Elisabeth Badinter a bien travaillé… sa com’. A l’occasion de la sortie de son dernier livre Le conflit, la femme et la mère, on l’a vue absolument partout, remâcher son discours parfaitement formaté oeuvrant pour la cause des femmes, c’est-à-dire leur ouvrant les yeux sur leur condition de femmes dépossédées d’elle-mêmes par leurs mamelles. De France-Inter qui lui ouvrit son antenne toute la journée du 11 février au plateau du Grand Journal, Madame Badinter venait prêcher pour sa paroisse, Elisabeth Badinter, un nouveau dogme post-écologique, after-naturaliste et èmellaiffe revival.
En cause, la pression exercée sur les femmes pour les "contraindre" à allaiter plutôt que les laisser s’accomplir et se réaliser grâce au biberon. Mais aussi les brocolis bio que Cécile Duflot veut faire avaler de toutes forces aux nourrissons en circonscrivant à jamais ou presque les femmes dans la cuisine. Mais encore les couches culottes lavables qui se révèlent une alternative tronquée à la liberté des femmes et qui les circonscrirait cette fois dans la salle de bains, au détriment des couches jetables qui envahissent actuellement les décharges publiques et par conséquent la planète.
Sauf que la "mère" Badinter aurait aussi dû travailler un peu plus son discours. Les raccourcis faciles, les vérités assénées sans preuves chiffrées ou mal chiffrées n’ont pas eu raison de la meute médiatique et bloguesque qui s’est jetée à ses basques. Ce qui ne l’empêche pas de vendre son livre, bien au contraire.
Personnellement, je ne reproche pas à Madame Badinter de penser ce qu’elle pense, ni même de le dire, ni même d’y mettre tous les moyens pour. D’ailleurs, jusqu’à un certain point, son point de vue n’est pas complètement stupide, il est juste poussé à l’extrême d’une façon sans doute grossière et ridicule (je n’ai pas lu le livre), et considère pour acquis ce qu’il aurait peut-être été judicieux de ne présenter que comme une dérive possible.
Ce que je lui reproche par contre, c’est un manque flagrant de dignité, de décence, de respect des autres car je n’ose pas dire d’intelligence, étant persuadée que Madame Badinter n’en manque pas. Comment, étant actionnaire majoritaire de l’une des plus grosses agences de publicité de France (Publicis pour la nommer), ose-t-elle venir plaider la cause des couches (P…), des petits pots (B…) et du lait maternisé ? Et tout cela, de surcroît, au nom du salut du féminisme, en brandissant la menace écologiste, la plaie naturaliste et en promettant les chaînes aux femmes qui succomberaient à la tentation ? Comment a-t-elle imaginé que personne ne ferait le parallèle ? Comment peut-on, en toute conscience, se présenter comme juge et partie, toute Badinter que l’on soit et surtout si l’on s’appelle Badinter ? C’est d’un toupet, d’une condescendance, d’une indélicatesse et d’un manque d’imagination proprement vertigineux.
Pour ne pas bouder mon plaisir, je vous ai concocté une petite revue de presse ultra expresse et tout à fait inexhaustive mais relativement jouissive grâce aux personnes qui se sont données la peine de répondre à cette dame, et il fallait le faire, avec plus ou moins d’humour, plus ou moins de sérieux mais aussi de dérision.
La plupart des réactions ont dénoncé la nouvelle lubie de Madame Badinter "qui estime avoir trouvé le nouveau fléau machiste : l’allaitement" (Marianne) quand il reste encore tant de combats à mener pour les femmes comme l’égalité des salaires, l’avancementprofessionnel, contre les violences conjugales… Agnès Maillard ne se prive pas de décrire par le menu cet "OPA sur le corps des femmes (qui)ne cesse jamais !"
"Et ne parlons pas de tout le reste, de toutes les autres contraintes du corps social sur le corps des femmes, toutes les injonctions physiques, comportementales, vestimentaires, sociétales, qui nous enferment, nous limitent, nous entravent, nous écrasent finalement aussi sûrement qu’une bonne grosse burqa mentale.
