Tout de même : nous avons, nous autres, né(e)s sous le signe de l’hexagone, du moins est-ce mon sentiment, ce vieux fond que n’ont pas, disons, nos voisins luxembourgeois, et qui fait qu’à intervalles somme toute réguliers, trop las du pain rassis que nous consentent les Versaillai(se)s embrioché(e)s, nous libérons finalement le Robespierre qui est en nous.
(Je dis Robespierre, parce que, t’as remarqué ?
La droite, ces temps-ci, en (a) fait son épouvantail de prédilection.
Dans l’imaginaire étroit des pauvres clercs de médias qui prétendent penser pour nous, Maximilien de R. vaut à peu près Hitler : sitôt que tu énonces que tu n’es que moyennement d’accord avec leurs sinistres imprécations réactionnaires, ils t’annoncent que tu es sur le point de leur couper le col.
L’autre jour encore, j’entendais je ne sais plus quel sombre crétin expliquer, affolé, que : "Serge Halimi, c’est Robespierre !"
Et ta mémé, imbécile, c’est Lavrenti Beria ?)
Bon, tout ça pour (te) dire que nous sommes le 10 avril 2008, et que, tu l’as noté : nous n’avons pas encore commencé la révolution.
Mais du moins nous retrouvons-nous chaque jour plus nombreux (jusques et y compris dans la masse captive qui a donné son vote à Nicolae Sarkozy) à comprendre que nous sommes confrontés, comme jamais, à un gouvernement de guerre.
Sociale.
Confrontés à des gens que rien n’arrête, qui osent tout, et qui, cependant qu’ils fustigent une "gauche" (très) imaginaire, clament en choeur, désinhibés à donf, que : "C’eeeeest la luuuuut-teu finaaaaa-leu".
Et que cette fois-ci est la bonne, pour ce qui les concerne.
Et que cette fois-ci, espère : ils vont terminer la mission.
Et que cette fois-ci les gueux finiront pour de bon au caniveau.
(Parce que, mâme Chabot : on me dit que je suis dur aux pauvres, mais que ne me dirait-on pas si je ne les matais pas ?)
Leur décomplexion, il est vrai, se mêle encore de (beaucoup de) cauteleuse fourberie : naturellement, ils n’en sont pas encore au point où ils t’annoncent qu’ils viendront, à l’heure du laitier, rafler, en même temps que d’ultimes sans-papiers, tes derniers centièmes d’euro - afin que d’en faire don à quelque riche ami.
Ils continuent, tu ne les changeras pas, de te présenter le dépeçage de nos solidarités anciennes comme l’heureuse rénovation d’un vieux pays confit en fonction(s) publique(s) comme on peut l’être en dévotion(s).
(Vous avez relevé, mâme Chabot, que nos voisins de Manche, Dieu bénisse leur foutue reine, ont sur nous une avance de quelques trains (privatisés), pour tout ce qui serait de la réforme de l’Etat ?
C’est pour ça que je leur ai dit, mâme Chabot, durant que je bichais à Buckingham, que le Royaume-Uni, passé au hachoir libéral, reste mon horizon - que dis-je, mon espérance : force m’est de concéder que le seul nom de Maggie Thatcher me fait un peu éjaculer.)
Je ne saurais trop te conseiller, sur un sujet si grave, de consulter, dans "Politis", l’éditorial où, ce matin, le nécessaire Sieffert, Denis de son prénom, qui est notre antidote à Giesbert, ausculte le "glossaire de l’imposture ordinaire" : ça devrait te changer, assez positivement, des tristissimes saloperies que débitent rituellement les parleurs du Parti de la presse et de l’argent.
Sieffert débusque, derrière le vocabulaire usuel de la "réforme" et de la "modernisation" que nous fourgue chaque jour le régime (et aussi, je le crains, plus d’un "socialiste"), une réalité moins directement aguichante : "Quelque 11.000 postes d’enseignants en moins dès la rentrée prochaine.
(…) L’abaissement de 10 % du plafond d’accession au logement social.
(…) La remise en cause des aides personnelles et fiscales à certains bénéficiaires des classes moyennes inférieures.
(…) La limitation des contrats aidés destinés à réinsérer des chômeurs souvent de longue durée.
(…) Des gares, des postes et des services hospitaliers fermés".
A tout cela qui déjà suffit, reconnais-le, à te pondérer la joie de vivre, il conviendrait, il va de soi, d’ajouter la nouvelle menace que brandit Sarkozy de radier les chômeux qui auraient l’outrecuidance inouïe de refuser deux offres d’emploi sympa de suite : il n’est jamais trop tard, quand on mène la guerre totale aux miséreux, pour fabriquer au patronat de nouveaux esclaves (à peine) salariés.
Il faudrait aussi évoquer, la liste n’est pas exhaustive, la "flexibilité" à quoi seront bientôt soumis les fonctionnaires - et qui est comme tu sais la noble conquête où l’employeur laisse à l’employé le choix de se délocaliser du côté du Brésil, pour un salaire mensuel de 45 euros, ou d’un licenciement (à) sec.
Sieffert conclut - et tu as le droit de le trouver, là, euphémique : "(…) C’est une politique de classe d’une très grande violence qui est à l’oeuvre".
D’une si brutale violence, même, que nos molles protestations, je le crains, ne suffiront bientôt plus.
Brigada Flores Magon : "Pour ma classe".