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Dassaut videur

jeudi 8 février 2007 par Gilbert Comte
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Quand Dassault a acquis le Figaro, il a aussitôt viré du journal tous les Académiciens qui y tenaient chronique. Gilbert Comte honnit et l’industriel et les Immortels avec la même ferveur

Chaque soir, le patron d’une discothèque soucieux de maintenir l’ordre dans son établissement place un ou deux costauds à la porte afin d’en éloigner les indésirables. Même précaution à l’intérieur. Le vocabulaire qualifie de « videurs » ces spécialistes du déménagement et de l’empoignade.

Nul n’osera jamais comparer l’Académie française à une boîte de nuit. Encore qu’elle en emprunte, en interprète, depuis plusieurs années déjà les moeurs bien légères. Mis à part quelques attardés – Maurice Druon toujours superbe, Marc Fumaroli, une intelligence en ébullition, Gabriel de Broglie savant gentilhomme et quelques autres encore – qu’est-ce qu’un des Quarante de nos jours, sinon un polisson vêtu de vert, coiffé d’un chapeau à plumes ? Ou un notable habile à tirer les cartes, fort expert en réussites ?

Parfait dans le genre, l’inimitable Jean d’Ormesson dans sa manière d’énoncer des fadaises, de pétillantes gaudrioles l’oeil bien au fond des orbites. Fou comme ce détail avantage une physionomie. Le plus plat des caractères y reçoit de la force. Les ludions réunis sous la Coupole ne ressemblent plus aux grands aînés d’autrefois : un Daniel Rops si émouvant ; André Maurois, profond chercheur ; Pierre Gaxotte, tout en étincelles. Et cette peau de vache de Fançois Mauriac, avec sa plume taillée, flexible comme une trique !

Ah ! le vieux bourgeois d’Auteuil si frileux dans ses privilèges, mais toujours prêt à jeter feux et flammes à la vue d’une ignominie, parfois si jeune d’esprit qu’il ne s’en loupait pas lui-même. « Je me méfie de moi car je me connais » lâcha-t-il un jour dans son redoutable Bloc-Notes. Cherchez l’équivalent dans Jean-Denis Bredin, René Rémond, graves… du politiquement correct. Par nature, de nos jours, l’Académicien batifole. Il gazouille, grenouille, vibrionne, gambade, se contorsionne, se prend parfois les pieds dans le tapis mais monte savamment le long des murs. Avec tant de cocktails à courir, d’ânes savants à bénir, de copains à récompenser, petits fours à croquer, champagne à lamper, puis au-dessus de tous, cette figure dominante des temps nouveaux, le vrai modèle à suivre, le resplendissant Stéphane Bern.

Depuis des lustres, les plus agiles de la bande causaient, gémissaient, souvent chantaient, virevoltaient, bondissaient dans les colonnes du Figaro, en vertu des traditions d’un journalisme à l’ancienne. Il y semblait convenable d’associer la noblesse du Savoir et des Lettres aux commentaires du quotidien banal. Le parfait alibi depuis 20 ans pour n’en plus dire grand chose. Du moins, l’illusion ronronnait. Devenu le Patron des locaux, Serge Dassault mit doucement à l’automne tous les freluquets à la porte et, avec eux, les dernières plumes. L’élimination s’opéra sans bruit, presque à la sauvette, avec une efficacité sans égale.

Le regard souvent sombre, le sourire pénible dans des traits pesants, l’illustre industriel ne passait déjà pas pour un sentimental. Dans ce cas, il travailla avec la rude efficacité d’un videur professionnel. Personne ne lui contesta jamais de vraies capacités comptables. Or, les messieurs en vert lui coûtaient les yeux de la tête pour un rendement aléatoire. Quelques-uns comme d’Ormesson disposaient d’une rente de situation digne de Crésus. Les chiffres en circulation rendent épileptique. Trop, beaucoup trop pour des travaux bien légers. Polytechnicien compétent, M. Dassault fronça les sourcils lorsqu’il les compara aux services rendus par n’importe quel ingénieur de l’aéronautique. Immortel décédé voici quelques jours, Jean-François Deniau annonçait parfaitement la fin de la farce sans trop le savoir dans Le Figaro littéraire du 18 mars 2004. Sujet de son article, la défense de notre langue nationale devant l’anglicisation planétaire. Une bien juste cause. Pour affirmer, main sur le coeur : « l’Académie française joue son rôle de magister moral ». En huit mots - huit ! - l’essentiel vient d’être dit. « Jouer » un « rôle » signifie sortir de soi un moment pour se mettre en scène. Comme un acteur. Ensuite, retour tranquille à la maison dans l’indifférence bailleuse du voisinage.

Le dévouement réel à une grande cause exige des sacrifices plus sérieux, d’abord un don de soi total. Un exercice hors du commun pour des notables repus, gonflés d’importance, de suffisance, imposants, pontifiants, et même triomphalement impuissants depuis la transformation de leurs testicules en petits appareils à produire du caviar. Parfois une Dame comme Carrère d’Encausse s’échappe du quai Conti. Elle part ouvrir un bureau de l’Alliance française bien loin au fond de la Russie. Là-bas, cérémonies où s’échangent caresses, promesses, cajoleries, minauderies dans l’océan des zakouskis. Ah ! ma chérie…

Évidemment, tous ces coqs, perruches dorées considéraient toujours Dassault d’un oeil très clair. Malgré les fonds qu’ils en reçoivent, les Gens de Lettres n’apprécient pas forcément un comptable à sa juste valeur. Maintenant, voilà qu’il tient la plume à leur place avec, l’autre jour, une fastueuse approximation : « Je ne sais quel roi disait à son Ministre des Finances : faites-moi de bonnes finances, je vous ferai une bonne politique. »

Inexact ! Totalement faux ! Passons sur le « je ne sais quel roi », si dédaigneux du milliardaire envers les successions dynastiques. Due au Baron Louis –1755-1837–, maître du Trésor sous Louis XVIII puis Louis-Philippe la phrase n’allait pas comme une demande du politique au financier mais exactement en sens inverse : « Sire, faites-moi une bonne politique, et je vous ferai de bonnes finances. »

Pour son excuse, Serge a des moeurs républicaines. Les subsides électoraux garantissant envers les bailleurs de fonds toute la subordination désirable des vainqueurs au suffrage universel. Si Dassault veut s’ébattre dans les concepts parmi les citations justes, appropriées qu’il s’adresse donc à Bakchich. Il aura tout gratuit au téléphone. Tout pour l’ombre d’un radis. Parce qu’un videur ça se récompense.

Voir en ligne : in Bakchich # 20

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