déficits abyssaux des Etats-Unis (déficit commercial, déficit public) ou des réserves de 2 000 milliards de dollars accumulées par la Chine.
Ces déséquilibres colossaux n’ont jamais été mis à l’ordre du jour de la réunion.
Aucune décision de hausse simultanée des salaires n’a été prise. Toutes les décisions du G20 vont en sens inverse. Si ces décisions étaient suivies d’effet, l’accroissement de la part des profits aux dépens des salaires ne pourrait que s’accentuer. Alors que tout le monde peut constater que les usines, les entreprises ferment parce qu’il n’y a pas de demande salariale suffisante pour acheter leurs productions.
Le G20 a donné à l’OMC pour mission de mener à bien le cycle de Doha. Il a accordé 250 milliards de dollars pour y parvenir. La finalité du cycle de Doha est connue : livrer aux multinationales du Nord (mais aussi maintenant à celles beaucoup moins nombreuses du Sud) les forêts, les réserves naturelles et agricoles, les services publics qui avaient échappé à leur voracité.
La pauvreté s’accroîtra donc encore au Sud et à l’Est pour permettre aux multinationales d’accroître encore leurs profits et de se mettre de nouveau à spéculer et à gonfler de nouvelles bulles spéculatives.
On peut, par contre, douter que les Etats-Unis et l’Union européenne renoncent à supprimer les gigantesques subventions publiques distribuées à leur agriculture qui rendent invendables sur le marché mondial bien des produits de base produit par le Sud (le coton par exemple) tout en privant ces pays de leur souveraineté alimentaire.
Le FMI dont les plans d’ajustement structurels avaient conduit à la banqueroute ses « meilleurs élèves » comme l’Argentine ou (tout dernièrement) l’Islande et qui avaient contribué à jeter dans la misère des centaines de millions d’habitants des pays du Sud, ressurgit en force.
Le FMI est doté par le G20 de 750 milliards de dollars supplémentaires financés par les réserve financières des Etats-Unis, de l’Union Européenne, du Canada, du Japon et de la Chine et par la possibilité d’émettre une monnaie spécifique, les Droits de Tirage Spéciaux (DTS) et donc de faire fonctionner la planche à billets.
Malgré ses promesses d’accompagner la croissance économique par une plus grande cohésion sociale, il mène toujours la même politique. Alors qu’il faudrait augmenter les salaires directs et améliorer les prestations sociales et les services publics (santé, retraite, assurance chômage, transports, énergie …) le FMI conditionne, comme il l’a toujours fait, ses prêts à la réduction des déficits publics et donc, pour lui, à la baisse des salaires et des prestations sociales, à la réduction des services publics. La Hongrie a eu le triste privilège d’être le premier Etat de l’UE à faire appel au FMI.
En contrepartie d’un prêt de 12,5 milliards d’euros, ce pays a dû accepter de réduire ses services publics et de supprimer le 13e mois que percevaient ses retraités. Le FMI exige une baisse du déficit public de la Hongrie qui s’élève à 3,8 % de son PIB. Le déficit public des Etats-Unis est, quant à lui, supérieur à 12 %. Heureusement, pour lui, sa position de superpuissance lui permet, malgré l’énormité de ses déficits, de se passer des crédits du FMI.
Jeffrey Francks, négociateur du plan de « soutien » à la Roumanie conditionne l’octroi d’un prêt du FMI à une réforme des systèmes de salaires dans le secteur public et du système de retraite. En Lettonie, le FMI a exigé une baisse de 15 % des salaires des fonctionnaires.
L’Ukraine a jugé (pour combien de temps ?) que les conditions imposées par le FMI étaient « inacceptables ». Le Mexique qui avait été quasiment acculé à la ruine par le FMI durant les années 1980 a dû de nouveau faire appel à un prêt de 47 milliards de dollars de cette institution.
On ne peut qu’être saisi d’effroi à l’idée que le FMI, complètement discrédité, sort puissamment renforcé de cette réunion du G20 et que les effets de la crise obligeront de plus en plus de pays à faire appel à ses crédits.
Les 6 milliards de dollars « accordés » aux pays les plus pauvres sont dérisoires face aux effets que la crise aura sur ces pays. La première mesure à prendre aurait été d’abolir purement et simplement la dette de ses pays. Au contraire, la Banque du développement recevra 100 milliards supplémentaires qu’elle aura pour mission de prêter aux pays les plus pauvres et de les assujettir toujours plus au boulet de la dette.
L’ère du secret bancaire n’est pas terminée, contrairement à l’annonce de Sarkozy et les « paradis fiscaux » ont toujours un bel avenir devant eux.
A la demande du G20, l’OCDE a sorti quatre listes de « paradis fiscaux » : blanche, grise, gris clair, noire. Mais Jean-Claude Junker, qui n’avait pas digéré l’inscription du Luxembourg sur la liste gris clair a vendu la mèche en affirmant ne pas comprendre pourquoi des « paradis fiscaux » notoires comme le Delaware, le Wyoming, le Nevada ou la City de Londres ne figuraient pas dans la liste noire ou les listes grises. Hongkong, Macao ne sont pas non plus sur la liste grise ou noir en fonction de quelques vagues promesses mais surtout du poids nouveau de la Chine.
