Voilà le texte de Didier Jacob sur le site du Nouvel Obs. Balèze.
« La Suisse, cette pute » : la dernière pitrerie de Yann Moix
Les lecteurs du Figaro, épargnants pépères ou capitalistes ultralibéraux, apprécieront peut-être moyennement que son éditorialiste (les pages livres) ait lancé sur le site Internet de La Règle du jeu, la revue de BHL, un appel au meurtre de la Suisse, sur le ton loufoque qui ne surprendra cependant aucun des habitués de sa prose (le billet a semble-t-il été retiré, réédité et augmenté d’un autre, puis retiré à nouveau du site, ainsi que le second). Sous le titre « J’aime Polanski et je hais la Suisse », l’ami Yann Moix écrit par exemple : « La Suisse ne se donne même pas, comme le feraient des salopes ordinaires : la Suisse se prête au plus fort. Elle prête sa soumission. C’est une pute. Elle ne se donne jamais mais se prête toujours. Elle se prête avec intérêt. Elle se loue. Elle se sous-loue. Elle fait des offres. Elle écarte les jambes quand viennent à passer un officier nazi, ou une très grande puissance comme, par exemple, aujourd’hui, nos amis les Etats-Unis. »
Moix, c’est son problème, ne dit jamais les choses une fois. Il doit penser que son lecteur est dur de la feuille. Un vrai petit manège. Il tourne en rond, à cheval sur sa prose morbide, son éloquence raciste, et quand vient la fin du morceau, il faut toujours qu’il demande un tour supplémentaire : « Je hais la Suisse. Sa gentillesse méchante, sa dégueulasserie bonbon, son calme rempli de dagues et de couteaux. (…) Quand il y a la guerre, Suisse, tu te carapates. Tu regardes tes chaussures. Tu vas tranquillement te promener en montagne. Tu respires le bon air parmi les gentils (petits) oiseaux. (…) Je te hais, Suisse. Je te demande de m’arrêter moi aussi, le jour où je viendrai te voir. Pour cracher sur ton sol immonde. » Arrêter Moix, peut-être pas. Mais du moins l’emmener à l’hosto, service urgences générales.
On pourra s’étonner, au passage, que la revue de BHL s’associe à cette profession de foi qui, dans sa nature même, n’est autre que fasciste. A moins que BHL, justement, n’ait demandé à Moix de retirer son texte, indisponible depuis quelques heures maintenant. Moix censuré par BHL ? Peu importe, d’ailleurs. A l’évidence, Moix, cet écrivain, cet homme de plume, de basses besognes plumitives, va mal. On ne trouverait rien à redire, surtout ici, au fait qu’un peu de bile soit libérée dans la médiasphère. Mais on est là face à quelque chose qui ressemble à de la haine immémoriale, laquelle dénonce le Suisse avec la même rage, et facilité, qu’elle a dénoncé des juifs.
Pris à partie par quelques internautes, Moix, quelques jours plus tard, trempe donc à nouveau sa louche dans la soupe de sa colère. Ca s’appelle cette fois « Je hais la Suisse, deuxième volet ». Y en aura-t-il un troisième ? L’influence des séries américaines, sans doute. L’auteur, en tout cas, devait imaginer qu’il n’avait pas enfoncé suffisamment le clou. Il s’agit, dans le deuxième billet, des mérites comparés de l’attitude de la France et de la Suisse pendant l’Occupation. D’un côté, la France qui a su résister, de l’autre, la Suisse qui n’a fait que se vendre. « La Suisse, je le concède évidemment, n’a pas été un pays de bourreaux. Juste un pays de salauds. » Bon, disent quelques internautes à l’éructant Moix, il y a quand même eu des gens, en Suisse, qui n’ont pas été les salauds que vous dites. Là, reconnaissons que Moix a du génie. Car les « bons » Suisses, pour lui, ne sont pas suisses : ils sont humains, pardi. Hors frontières. Je vous cite le passage : « Les Justes ne font pas partie d’un pays. Ils font partie de l’humanité. Ce ne sont pas des Suisses, avec des intérêts suisses, avec des intérêts nationaux suisses, avec des intérêts financiers, bancaires et économiques suisses qui ont sauvé des juifs : ce sont des hommes. Ce sont des hommes humains qui ont sauvé d’autres hommes humains. »
Des hommes humains. Comme Moix un chacun ? Savez-vous que, dans son délire, Moix pourrait finir par vouloir enfermer la « prison suisse » dans une prison plus large. Et transformer la Suisse en camp de concentration entouré de barbelés. Mais qui va sauver les Suisses alors ? Si les hommes humains de Suisse, capables de libérer les Suisses, sont enfermés à l’intérieur de la Suisse non humaine ?
Encore un tour de manège ? C’est que Moix n’a pas fini avec son poney. Un dernier coup de cravache et ça donne : « Je dis, je redis ce que je pense : Roman Polanski a aussi été arrêté parce qu’il est juif. Je n’en démordrai pas. » Que Polanski soit aujourd’hui ennuyé par la justice (avec cependant certaine relative tolérance qu’il doit à son statut de grand metteur en scène) pour ce qui demeure un fait grave, soit le viol d’une mineure, n’a finalement, aux yeux de Moix, pas d’importance. La Suisse, dit-il dans une interview publiée depuis dans le Matin, c’est « Gestapoland ». Ou ceci : « C’est quoi, demande le journaliste, la lausannéité ? » Réponse de l’auteur : « C’est la mollesse dégueulasse. Voilà ce que sont les Suisses : des mous salauds. »
On aura du moins une idée, en lisant les sottises de notre sous-Céline, de la profondeur de ses vues. C’est une pensée fasciste, qui assimile un pays, ou une population, au Mal. Ne reste plus qu’à signer l’ordre d’élimination. Moix, c’est le poids des raccourcis, le choc de l’infamie.