Quand le "faites emmerdant" ne suffit plus.
7 mars 2008 à 15h13Les spins doctors du journalisme sont des cantonniers qui n’ont jamais vu de pelle. Et c’est dommage puisque ce qu’on leur demande, contre des honoraires royaux, c’est de creuser la tombe des canards. Au Monde, privé d’Alain Minc (Dieu ait miséricorde), le spin doctor sait qu’il met les pieds dans un monument historique. Donc, boulevard Blanqui, le réparateur de journal naît plutôt sur place. Un ou des journalistes du Monde deviennent donc des docteurs. Et s’équipent aussitôt des outils intellectuels du sabordeur de journal.
Les règles : il faut faire court, car le jeune lecteur est impatient. Mettre des images, comme sur internet. Parler de choses futiles, puisqu’il est surement con. Et aussi du sport parce que ça muscle et fait du bien aux poumons. On vous sort des « études de lectorat » qui analysent la vie de la tribu qui est la vôtre, et non celle que l’on doit conquérir. Eric Fottorino, directeur-cycliste pourrait l’écrire : on pédale dans le vide et pas sur le 53X13.
Pas un seul docteur ne vient vous dire qu’on achète aussi le journal : pour faire du feu, pour envelopper les plantes, couvrir le sol en cas de peintres ou faire un chapeau de soleil. Aucun docteur pour vous avouer qu’on achète aussi Le Monde à la suite d’une maladie grave, une addiction aux Mots croisés. Par charité, ne parlons pas du Monde 2. Et, dans cette période verte, on se demande pourquoi on coupe des forêts pour imprimer ça. Avec obligation d’achat, pour Le Monde 2, puisque le Mots croisés ne se vend pas en pièces détachées. Même le vendredi, jour du poisson qui, d’une presse deux coups, peut également être emballé dans le journal. Au fond de leur âme, si pure, les maîtres du Monde savent un peu tout ça. La preuve : allez sur internet, vous pouvez lire les pages du journal. Sauf les Mots croisés.
Dans Le Monde, la stratégie éditoriale donne des choses étonnantes. Je me souviens d’une page sur une jeune femme qui tient un hôtel en Egypte. D’une autre sur un coiffeur Sarthois et encore, sur des Arabes, violeurs à Dubaï. Des pages recto qui ont un verso que le lecteur ignore. La dernière occasion de rire est une récente pleine page. Elle est consacrée à Roger Auque. Ce qui atteste de la constance du Monde. Puisqu’en matière de journalisme l’ami des milliardaires libanais est un coiffeur Sarthois. Peut-être le quotidien a-t-il l’ambition de devenir le journal des coiffeurs ? Ce qui serait hasardeux avec les menaces que fait peser Attali sur la profession.
Personne, dans le bataillon des spins n’a envisagé qu’un journal écrit avec soin, douleur et amour pourrait se vendre mieux. La recette de Camus, quoi. Mais la littérature et le journalisme, même si la corporation nous inonde de bouquins, n’ont jamais été aussi fâchés. Vialatte, Blondin, Gatti, Desproges et plein d’autres ont été des journalistes. Et Angelo Rinaldi l’est toujours. Alors ? Alors Pierre George, un type désinvolte avec la vie, et au talent ébouriffant, a quitté Le Monde sans qu’un seul de ses docteurs ne se pose la question : « Combien de lecteurs n’achètent-ils notre journal que pour le bonheur d’y lire Pierre George ? »