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Howard Zinn, la griffe de l'Histoire

4 février 2010 à 23h47
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Tout ce que je savais de lui c’est qu’il était l’auteur d’une quasi-encyclopédie sur l’histoire moderne américaine (de 1472 à nos jours) [1], critique, marxiste et en-dehors des sentiers battus. Une oeuvre colossale qui, contre toute attente, reste aujourd’hui un vrai succès de librairie, après 2 millions d’exemplaires vendus et 5 rééditions depuis 1980. En apprenant sa mort la semaine dernière, j’ai découvert l’humaniste, le progressiste, le rebelle et j’ai senti le souffle d’une liberté folle, inventée et réinventée dans un siècle qui s’est employé à corseter, et à recorseter après la parenthèse enchantée des 60-70’s, les esprits avides de vie.

AMOUREUX DE LA VIE

Howard Zinn, cet amoureux de la vie, est décédé à l’âge de 87 ans. Cette nouvelle est passée quelque peu inaperçue à cause du décès, le même jour, de J.D. Salinger, un autre esprit non conventionnel américain. Elle n’en constitue pas moins un écueil important dans l’histoire de la pensée américaine qui perd l’un de ses fleurons.

Ironiquement, les décès de ces deux grands Américains, chacun dans leur domaine, semblent se répondre. Ils furent tous deux témoins et acteurs de l’un des épisodes les plus meurtriers du XXème siècle, la Seconde Guerre Mondiale. Elle aura marqué et déterminé la suite de leurs existences respectives.

Le premier a choisi de s’extraire du monde. Salinger à débarqué en Normandie, a libéré Paris, est entré en Allemagne, peut-être même a-t-il vu les camps de la mort. En 1950, il a publié une nouvelle relative à la guerre au titre évocateur, Pour Esmé avec amour et abjection. Dès le milieu des années 50, après le succès de L’Attrape-coeurs, il choisit la réclusion volontaire, écrivant sans publier.

Le deuxième a préféré protester, manifester, revendiquer, expliquer, sans jamais s’épuiser. Howard Zinn, aviateur, a participé au bombardement de Royan. Dans son autobiographie, il raconte que les Allemands qui se trouvaient alors dans la ville française, avaient cessé le combat et attendaient l’armistice. Ils ne représentaient donc pas une menace militaire. La gratuité de ce bombardement dont le véritable but fut la première expérimentation du napalm, lui ouvre la voie de la dissidence, lui montre le chemin de la désobéissance civile qu’il n’aura de cesse de prôner par la suite. Cette guerre dans laquelle il s’était engagée par conviction antifasciste va le propulser dans le monde.

LA PAROLE AUX HUMBLES

Son statut de soldat démobilisé lui permettant de s’inscrire gratuitement à l’université, il se tourne naturellement vers l’histoire et la sociologie, dont il réussira, au fil des années et de son travail, à transmettre des valeurs bien éloignées des va-t-en-guerre, bushers et autres cyniques financiers. Lui-même d’origine modeste, il a su faire entendre la voix des petites gens. Il donnait la parole aux humbles, aux oubliés, aux humiliés, aux broyés de l’histoire et du rêve américain pour en dévoiler le côté sombre. Indiens, esclaves, ouvriers et syndicalistes, femmes, Noirs. Son premier combat fut pour le mouvement des droits civiques pour les Afro-américains dans les années 50.

Ce professeur émérite de l’Université de Boston a toujours préconisé la désobéissance civile pour ne pas tomber dans "l’obéissance civile" beaucoup plus dangereuse. Pacifiste convaincu, il fustigeait le délire d’hyper-puissance américain et croyait au "refus massif" de se battre des populations pour enrayer états de guerre et terrorisme. Il s’est également prononcé contre la peine de mort, pour le démantèlement de l’Otan qu’il voyait comme un instrument d’asservissement par les Etats-Unis.

Et ne serait-ce que pour juger du degré d’humanisme qui habitait cet intellectuel d’une gauche bien silencieuse en Amérique, il n’y a qu’à le lire ou l’écouter :

"Il n’y a pas de drapeau assez large pour couvrir la honte de tuer des innocents."

"Contester la loi n’est pas une entorse à la démocratie ; cela lui est essentiel."

"Avoir de l’espoir dans les mauvais moments n’est pas seulement follement romantique. C’est basé sur le fait que l’histoire humaine est une histoire non seulement de la cruauté, mais aussi de la compassion, du sacrifice, du courage, de la bonté. Ce que nous choisissons de souligner dans cette histoire complexe détermine nos existences. Si nous ne voyons que le pire, cela détruit notre capacité à agir. Si nous nous souvenons de ces temps et lieux -et il y en a tant- où les gens se sont comportés magnifiquement, cela nous donne l’énergie pour agir, et au moins la possibilité d’envoyer cette toupie qu’est le monde dans une direction différente. Et si nous agissons, ne serait-ce que dans une moindre mesure, nous n’aurons pas à espérer un avenir utopique. Le futur est une succession infinie de présents, et vivre maintenant comme nous pensons que des êtres humains doivent vivre, dans la méfiance de ce qui est néfaste, est en soi une merveilleuse victoire."

Reste à savoir quand les graines qu’Howard Zinn, par son engagement politique, aura su semer seront près d’éclore sur le terreau des Etats-Unis d’Amérique.

Une manif pour Gaza Gideon Levy : « La vie des Palestiniens plus cruelle que Plomb durci »

Notes

[1] Une histoire populaire des États-Unis d’Amérique : de 1492 à nos jours ; trad. de l’anglais par Frédéric Cotton Traduction de : A people’s history of the United States : 1492-present. Marseille : Agone