Alors comme ça, la droite qui (pense qu’elle) pense fait son autocritique ?
Elle vient de s’apercevoir, c’est dans le nouveau numéro de la désopilante revue Le Meilleur des mondes, que, je cite : "George Bush n’est pas Franklin D. Roosevelt".
(Je ne doute pas qu’elle réalisera bientôt, encore un effort, camarades, que Sarkozy quant à lui n’est pas (non plus) René Coty.)
Elle vient de s’apercevoir aussi, et par conséquent, et c’est comme une révélation, que, tiens-toi bien : "Aveuglé par le 11-septembre, ignorant des réalités du monde, le président américain a conduit son pays et le peuple irakien au désastre".
(Nous parlons ici de la croisade qui fit si fort se pâmer André Glucksmann.)
On voit par là que le néo-con, dans sa déclinaison hexagonale, est un benêt qui porte bien son nom, le pauvre : il a mis exactement quatre ans à comprendre ce que n’importe quel écolier de maternelle modérément versé dans la géostratégie a compris à l’instant précis où Colin Powell a déclaré sans rire que Saddam Hussein planquait des ADM dans les placards de sa cuisine.
On voit par là, aussi, et c’est à ça que je voulais en arriver, que le néo-con est finalement un peu raciste (antiaméricain).
C’est pas moi qui le dis, hein ?
Je me permettrais pas.
C’est Pascal Bruckner.
Ce penseur dont le (meilleur des) monde(s) nous envie les fulgurances a en effet posé (1), au printemps 2006, comme d’impudentes canailles osaient protester contre les sales guerres bushistes, et avec beaucoup de calme dignité, que : "Si le débarquement de 1944 avait lieu aujourd’hui, l’oncle Adolf jouirait de la sympathie d’innombrables patriotes et radicaux de la gauche extrême au motif que l’Oncle Sam tenterait de l’écraser".
(L’"oncle Adolf" : était-ce badin…)
Il précisait, comme pour mieux se libérer de toute pudeur : "Il y a (…) une parenté entre l’antiaméricanisme et l’antisémitisme, puisque l’un et l’autre sont des pathologies de la proximité".
Voilà qui était assez clairement proclamé : si tu n’étais pas d’accord avec les choix de vie de la camarilla bushique, tu étais antiaméricain, et si tu étais antiaméricain, tu étais un peu nazi, un peu raciste, un peu antisémite.
(C’est ainsi que brille dans la nuit des idées le phare de la Pensée Française.)
Soyons justes : Pascal Bruckner n’était pas (du tout) seul, dans cette magnifique aventure intellectuelle.
Nombre d’autres philosophes de (très) gros niveau ont succombé, dans la période, au(x) charme(s) de la complexité - comme Robert Redeker, qui avait déjà considéré, avec sa finesse coutumière, que le discours des opposants "néo-pacifistes" à la guerre d’Irak pouvait se comparer à la "propagande vichystonazie"…
(Hhhhh… )
Ce que je veux dire, c’est que ça fait quatre ans que les clercs de chevet de la réaction décomplexée, les mêmes qui ont récemment ouvert devant Sarkozy un boulevard semé de fleurs, pratiquent, avec leur style tout stalinien, le terrorisme intellectuel, particulièrement crade, connu sous le nom de "reductio ad Hitlerum" - dont le prolégomène principal est que si-que-tu-n’es-pas-de-l’avis-des-fidèles-supporteurs-de-l’administration-Bush-ben-c’est-que-t’es-rongé-par-de-sourdes-pulsions-nazies.
Quatre ans, par conséquent, que ces courageux iconoclastes, cramponnés au manche, usent de la calomnie comme d’une arme absolue, et partagent le (meilleur des) monde(s) entre, d’une part, celles et ceux qui adoptent leur pénétrante conception des rapports humains, et, d’autre part, celles et ceux qui ont pour "oncle Adolf" une tardive sympathie.
Et les voilà qui, tout soudain, la bouche en coeur, t’annoncent, ah ben, faites excuse(s), on s’est un peu vautrés - à l’insu de notre plein gré, cependant : "Nous nous sommes (…) retrouvés piégés par le caractère très idéologique du débat franco-français".
Mais attends - attends : il était où, le débat, quand tu assimilais tout(e) opposant(e) aux guerres bushiques à un(e) hitlérien(ne) ?
Elle était où, la raideur idéologique - quand tu mettais soigneusement ton pas dans le pas de George W. Bush ?
Attends : ça fait quatre ans que tu es bloqué aux altitudes où croisent généralement les B52s de l’Oncle Sam (avant que de larguer de la mort sur des populations collatérales), et que de tout là-haut tu nous lâches sur le sommet du crâne des torrents de guano - et tout d’un coup tu déboules, genre agade comme je suis contrit, et tu nous dis, c’est vrai, je m’ai un peu trompé ?
Je voudrais pas faire le vindicatif, mais est-ce que c’est pas un peu court, quand on vient de passer tant d’années à insulter la terre entière ?
(1) Dans la revue Le Meilleur des mondes, justement.