On peut d’ailleurs s’interroger sur l’avenir de ces listes et sur le sérieux de l’OCDE dans leur établissement. En 2000 des listes noires avaient déjà été établies par l’OCDE, le Groupe d’Action Financière (GAFI) et le Forum de stabilité financière. Plusieurs dizaines de « paradis fiscaux » avaient alors été recensés. Il y a quelques mois, il n’en restait plus que trois (Andorre, le Liechtenstein et Monaco). Et, tout d’un coup, à la veille de la clôture de la réunion du G20, l’OCDE produit une liste de 42 « paradis fiscaux ».
Le G20 ne dit d’ailleurs pas un mot des sanctions qui pourraient frapper ces pays.
En réalité, les « paradis fiscaux » ont fait et feront sans doute encore quelques concessions de forme pour pouvoir changer de listes. Mais rien ne changera sur le fond. Ainsi, la Suisse que l’on dit avoir fait un pas en avant, considère que son secret bancaire ne peut être levé qu’en cas de « fraude fiscale » mais pas en cas d’ « évasion fiscale ».
Ce qui en réduit considérablement la portée. Les informations à une administration fiscale ou à un juge étranger ne seront, de toute façon, données, en fonction des critères de l’OCDE, que dans la mesure où existe un début de preuve de fraude ou d’évasion fiscale. Pour Christian Chavagneux (Le Monde du 4/04/2009) « on reste très loin du principe d’échange automatique d’informations, qui permettrait au fisc ou au juges de partir à la pêche aux infos quand ils ont simplement une suspicion, mais pas encore de preuve ».
Ce n’est pas ainsi que les centaines de milliards de dollars qui, selon la Banque Mondiale, échappent au fisc pourront être, demain, frappés d’imposition. Il faudrait pour cela des méthodes beaucoup moins timorées que celles préconisées par le G20. L’interdiction pure et simple du secret fiscal et bancaire ou l’obligation pour les multinationales de déclarer leurs revenus dans chacun des pays où elles opèrent, par exemple.
Un Conseil de Stabilité Financière (CSF) remplacera le Forum de Stabilité Financière (FSF) créé en 1999 pour répondre à la crise née de la faillite du fonds spéculatif (hedge fund) LTCM. Il aura théoriquement un rôle de « supervision de toutes les institutions financières et les produits et les marchés ayant une importance systémique ».
Mais son rôle risque d’être des plus symboliques. Tim Geithner, le nouveau secrétaire au Trésor américain vient, en effet, de déclarer au Financial Times qu’il estime qu’une « autorité nationale doit avoir la responsabilité de la supervision globale de ses institutions ». Comme le souligne La Tribune du 31 mars 2009, « En clair, pas question pour l’Etat américain de déléguer la régulation de Wall Street à une instance internationale ». Le CSF n’aurait donc rien pu faire (s’il en avait eu la volonté) pour empêcher la crise des « subprime » à l’origine de la crise financière actuelle.
Les « Hedge funds » (ou fonds spéculatifs) ont aussi de l’avenir. Le G20 demande qu’ils s’enregistrent auprès des autorités. Pour l’économiste Dominique Pilhon, la seule question qui se pose est pourtant celle de leur asphyxie pure et simple. Ils n’ont en effet aucune utilité économique, leur rôle est purement spéculatif. Mais la City, par exemple, n’a aucune volonté de contrôler ces fonds. Et, comme, malgré le rôle symbolique du CSF, les contrôles resteront nationaux, les sociétés qui gèrent ces « hedges funds » n’ont pas trop de souci à se faire.
Les rémunérations des banquiers et des traders sont renvoyés aux conseils d’administration des banques. Et, aussi bien aux Etats-Unis qu’en France, il a été aisé de constater leur bonne volonté quand il s’agissait de diminuer leurs mirifiques bonus, leurs parachutes dorés et autres « retraites chapeaux ». Le G20 a donc raison de leur faire toute confiance : Rien ne changera vraiment.
La titrisation des crédits permet à une banque d’accorder un crédit et de s’en débarrasser aussitôt, après avoir touché sa commission, en cédant le titre de cette créance à un autre établissement. Le G20 décide que la banque devra garder 5 % des créances ainsi « titrisées » dans son bilan. Cela n’a vraiment rien de dissuasif quand il s’agit, pour la banque émettrice, de faire 20 % de profit sur l’ensemble des crédits accordés tout en pouvant se débarrasser de 95 % de « créances pourries ». La seule mesure réaliste aurait été leur interdiction.
Les problèmes posés par les produits « dérivés » qui, sous prétexte de garantir les spéculateurs contre les risques multiplient, en fait, ses derniers n’ont pas été abordés.
La question de l’ « effet levier » qui permet de vendre ou d’acheter des titres en ne possédant en couverture qu’une toute petite partie des titres ou des sommes nécessaires au dénouement de l’opération n’a pas non plus fait l’objet de la moindre décision.
Pourtant, ces « innovations » financières avaient joué un rôle important dans la propagation de l’actuelle crise financière. La seule mesure efficace aurait été d’interdire les produits dérivés et de fixer très haut (50 à 75 %) les titres ou les sommes devant servir de couverture à une opération spéculative.
Enfin, la libre circulation des capitaux n’a pas été touchée, ni de près, ni de loin. Les capitaux, sûrs de leur mobilité, pourront continuer à imposer leur loi à des salariés beaucoup moins mobiles.