Le Gloomy Monday de La Peste
1er janvier 1991. J’ai 17 ans.
Il est à peu près 18 heures et je suis allongée sur mon lit, ma nuit blanche palpitant dans mes tempes et faisant de mon corps un objet sans poids, sans consistance, sans relief… Je flotte, à plat ventre, encore imprégnée de bruit, de rires, et des dernières heures de la fête. Ma nuit s’est terminée dans une extase indistincte, et dans des bras inconnus. J’étais ivre, plus que jamais, et c’était bon.
Les yeux clos et l’esprit à la dérive, je m’enfonce dans ce lit que j’aimerais ne plus jamais quitter. Le manque de sommeil, les restes d’ivresse et mes souvenirs brûlants me soulèvent par vagues : mon coeur bat fort et mon souffle est profond. Sur mes oreilles, le casque passe Mercy Street, en boucle. Cette chanson m’apaise et me transporte, dans un bonheur infini. Le rythme, la musique, la voix de Peter Gabriel, tout ensemble me comble, m’emplit d’une sauvage et paisible allégresse.
Et depuis presque 18 ans, quand je sombre dans une sorte d’épuisement extatique, quand la fatigue a raison de moi et que l’intensité de mes émotions me submerge, je m’allonge à plat ventre, je ferme les yeux, et j’écoute Mercy Street en boucle. Le plaisir est intact, et la force des sensations toujours aussi dévastatrice.
Cette chanson me tue. Et me ressuscite.
Peter Gabriel a écrit "Mercy Street" en 1986 (chanson extraite de l’album "So"), en hommage à la poétesse américaine Anne Sexton (1928-1974), dont l’oeuvre, jamais traduite en français, a représenté une avancée majeure dans la poésie féminine (et féministe) ; les thèmes abordés dans ses poèmes furent, pour l’époque, révolutionnaires. Le recueil intitulé "45 Mercy Street", et paru en 1976 à titre posthume, a inspiré la chanson écrite par Peter Gabriel. Anne Sexton, après plusieurs épisodes dépressifs, s’est suicidée en 1974.
Le blog de La Peste.
La Peste est l’une des plaies d’Epidemik.