Madagascar, île enchanteresse, terre d’Eden à la faune rare et encore préservée, aux champs cultivables mais vendus à des puissances capitalistes au détriment des paysans… A Madagascar, la terre est rouge, comme une saignée perpétuelle. Madagascar, c’est grand comme la France et Madagascar c’est aussi un des pays les plus pauvres du monde.
Pourtant, il y a encore peu, Madagascar ce n’était que le titre d’un dessin animé à succès pour beaucoup de gens. Madagascar, que je prononçais "Magadascar" quand j’étais petite, a longtemps été un de mes mots magiques. Madagascar c’était loin, exotique. Madagascar c’était une langue étrange qui pimentait mon français de quelques mots à rallonge, de sonorités féminines, douces et maternelles, comme des codes secrets. Une langue qui bizarrement ne se prononce pas comme elle s’écrit. Madagascar, aujourd’hui encore, nous gonfle la bouche d’une histoire qui est aussi la nôtre. Une histoire qui nous fait détourner la tête par manque d’intérêt ( ?), mépris ( ?), ennui ( ?), cette histoire que nous ne voulons pas connaître : les colonies.
Car avant d’être un dessin animé à succès, Madagascar a été un territoire français… par la force. Et l’est resté… dans le sang.
Madagascar était indépendante et unifiée depuis près d’un siècle, quand dans l’escalade colonisatrice et la course aux territoires qui se jouait entre la France et l’Angleterre, les dés malgaches sont retombés sur les Français. En 1885, ils débarquent(1). Gallieni, futur héros de la Guerre 14-18, tranche dans le lard des subtilités entre protectorat et autres simagrées. Secondé par Lyautey, il exile la reine en place et se charge, dès 1896, de la « pacification » de l’île, autrement dit sa colonisation, avec travail forcé à la clé, ce qui revient, à instaurer un esclavage institutionnel.
Prodigue de ses richesses, l’île demeure rétive et la population se révolte contre son occupant à plusieurs reprises. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, et suite à une occupation partielle par les Anglais, les Malgaches se mettent à rêver de liberté et d’égalité grâce à la signature de la Charte de l’Atlantique en 1941. Ce document sensé promouvoir la démocratie pour assurer la paix proclame le renoncement à l’agrandissement territorial, le droit des peuples à choisir leur gouvernement, la renonciation à la force. Cet espoir formidable a donné naissance au Mouvement Démocratique de la Rénovation Malgache (MDRM), parti politique qui a compté trois députés sur les bancs de l’Assemblée constituante.
Seulement, on avait oublié d’expliquer aux Malgaches que la Charte de l’Atlantique ne les concernait pas. Plus dure sera la déception. En 1947, un nouveau soulèvement, celui-là de grande ampleur, sera réprimé avec brutalité. Selon les quelques historiens qui se sont penchés sur cet épisode, elle aurait été infiltrée et plus ou moins encouragée par des membres de l’administration coloniale qui souhaitaient en découdre avec les velléités démocratiques des élites malgaches.
Le 29 mars, quelques centaines d’hommes munis d’armes blanches s’en prennent aux colons et aux Malgaches qui travaillent avec eux. Du Sud, l’insurrection s’étend à l’Ouest puis jusqu’à Tananarive (Antananarivo) et va durer vingt mois. En 1948, une petite Française de six ans qui vivait à Madagascar avec ses parents et sa petite sœur, a vu un groupe d’hommes se masser derrière les grilles de sa maison. Ils ne sont pas allés plus loin, mais l’un d’eux à jeté une lance d’un geste précis et tué sa chienne Guêpe à quelques pas d’elle.
La réponse coloniale a été désordonnée, précipitée, démesurée. Plusieurs articles évoquent des massacres n’épargnant ni femmes ni enfants. Le 6 mai 1947, une centaine de militants du MDRM ont été enfermés dans des wagons puis mitraillés.
"Un haut fonctionnaire évoquera un « Oradour malgache » pour le massacre du village de Moramanga."(2)
Pour mater la révolte, le gouvernement français envoie les tirailleurs sénégalais. Ironique ? On expérimente une nouvelle méthode d’intimidation qui fera long feu dans les régimes arbitraires et qui consiste à jeter les gens vivants d’un avion en vol. Aujourd’hui, les historiens tentent d’établir le nombre réel de victimes. On a parlé de 89 000 victimes parmi les Malgaches à l’issue du conflit, qui seraient ramenées à 30 000 ou 40 000 aujourd’hui. La plupart des victimes étant décédées de la faim ou de la maladie. Personne n’explique réellement dans quelles conditions. Pour le moment…
Pour le moment, et tout comme à l’époque, c’est encore le silence. Dans les livres d’histoire des petits Français mais également à Madagascar. Ceux qui y étaient ne parlent pas, ceux qui sont nés après savent à peine ce qui s’est passé. Les historiens malgaches commencent à en faire un sujet d’étude. L’année dernière, Thierry Bedard, metteur en scène français, a monté une pièce de théâtre autour d’un texte de l’auteur malgache Jean-Luc Raharimanana. La pièce 47 s’est jouée en France à Limoges et Annecy mais aussi à Antananarivo. Cependant, suite à une intervention de la Direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID), la tournée malgache s’est arrêtée là, ce qui, pour les créateurs, équivaut à une « censure d’Etat ». Ce qui est fort dommage pour la mémoire commune à nos deux peuples, car comme l’explique Thierry Bedard dans Libération, la représentation à Antananarivo « était un moment très intense, il y avait beaucoup d’étudiants dans le public. Le sujet est sensible parce que c’est un Français et un Malgache qui traitent ensemble de l’effroi. » Preuve que la jeunesse est prête à questionner l’histoire si on lui en laisse la possibilité.
En France, plus que le silence, c’est l’indifférence. On se considère encore comme le partenaire économique privilégié de la grande île. Mais au fond de moi, je ne ressens aucune gratitude, aucune amitié, aucun attachement du cœur de la France pour ce pays de cocagne, occupé et parfois sincèrement aimé.
(1) Le traité de Berlin attribue l’île à la France (sa seule position stratégique face aux Anglais, dans l’Océan indien). La France signe alors un traité avec le Royaume de Madagascar qui repose sur l’ambigüité de la langue malgache et qui ne donne théoriquement aucun droit à la République Française sur le Royaume de Madagascar. Mais, au fil des incidents diplomatiques, la France mène une politique de plus en plus agressive, puis entreprend la conquête de l’île. Source Wikipedia
(2) Source Wikipedia