Non seulement le grand foutage de gueule continue, mais il monte, même, vers des hauteurs où l’oxygène se raréfie.
Dimanche, par exemple, dans le journal du même nom [1], un fidèle compagnon [2] dominical de l’Élysée (qui "travaille en ce moment à un livre sur" un fils du chef de l’État français [3]) a publié un "manifeste pour faire bouger la France".
(Ne ris pas, s’il te plaît.)
Il s’agit, plus précisément, d’un "manifeste pour l’égalité réelle", dont les initiateurs estiment que : "Oui, nous pouvons !"
Et qu’il faut, maintenant que nous avons à la Maison Blanche un Reunoi, "ENGAGER" en France "des politiques publiques qui combattent les conséquences sociales des discriminations", et "SYSTÉMATISER les politiques volontaristes de réussite éducative et la promotion des talents dans les quartiers populaires" - et autres nunucheries du même tonneau : de celles, tu sais, qui font sur TF1 de très jolis sujets de vingt à trente secondes où Rachid raconte comment qu’il est content d’avoir enfin pris le train de la mondialisation, nonobstant le gros handicap de sa naissance au fond du fond de la Seine-Saint-Denis et de son ascendance éminemment rebeu.
C’est un "appel" assez bouleversant, comme souvent sont les appels, que publie donc le fidèle compagnon dominical de la chefferie de l’État ; et si bouleversant même que des hommes de coeur l’ont abondamment signé - je songe, notamment, à "Jean-François Copé, président du groupe UMP à l’Assemblée", ou "Patrick Devedjian, secrétaire général du parti du Président".
Les signatures de ces deux-là, déjà, ne sont pas rien - mais il y a (beaucoup) "mieux encore", s’écrie joyeusement le fidèle compagnon dominical de l’Élysée : "Carla Bruni-Sarkozy apporte son soutien à l’entreprise, à ses principes et à ses buts".
Car en effet Carla Bruni-Sarkozy : "Née Italienne, épouse d’un enfant d’immigré hongrois, revendique dans un texte exclusif [4] son engagement antiraciste, et invite son pays d’adoption à bouger".
(Le Monde, jamais en retard d’un effet de mode, en tire aussitôt la (seule) conclusion (possible) : "Carla Bruni-Sarkozy relance le débat sur la discrimination positive"…
Un de ces matins, Carla Bruni-Sarkozy proclamera j’aime le son du glaçon dans mon Fernet-Branca - et Le Monde nous annoncera que la first lady ravive brusquement le débat sur le rétrécissement de la banquise arctique…)
Quand je te disais que désormais le foutage de gueule culmine à des altitudes annapurniques…
Par le choix de ses mots, le fidèle compagnon dominical de l’Élysée apparaît pour ce qu’il est : un ouvrier studieux, occupé à dresser entre son lectorat et la réalité un joli décor où le chef de l’État français, nonobstant les "provocations antijeunes, anti-immigrés, antimusulmanes qui (lui) ont permis de rallier une partie de l’électorat du Front national" [5], devient d’abord l’"enfant", est-ce émouvant, "d’un immigré hongrois"…
Dans la vraie vie, naturellement : tout est moins joli que dans le monde enchanté où le Journal du Dimanche aime à te promener.
Dans la vraie vie, jamais le "parti du Président" (et du régime qui tond le gueux pour mieux gaver le galetteux), aux affaires depuis le Déluge, n’a combattu, que l’on sache, "les conséquences sociales des discriminations".
(On peut pas être à la fois au paquet fiscal et au chevet du nécessiteux - sauf, naturellement, si ledit est le boss d’un établissement de banque.)
Dans la vraie vie, comme je te disais la dernière fois, ce régime "n’a rien fait pour améliorer le sort des minorités" - en sorte que : "Le Plan banlieue est une coquille vide, la dotation de solidarité urbaine est menacée…"
Dans la vraie vie, loin de "SYSTÉMATISER les politiques volontaristes de réussite éducative et la promotion des talents dans les quartiers populaires", le chef de l’État français a plutôt annoncé, pour nos territoires d’outre-périphérique(s), une politique de nettoyage au kärcher (parce que bon, mâme Dupont en a plein son cul d’la "racaille").
Dans la vraie vie, pendant que l’épouse du chef de l’État français "revendique son engagement antiraciste", le régime réclame que des fonctionnaires suivent la soutenue cadence de 25.000 sans-papiers capturés chaque année.
Dans la vraie vie, pendant que l’épouse d’"un enfant d’immigré hongrois" proclame sans rire que "la France est un pays ouvert" ?
C’est le camp de rétention de Vincennes qui rouvre, et la Commission Nationale de Déontologie de la sécurité, info passée inaperçue [6], qui vient de qualifier "d’inhumain le traitement infligé à un couple moldave et à son bébé de trois semaines l’an dernier".
(Rappelle-toi : "Sans-papiers, ils avaient été placés en garde à vue pendant 9 heures", bébé compris, "avant d’être transférés au centre de rétention de Rennes"…)
Où étaient donc les antiracistes qui manifestent chez Lagardère ?
[1] Qui appartient comme tu sais à un "frère" du chef de l’État français.
[2] "COMPAGNON. VIEILLI OU LITTÉR. Personne (souvent, homme) qui partage habituellement ou occasionnellement la vie, les occupations d’autres personnes (par rapport à elles)"
[3] Reviens, Voltaire, ils sont devenus fous, par Philippe Val, Grasset, 2008.
[4] Compilation de " propos recueillis", tu l’auras deviné, par le fidèle compagnon dominical de l’Élysée…
[5] Après la démocratie, par Emmanuel Todd, Gallimard. Combien de fois vais-je devoir te dire qu’il faut que tu te procures ce bouquin ?
[6] Merci qui ? Merci, Anne.