In the mood for anger
Tout a commencé par des casseroles de plus en plus lourdes et bruyantes à la queue du pouvoir. On a "découvert", grâce à Mediapart, comment ça se passe dans la haute, dans les ministères, à la tête de l’État. Corruption, conflits d’intérêts, dilapidation de l’argent public… De quoi faire hurler encore un peu au "tous pourris" cher à Marine Le Pen. Mais ce n’était rien. Il fallait donner à l’extrême droite, aux fascistes, encore un peu plus. Il fallait transformer peu à peu la France :
En marché ouvert, libéralisé, en dépossédant les citoyens de tout bien commun au profit du capital ;
En État xénophobe qui stigmatise des populations (les musulmans, les Roms…), donne partout la police ;
En dictature pseudo-démocratique en réduisant la justice à presque rien (lois anti-terroristes pour tous, peines lourdes pour tous, rien pour les politiques ou patrons corrompus…), en sabotant les pouvoirs locaux et en concentrant les crédits, en maîtrisant tous les organes de presse (ou presque)…etc…
Tout cela, ceux de la gauche de la gauche l’avaient crié sur tous les toits pendant la période électorale. Sarkozy, ce serait ça disait-on. Et en face, on riait, on arguait que c’était là pure parano. Nous y sommes cependant.
Et face à cela, quand une rafle déporte un camp de Roms, quand une autre enlève des parents d’enfants scolarisés à la sortie des écoles, quand au nom d’une identité prétendument nationale on monte les citoyens les uns contre les autres… le journaliste de télévision, interlocuteur parfois unique … se tait. Il annonce les nouvelles, et puis se tait. Pas un commentaire.
Au contraire, on donne la parole à des idéologues de cette "nouvelle" droite dite décomplexée. Et à eux seuls. Les autres n’ont plus droit à l’antenne. Alors le "philosophe" Finkielkraut, "l’éditorialiste" Elisabeth Levy, l’omniprésent Zemmour répandent leur discours de haine de l’autre. Il y aurait un mal français, une islamisation de la France, des Roms dangereux comme tout, des caïds dans le foot français, des jeunes qui veulent saboter leur beau pays… Et ce serait ça le problème de la France. Quant aux contradicteurs, les Guillon, les Porte par exemple : limogés. Tout simplement. Alors encore, le silence. Un silence coupable.
Pendant ce temps des milliers de citoyens se mobilisent, ou inventent des alternatives. On leur envoie la police, les RG (depuis peu fusionnés avec les services secrets, rien que ça). Et c’est tout. Silence, encore.
On traque tous les plaisirs, la clope est suspecte, la musique inquiétante. Et on libéralise les jeux en ligne. Substituons la thune à tout. Pas pour en gagner, bien sûr.
On arrête à tour de bras, on expulse, on ferme les bars, les squatts, les camps de voyage. Les lieux de culture deviennent des lieux d’élite, à mille lieues de l’Éducation Populaire, désormais disparue. Là encore on milite. Et rien.
C’est donc que la France glisse dans une forme moderne du fascisme, qui au nom de la liberté (des marchés) privent les humains de tout ce qui crée du lien, de la différence. C’est que la France assume désormais son Histoire, toute son histoire, puisque celle-ci n’existerait plus. Avec l’info en direct-live, terminé le recul, la réflexion, la vigilance, la critique. L’histoire se joue tellement en direct, qu’elle s’oublie aussi vite. A la rentrée on aura oublié les sans-papiers expulsés cet été, comme on a oublié avec l’été les sans-logis morts dehors cet hiver, on oubliera les Roms et les "affaires" et on ira manifester pour les retraites.
Il n’y pas de combat légitime, alors, qui ne s’inscrive dans la durée, dans la transformation radicale du pays, dans des perspectives globales. Parce que cette "modernisation" très typée est globale, cohérente, il faut lui opposer un projet de société global, cohérent. Il n’y a rien à attendre aujourd’hui des directions syndicales, des journalistes des grands médias, de la "justice" … etc… Il n’y rien d’autre à attendre que ce que nous ferons.
Alors plutôt que de se plaindre, de seulement et tout le temps s’indigner dans les réseaux en ligne ou les conversations privées, peut-être est-il temps d’agir, de s’engager dans la réalité. Par la grève générale d’abord, sans doute, pour ouvrir la faille, le possible d’une transformation ; pour se parler et retrouver le temps de penser collectivement. Mais encore ? Et après ? La grève pour quoi ? Pour attendre du gouvernement tel recul (bien temporaire), telle inflexion de la même politique, toujours globale et cohérente ? Ou pour ouvrir, maintenant, le possible d’une révolution ?
Stéphane Arnoux
20/08/2010