Nous vivons comme tu sais un moment historique totalement flippogène, comme oncques n’en subîmes depuis un (gros) demi-siècle.
Un moment où, trop mutiques, nous relevons, comme fit l’autre jour Le Parisien, que les pauvres, dans nos entours, sont toujours plus nombreux à chercher leur pitance au fond des poubelles où Monoprix jette le soir ses produits (de bouche) périmés - preuve, s’il en fallait, que la camarilla haineuse qui a pris le pouvoir en 2007 n’aura de cesse que de prélever aux poches de la gueusaille ses derniers centi(è)mes d’euros, afin que de mieux gaver ses pansu(e)s commanditaires.
Dans ce moment, sinistre, et qui n’aura de fin qu’avec celle de notre si longue patience, un homme t’annonce, pas plus tard que ce matin : "La naissance d’un nouveau think tank à gauche (…), qui s’ajoute", c’est vrai, "à d’autres instances de réflexion", mais qui a beaucoup "plus d’ambition" que lesdites autres.
Cette naissance est, nous dit cet homme : "Un événement plus important qu’il y paraît".
Cet homme, c’est Laurent Joffrin, le big boss (à barbiche intégrée) de Libération - qui ce matin consacre, non seulement sa une, mais ses trois premières pages itou, à ce nouveau-think-tank-à-gauche.
De quoi s’agit-ce, précisément ?
Terra Nova, c’est son nom, serait d’après Libé le "nouvel endroit où la gauche pense" (NEOLGP).
Un "nouveau laboratoire d’idées à gauche", qui "entend s’adresser à l’ensemble du "camp progressiste" en repensant l’Etat-providence dans une France mondialisée".
Jusque là, tout va (presque) bien : c’est juste après que ça se gâte.
Qui finance (à hauteur d’"un million d’euros pour commencer") Terra Nova ?
"Du mécénat d’entreprises", d’après Libé.
Vérification faite sur le site officiel du NEOLGP, il s’agit d’une entreprise en particulier : Microsoft.
Bill Gates, donc : héros fameux du "camp progressiste".
Qui préside Terra Nova ?
Olivier Ferrand, "ex-conseiller de Lionel Jospin, proche de Dominique Strauss-Kahn".
Qui préside le conseil scientifique de Terra Nova ?
Michel Rocard.
(Ne ris pas, je te prie.)
Qui fera "tourner la boutique installée", comme il se doit, boulevard Saint-Germain à Paris" - en pleine banlieue rouge ?
"Six permanents", dont Libé souligne, goulûment, qu’ils ont le : "Profil Sciences-po, écoles de commerce".
Je suppose que tu commences à deviner que Terra Nova n’est pas exactement un repaire de bolcheviks - et comme tu as raison.
Nous avons là, tu l’as compris, non pas (du tout) "le nouvel endroit où la gauche pense", mais l’une, énième, de ces grotesques machineries où, sponsorisés par la fine fleur du néo-libéralisme, les "socialistes" polissent leurs permanents reniements.
(Le "camp progressiste", par exemple, va de leur point de vue : "De l’aile réformiste du PCF au Modem".
Ou, si tu préfères : du centre-gauche à la droitasse molle du cul.)
Nous avons là des gens qui pensent, comme Laurent Joffrin, qu’il faut "admettre enfin officiellement que le socialisme français est devenu réformiste, et qu’il se déploie dans le cadre de l’économie de marché".
Nous avons là des gens qui par conséquent sont, comme Laurent Joffrin, de gauche, mais de droite - mais qui n’ont (toujours) pas le courage de complètement assumer leur absolue soumission aux saines émulations de la concurrence libre et non faussée.
Nous avons là des gens qui veulent, ainsi que le résume (comme toujours) le boss à barbiche de Libé : "Montrer par quel moyen les progressistes entendent maîtriser cette économie de marché et comment ils veulent corriger les immenses injustices qui naissent du jeu spontané de la mondialisation".
Nous avons là, en somme, de burlesques thinkers, financés par le capitalisme, qui vont, très posément, continuer à faire comme s’il était possible de "maîtriser le marché" (qui leur assure leurs fins de mois) - quand n’importe quel enfant de cinq ans sait désormais de façon absolument certaine que c’est le capitalisme qui les mène par le col, et leur lâche, est-ce généreux, de quoi japper qu’ils ont des idées : pour fidéliser un "socialo" de compagnie, rien ne vaut le mécénat d’entreprise.