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Laissez Venir A Moi Le Bon Gros Pognon Qui Sent Bon

20 avril 2008 à 12h22

En 1945, dans une préface, nouvelle, à son livre "Fascisme & grand capital", paru neuf ans auparavant (et que tu devrais avoir lu, ou si tu veux que je tue ton iench), Daniel Guérin observe que "le lien entre fascisme et grand capital" est tout ce qu’il y a d’"intime".

J’y repensais en lisant "Le Journal du dimanche" de ce matin, et, à sa page 4, un entretien avec un certain José Luis Duran, qui fait le beau métier de "président du directoire de Carrefour", et qui "s’exprime pour la première fois sur la situation (…) en Chine" populaire, où un appel à boycotter "les hypermarchés" de son groupe a été comme tu sais "lancé via Internet".

Le gars est inquiet : il prend "la situation très au sérieux".

Ca ne signifie pas, du tout, comme tu pourrais le penser d’abord sur la foi d’une connaissance un peu superficielle des ressorts du libéralisme, que José Luis Duran compatit au sort des Tibétains que réprime Pékin (non sans le prompt soutien de Jean-Luc Mélenchon, qui trouve qu’après tout, mâme Chabot, "dans quel pays au monde y a-t-il des endroits où les émeutes urbaines ne sont pas réprimées ?")

Ce qui le préoccupe, le José Luis Duran, c’est qu’il a "deux millions de clients qui se rendent chaque jour dans (ses) magasins chinois", et ça, n’est-ce pas ?

Ca représente, au bas mot, de gros.

Gros.

Gros.

Paquets de pognon.

(Des sommes auuuuutrement plus considérables que l’émolument, par exemple, que le groupe Carrefour consent aux fins de mois aux caissières de ses magasins de France.)

Et naturellement : José Luis Duran, commerçant, n’a aucune intention de se laisser miter le chiffre d’affaire(s) par des moines dépenaillés dont Jean-Luc Mélenchon a fort bien démontré qu’ils étaient l’obscur(antist)e survivance d’un âge ancien dont la Chine populaire et nouvelle a si joliment su libérer un gros sixième de l’humanité.

Du coup, José Luis Duran fustige les manifestants qui ont osé l’autre jour, dans Paris quadrillée comme Pékin par des keufs, perturber "le passage de la flamme olympique".

José Luis Duran confesse : "Lorsque j’ai vu les images, je n’étais pas fier".

(La fierté du grand capital m’est une source de joie qui jamais ne se tarit.)

José Luis Duran, psalmodiant le couplet qui a mené jadis la fine fleur olympique aux JO nazis de Berlin, énonce que : "S’attaquer au symbole de la flamme et aux athlètes, c’est contraire aux valeurs de l’olympisme".

José Luis Duran, cependant, ne dit rien de ce que lui inspire, en termes de fière fierté, la répression qui s’abat sur les rues de Lhassa (et d’ailleurs) - et dont il n’a dû voir, c’est vrai, que peu d’images, puisque aussi bien ses partenaires chinois, garants des valeurs de l’olympisme, se défient de la curiosité malsaine des reporteurs occidentaux.

Florence Muracciole, qui recueille pour "Le Journal du dimanche" la péroraison de José Luis Duran, lui pose alors cette question, incroyablement effrontée : "Carrefour a-t-il soutenu le dalaï-lama, comme le prétendent des médias chinois ?"

José Luis Duran sort de ses gonds, à cette seule évocation : "Carrefour ne s’implique jamais dans les affaires politiques ou religieuses des pays où il est implanté", non mais ça va pas, ou quoi ?

Il ajoute : "La situation au Tibet est complexe, et en tant que président de Carrefour, je ne me permettrai pas de porter de jugement".

(Carrefour a-t-il soutenu Salvador Allende, comme le prétendent des médias chiliens ?

Ah ben merde, non, alors : monsieur Pinochet dispose de trop de ce bel argent que nous aimons.)

José Luis Duran précise, pour le cas où tu douterais encore de sa maîtrise consommée du foutage de gueule (néo-)libéral : "Il faut arrêter d’opposer les intérêts économiques et le progrès social et moral".

Carrefour, par exemple, peut très bien se donner du plaisir économique dans des endroits où le progrès social consiste à loger une balle dans un manifestant.

L’agrent, vois-tu, n’a pas d’odeur - et à ce propos, Florence, voudriez-vous je vous prie fermer la fenêtre ?

Ces Tibétains morts qui se décomposent, je ne me permettrai bien sûr pas de porter le moindre jugement de fond - mais faut admettre qu’ils puent très fort.

LSD : "Rangoon Lhassa".

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