Gloomy Monday
Ce qui frappe à la première écoute, c’est la voix, mâle et chaude, bien posée. On ne peut s’empêcher d’être surpris. On s’attendait à entendre l’album d’un acteur qui a décidé de faire chanteur et on tombe sur l’album d’un chanteur.
« C’est arrivé une nuit. Je dînais avec Johnny Hallyday. On n’avait pas le moral tous les deux. On a parlé jusqu’à deux heures du matin. A la fin, il m’a dit : "J’aimerais une chanson qui ressemble à notre conversation." Je suis rentré et j’ai écrit Ma vie. »
Si Bruno Putzulu se lance dans une carrière de chanteur, ce n’est ni par calcul, ni dans une volonté de se recycler, ni même encore pour toucher un plus large public. Déjà dévoré de l’intérieur par la brûlure des planches et de la caméra, le garçon semble avoir été happé, malgré lui, par une évidence. Doué pour les mots, ils les mâche, les avale, les vit et les transcende. A présent qu’il les a apprivoisés, il les couche sur le papier et les fait danser. Drôle de monde, douze chansons, dix textes, deux reprises et deux musiques pour décrire le mal-être, l’amour qui s’en va, l’amour qui revient, l’enfance qui fait mal, l’amitié toujours plus forte.
« Je me suis aperçu que j’aurais envie de chanter ce que j’écrivais. Le chant a un rapport étroit avec le théâtre. Dans les deux cas, il s’agit d’interprétation. »
Ce qui touche ensuite, c’est la sincérité du propos. Pas de top des charts en ligne de mire, pas d’étude de marché sur des publics plutôt jeunes ou plutôt féminins. Pas de jive techno, de rengaine fuzz, de bridge psyché, quelques uns des éléments obligés pour finir en pub pour un opérateur de téléphonie mobile ou une marque de voiture. Le bonhomme se ressemble et celles et ceux qui l’ont découvert avec plaisir dans les films de Tavernier, Godard, Jacques Audiard ou Mocky, le retrouveront tel qu’en lui-même. A peine surpris peut-être de constater qu’il chante bien, en plus.
Il n’empêche qu’on tape tout de même du pied, qu’on ondule du bassin, qu’on se laisse enivrer par la voix et les musiques. D’une couleur plutôt nostalgique, entre le bleu et le gris, Drôle de monde frôle parfois le noir non sans cynisme sur Poupée à fric, non sans humour et dérision sur Cupidon pardon, non sans délicatesse sur le titre éponyme.
D’une valse qui voit tanguer L’amour à un Ami qui n’est pas sans nous rappeler le Jeff de Brel, d’un Tchecker, tchecker, tchecker qui taille la route la fleur aux lèvres à un Quand j’étais p’tit cristallin et taquin, l’auteur et le compositeur, Bob Lennox, ont délibérément misé sur l’émotion, la tristesse et une gaîté revendiquée qui balaye vite les peines d’un haussement d’épaule joyeux avant que les larmes ne reviennent.
« Je suis heureux d’avoir été jusqu’au bout. Cela provoque une grande joie chez moi. Tant mieux si les gens aiment cet album. De toute façon, je suis prêt à le défendre. Je sus plein de désir même après vingt ans de métier. »
Chaque chanson est un petit bijou sculpté avec la conscience, le savoir-faire et l’amour de l’artisan. A noter un sublime duo avec Elsa Lunghini sur une reprise d’une chanson d’Yves Simon J’t’aimais j’t’aime plus.
Ce Drôle de monde est, pourquoi pas, un album pour (re)tomber amoureux, de belle facture et courageux en ces temps d’avarice et de calcul.