"Il faut", "y a qu’à", "tu dois", les normes, les mensurations, les regards, les obligations, nous sommes d’éternelles mineures, nous sommes en permanence sous tutelle, sous contrôle. La mode dicte notre couleur préférée du mois ; le médecin, notre poids idéal ; l’employeur, régulièrement, notre coupe de cheveux, la longueur réglementaire de la jupe. Nous sommes même à présent soumises à l’impératif médiatique de l’orgasme et on en profite pour re-banaliser l’usage de la machine à jouir, astucieusement rebaptisée sex toy pour l’occasion. On légifère abondamment sur le tissu religieusement ostentatoire… mais surtout lorsqu’il est porté par les femmes." (Le Monolecte)
Lorsqu’on lui parle de l’asservissement de la femme par l’écologie, Périco Légasse voit vert dans Marianne et explique qu’il ne faut pas se tromper de cible : "Ce n’est pas à l’écologie, ni à l’environnement, ni au bio à payer la facture, c’est au connard de mec rivé sur son nombril et incapable de se bouger les fesses pour changer une couche, donner un bain, faire le dîner des enfants et s’en occuper de temps en temps pour que Maman puisse écarter les doigts de pieds. C’est cette mentalité masculine là qu’il faut fustiger, pas les défenseurs de la nature."
Avec l’intelligence qu’on lui connaît, Clémentine Autain, sur son blog, ne fustige pas la pensée Elisabethbadintérienne. Elle reconnaît d’ailleurs que face à la sempiternelle promotion de l’instinct maternel, aux clichés sur l’allaitement et à la suspicion que suscite le non-désir d’enfant, "le coup de gueule de Badinter, ça fait vraiment du bien." Elle pointe cependant le manque de nuance, l’impression désagréable donnée qu’avoir des enfants n’est "qu’aliénation, privation de liberté, contraintes" et reproche à l’auteure son manque de recul et de réflexion.
"Dénoncer la pensée dominante essentialiste, d’accord, mais quelles sont les conditions pour que la maternité ne rime plus avec inégalité et soit compatible avec l’épanouissement individuel ? Le rôle des pères est par exemple déterminant : or ils sont quasiment absents de la réflexion d’Elisabeth Badinter – exit même la notion de parentalité. C’est pourtant bien le binôme maternité/paternité que nous avons à déconstruire. La place des hommes, dès la grossesse, dans la relation à l’enfant doit être reconnue, promue, transformée. Que les pères ne puissent même pas rester dormir dans la majorité des maternités est par exemple invraisemblable."
Cible directe de la matrone du féminisme pour avoir émis l’idée de taxer les couches jetables pendant son mandat de secrétaire d’état à l’écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet a tenu à retoquer son assaillante sur la question dans un article du Monde. "Cette polémique sur les couches lavables est dérisoire. Ces produits n’ont plus rien à voir avec ceux qu’utilisaient nos grands-mères et j’invite ceux qui s’y intéressent à se renseigner précisément sur le sujet, ce que n’a vraisemblablement pas fait Elisabeth Badinter."
Mais c’est encore Bakchich Hebdo qui remporte la palme de la démesure verbiale, de la gaudriole avec panache grâce à la plume acide de Jacques-Marie Bourget qui m’a fait hurler de rire. L’article est évidemment à charge, mâtiné d’un mauvais esprit de bon aloi, un régal de discourtoisie. Cependant étant publié dans l’hebdo, uniquement accessible aux abonnés pour l’instant, je préfère me rabattre sur l’article paru sur le site intitulé On ne badine pas avec la mère Badinter et ne peut que vous encourager à vous abonner ou à acheter Bakchich Hebdo dès son retour en kiosque :
"Pour parler du contexte, sans aborder le fond qui réclame d’être en forme, madame Badinter me fait l’effet d’un marchand d’armes manifestant contre la guerre. Avec son perpétuel habeas corpus, et le renfort du crédit de son mari si ça ne suffit pas, Elisabeth Badinter réussit depuis vingt ans à faire oublier qu’elle est l’actionnaire principale de Publicis, compagnie dont on sait que la situation des femmes n’y est pas meilleure qu’ailleurs, que les syndicats occupent la place du mort et que la structure du groupe, par petites unités, permet de mieux faire souffler l’esprit maison."
Pour finir, la journaliste de Monde Sandrine Blanchard met les points sur les i des inquiétudes de Madame Badinter, dans l’édition du 18 février :
"Les révolutions maternelles sont ailleurs que dans votre crainte d’un retour au naturalisme. Qu’il y ait aujourd’hui une majorité de bébés qui naissent hors mariage, que l’âge moyen à la première maternité atteigne presque 30 ans - malgré l’inquiétude moralisatrice du Haut Conseil de la famille -, que les femmes n’acceptent plus la toute-puissance du pouvoir médical montrent qu’elles prennent en main leur destin de femme et de mère."