L’interpellation musclée d’un salarié de Libération, Vittorio de Filippis, devient, dans Libération, l’"affaire Libération ".
Et j’en conviens : c’est, en effet, une excellente affaire.
Pour la presse, et pour l’UMP.
1.
Pour la presse, d’abord, qui récite à longueur d’année son bréviaire néolibéral, qui tous les jours se pâme aux guerres sociales du patronat et de ses laquais partisans, mais qui sur ce coup-là ne manque (bien sûr) pas de se camper en dérangeant contre-pouvoir - sans lésiner sur le pathos : Mougeotte lui-même a hurlé hier que le sort fait à Filippis était "intolérable" (ne ris pas, ce n’est pas gentil), et quelques heures plus tard Fottorino, pris de jalousie, lui répondait que non, que c’était plutôt "inacceptable".
(Ni l’un ni l’autre, évidemment, ne cessera de publier de rudes exhortations à brutaliser le miséreux par de crânes (mais justes) réformes.)
Libération de son côté, considérait hier que "la presse est victime d’un nouvel acharnement de la justice, qui poursuit de plus en plus sévèrement les journalistes", comme, notamment, Denis Robert, "mis en examen pour avoir eu en main les listings de l’affaire Clearstream", ou, tiens-toi bien, Philippe Val, directeur de la publication et de la rédaction de Charlie Hebdo, passé "devant le tribunal en février 2007" pour "l’affaire des caricatures de Mahomet".
Dans la vraie vie, naturellement : le big boss de Charlie, protégé par des keufs et (gentiment) soutenu par (le gentil) Sarko (liste non exhaustive), a été comme tu sais relaxé, au terme d’une procédure absolument normale, où tu chercherais en vain le moindre "acharnement de la justice".
Dans la vraie, aussi : le big boss de Charlie ne déteste pas que des poursuites judiciaires pleuvent sur Denis Robert.
Mais Libération, n’est-ce pas ?
Trouve du bonheur dans quelques tartufferies - et le prouve encore ce matin en observant que dans l’affaire des sabotages à la SNCF : "Pour l’Intérieur, la voie du terrorisme était toute tracée".
Oui-da, coco, mais dans la vraie vie, et si mes souvenirs sont bons ?
Pour Libération aussi, la même voie était assez clairement tracée :
(T’as des petits problèmes de mémoire ?)
2.
Excellente affaire aussi pour le parti régimaire.
Libé, hier matin, louait (longuement) cette "vigoureuse réaction" de Frédéric Lefèbvre, "porte-parole de l’UMP" (dont le coiffeur a lu tous les bouquins de Luc Ferry) : "Le traitement subi par le responsable de Libération, arrêté dans le cadre d’une affaire de délit de presse non passible de prison, paraît surréaliste".
Le soir Le Monde bissait : ""Le traitement subi par le responsable de Libération, arrêté dans le cadre d’une affaire de délit de presse non passible de prison paraît surréaliste", s’indigne M. Lefèbvre dans un communiqué".
Nos journaleux aiment bien, quand le bon "M. Lefèbvre" (qui veut "abaisser la responsabilité pénale de 13 à 12 ans" et chercher aussi "des troubles du comportement chez l’enfant dès le plus jeune âge") leur témoigne de la sympathie.
Nos journaleux aiment bien, aussi, quand le chef de l’Etat français libère son humanisme : Libé rapporte ce matin, avec beaucoup d’application, que Sarkozy, réagissant (à l"affaire Libération "), envisage une "dépénalisation de la diffamation" et veut "une procédure pénale plus respectueuse des droits et de la dignité de la personne".
C’est le même, tu sais, qui manifestement n’a aucune envie qu’on dépénalise l’outrage.
C’est le même, tu sais qui fait rafler dans nos rues et dans nos écoles des sans-papiers.
Au nom, certainement, "des droits et de la dignité de la personne" ?