Après avoir publié la traduction française de son livre « L’Industrie de l’Holocauste », Norman G. Finkelstein, un universitaire américain a constaté avec effroi et étonnement, que le pays de Voltaire et Hugo, celui de Zola, que cette patrie qu’il croyait toujours être celle des écrivains libres était devenue, dans le débat d’idées, « le pays le plus fermé du monde occidental ». Juif, membre de la « gauche » américaine, Finkelstein dans son bouquin s’est étonné que les rescapés de sa famille, victimes du génocide nazi, aient touché quelques dollars des divers fonds d’indemnisation créés dans le monde, alors que des responsables de sa communauté roulaient dans de longues limousines, payées par ces même fonds dont nous parlons.
A partir de cette constatation toute simple, Finkelstein enquête, analyse le fonctionnement de ce qu’il baptise « industrie ». Aux Etats-Unis, son ouvrage lui attire, à part égale, haine et sympathie. Personne ne l’assigne devant un tribunal et aucun flic new-yorkais n’est contraint à passer ses nuits en bas de la porte de l’écrivain pour le protéger. Mais dès que le texte a été diffusé en France, Finkelstein a été harcelé, injurié, ravalé au rang de ceux que Finkielkraut nomme « ces juifs qui collent l’étoile jaune aux autres juifs ».
Je vais en venir à l’affaire Siné, qui est notre préoccupation actuelle, mais je pense que ce qui est arrivé à Finkelstein, ce qui est arrivé à Edgar Morin, ce juif- résistant traîné devant un tribunal français pour « antisémitisme »- est un évènement assez fort pour nous n’ayons plus qu’à constater : maintenant en France, on veut mettre les idées en prison. Et bientôt ceux qui les ont dans la tête.
La loi Gayssot et autres textes de la juridiction d’Etat qui veulent définir, au cœur de l’histoire, une fois pour toute le vrai et le faux (comme « les bienfaits de la colonisation » décrétés par l’Assemblée nationale), le bien et le mal sont des armes de destruction massives du débat et de la recherche. Tout simplement de la vérité et de la démocratie.
Un jour, Giscard d’Estaing, alors à l’Elysée, se pose en hélicoptère au sommet du Buet, montagne française interdite d’accès à ce type d’engin. Scandale chez les écolos. Que fait VGE ? Il interdit désormais tout atterrissage sur toutes les montagnes de France.
Vous trouvez que je m’égare ? Non. Giscard pond ce texte pour soulager sa mauvaise conscience, comme Mitterrand a soutenu des lois liberticides et autres « devoirs de mémoire » pour se faire pardonner Vichy et la guillotine pendant la Guerre d’Algérie, Jospin pour oublier un père qui, au nom de la paix, s’est en 1940 un peu égaré sur le chemin de la force occupante. Sans oublier l’axiome qui montre que rogner la liberté, là où elle peut faire mal, n’est jamais en France un mauvais calcul électoral. Avec l’arrivée de Sarkozy, le pli est pris et on a le sentiment qu’il navigue avec l’histoire et la religion selon un principe qui met en jeu le marketing, l’ignorance et la sincérité.
L’affaire Siné n’est qu’une marche de plus dans l’escalier. Escalier roulant puisque Richard Labévière, journaliste à RFI, naguère banni de l’antenne à la demande de l’ambassadeur d’Israël, est tout simplement licencié par Pouzhillac, un pubard devenu grand maître de la CNN à la française, avec Christine Ockrent, femme de Kouchner, comme porte coton. Le 23 juin, alors que Sarkozy se rend en Israël, Libération rapporte les propos de Patrick Gaubert, patron de la Ligue Contre le Racisme et l’Antisémitisme, la Licra : « Le fils de Nicolas Sarkozy, Jean, vient de se fiancer avec une juive, héritières des fondateurs de Darty, et envisagerait de se convertir eu judaïsme ».
Très bien. Quelque temps plus tard, après que le dossier ait traîné trois ans dans un placard d’un tribunal, le même Jean Sarkozy, accusé d’avoir heurté, en scooter, la voiture d’un conducteur d’origine arabe et pris la fuite, comparaît enfin devant des juges. Siné, dans Charlie Hebdo, relie ces deux éléments de la vie du prince Jean. Il écrit : « Jean Sarkozy, digne fils de son paternel et déjà conseiller général UMP, est sorti sous les applaudissements de son procès en correctionnelle pour délit de fuite en scooter. Le parquet (encore lui) a même demandé sa relaxe ! Il faut dire que le plaignant était arabe ! Ce n’est pas tout : il vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d’épouser sa fiancée, juive et héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin dans la vie ce petit ! » Pour avoir écrit cette phrase, Philippe Val, le propriétaire de Charlie Hebdo a viré Siné pour antisémitisme.
Pas plus de commentaires à faire. C’est, en France la marche de l’histoire. La météo, maussade, de la libre parole. Je me souviens, au cœur du Kosovo durant la guerre, avoir entendu dans une radio que Philippe Val était de ceux qui demandaient « une intervention terrestre de l’armée française pour libérer les albanophones… » Suffisamment enrichi par son métier de chansonnier dans les Maisons des Jeunes, Val a eu, au moment opportun, assez de fonds pour prendre le contrôle du journal, comme un vulgaire Dassault. Depuis, ce type autoproclamé « d’extrême gauche » est, sur ce flanc-là, le chien de garde de la bien-pensance. Vigile de BHL, Finkielkraut, Bruckner, Adler, et des idéologues de ce genre, type Joffrin, qui font la sentinelle à Libé et au Figaro. Pour avoir écrit la vérité il fallait donc que Siné soit exécuté.
Militant pendant la Guerre d’Algérie aux côtés du FLN, anticolonial compulsif, voyageur à Cuba, enragé de Mai 68 : il n’y a plus de place pour un Siné dans la presse convenable et convenue. En France, on ferme le Siné. Mais à toute chose malheur est bon puisque, selon Alexandre Adler, avec Val « un nouveau Zola » nous est né. Le philosophe Pierre Tevanian, auteur du parfait « Voile Médiatique » est quand même là pour nous rappeler que, dans Charlie le 5 janvier 2005, Val a signé ceci : [Les otages français, Christian Chesnot et Georges Malbrunot] « ont été enlevés par des terroristes islamiques qui adorent égorger des Occidentaux, sauf les Français, parce que la politique arabe de la France a des racines profondes qui s’enfoncent jusqu’au régime de Vichy, dont la politique antijuive est, par défaut, une politique arabe. » Disons que Siné a été viré « par défaut ».