Elle a l’air toute frêle, toute mince, toute petite. Elle pourrait être ma petite soeur, ta soeur, ma meilleure copine. On a plutôt envie de la protéger. Vêtements de sport, bandanas façon rappeurs, si tu t’y frottes tu risques d’être piqué. Voir, écouter, découvrir Keny Arkana chanter, c’est se prendre une grosse baffe, c’est ne plus pouvoir détacher son regard de cette étrange petite fille, c’est prendre le risque d’entendre ses mots, de se laisser pénétrer par son phrasé vindicatif, qui t’interpelle, qui t’appelle, qui va faire bouillir ton sang. Tout ça dans ce corps frêle.
Avant de devenir une altermondialiste convaincue, Keny Arkana s’est heurtée au monde. Enfant fugueuse, cloîtrée de foyer en foyer, elle se barre au propre comme au figuré grâce à ses mots. Son premier album s’appellera à bon escient Entre ciment et belle étoile. A 13 ans, elle se produit devant ses camarades. Un directeur de foyer lui dit qu’elle n’a pas d’avenir, elle lui répondra dans la chanson Eh connard.
Une dizaine d’années plus tard, son chant est un acte politique, son flow rageur une démarche militante, une façon de ne pas se laisser endormir par un système qu’elle dénonce sans relâche. Cette marseillaise d’origine argentine, âgée de 24 ans, n’a pas froid aux yeux et ne s’en laisse pas compter facilement. Elle évolue dans un milieu presque exclusivement masculin, chante à la manière d’un rappeur. Elle est le pendant anti-commercial d’une Diam’s, refusant de participer à sa propre starification, et battit sa carrière sur ses propres ressources. Aucune télé, peu d’interviews, peu de fréquentation des médias à qui elle reproche la récupération et la commercialisation du rap. Elle doit son succès à la scène, qu’elle a investie dès le plus jeune âge, et à internet. Elle s’est néanmoins produite lors de la remise du prix Constantin en 2007 pour l’interprétation de Nettoyage au Karcher. Ses compagnons de scène faisaient mine de karcherirser un type portant le masque de Sarkozy. « N’ayez pas peur de vos quartiers / Ouvrez les yeux sur ce qui déroule / Peuple avec ou sans papier / Qu’attends-tu pour te mettre debout ». Buzz.
Elle chante des titres aussi évocateurs que Réveillez-vous, La rage, La haine du Front en réponse à un militant du FN qui avait détourné l’une de ses chansons. Aujourd’hui, Keny Arkana ne se contente pas d’enregistrer des albums, elle est à la tête d’une association « L’appel aux Sans-Voix » qui organise des forums dans toute la France. L’occasion de réfléchir encore, d’apprendre toujours, des autres, de se mobiliser au-delà du rap, d’initier son public à l’altermondialisation et non l’antimondialisation, souligne-t-elle. Elle voyage en Afrique, en Amérique du Sud où elle a rencontré le Sous-commandant Marcos, elle chante devant les centres de rétention pour protester contre la politique du chiffre (Vincennes, le 4 mai 2008). Keny Arkana vient de sortir son troisième album intitulé Désobeissance.
« Ce sont, selon moi, ceux qui veulent croire que le système actuel est tenable qui sont dans l’illusion, le dogme et l’utopie. Je pense avoir comme beaucoup d’entre nous la conscience aiguë de l’urgence dans laquelle nous sommes si on pense encore pouvoir sauver les hommes et cette planète. Car je sais aussi que j’appartiens à la dernière génération qui peut encore espérer inverser la tendance avant qu’il ne soit trop tard. » (Rue89)
Keny Arkana n’est pas pour la révolte. Elle est pour la révolution. Et elle se demande ce qu’on attend pour se mettre debout.
(Mai 2008)