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Eldorado maritime

2 octobre 2009 à 21h20
Une poignée de promoteurs tente de se réapproprier les immenses zones en friche du havre maritime de Montréal.

La Société du Havre voyait le jour suite au Sommet de Montréal, en 2002. Sorte de nébuleuse, n’ayant de comptes à rendre à personne, cette société aura permis à de puissants lobbies de promoteurs et de consultants de tirer profit de la réhabilitation des berges du Fleuve Saint-Laurent. Certains intervenants poussent les hauts cris à la veille des élections municipales du 1er novembre prochain.

L’administration du maire Tremblay a l’habitude de confier la relance de certains secteurs à des organismes à but non lucratif (OBNL) qui n’ont de compte à rendre qu’aux proches du pouvoir, c’est-à-dire les membres du Comité exécutif de la ville. Dans certains cas, les sociétés concernées prendront les commandes de véritables opérations d’aménagement urbain, utilisant l’approche dite du Plan particulier d’urbanisme (PPU).

En fait, il s’agit d’une formule qui permet de court-circuiter les procédures habituelles en matière de réglementation urbanistique. Si cette approche peut se justifier afin de faire débloquer des contentieux, elle peut, malheureusement, s’avérer un moyen de soustraire certains projets aux procédures d’usage qui permettent aux fonctionnaires et aux citoyens d’avoir leur mot à dire d’ordinaire.

Zones urbaines en friche

Or, dans le sillage de ce fameux Sommet de 2002, un groupe d’investisseurs aura jeté son dévolu sur une immense zone en friche qui couvre la partie maritime de l’ouest du centre-ville de Montréal. Le territoire du Havre de Montréal couvre une superficie de 10 kilomètres carrés, en tenant compte des îles Sainte-Hélène et Notre-Dame. Il s’agit d’un territoire charnière qui connecte ensemble la portion fluviale du Vieux Montréal et les berges du Canal de Lachine qui s’étendent jusqu’aux abords du Pont Champlain, la structure routière la plus achalandé au Canada.

Utilisant le poids politique de certaines institutions bien en vue dans le monde des affaires, les principaux intéressés auront réussi à convaincre l’administration Tremblay de financer la création de la Société du Havre. Une société écran, aux dires de certains, qui n’a toujours pas rendu public ses états financiers de façon détaillée. Là où le bât blesse, c’est que cette société est directement financée à même les goussets d’une ville qui peine à entretenir ses infrastructures de base.

Prétextant la revitalisation des berges du Saint-Laurent et la reconfiguration de plusieurs anciens faubourgs ouvriers, la Société du Havre dévoilait au printemps 2004 une étude intitulée « Vision 2025 ». Un document stratégique qui ambitionnait de « ramener la ville vers son fleuve », pour reprendre les termes de ses instigateurs. En effet, les grands travaux d’infrastructures routières des années 60 auront manifestement coupé le secteur du Havre des berges du Saint-Laurent et des autres voies navigables artificielles annexes. Donc, réaménager certains franges riveraines et, tant qu’à faire, « retisser la trame urbaine fracturée par la présence envahissante des autoroutes ». Il fallait s’y attendre, les auteurs du document en auront profité pour se référer au concept de développement durable pour justifier ce qui pourrait s’apparenter à une véritable OPA sur le secteur.

Pactole inespéré

En fait, les véritables enjeux de cette vaste opération de remodelage urbain tourneraient autour de la constitution d’une réserve foncière favorisant le transfert d’immenses parcelles de terrain vers l’escarcelle de certains promoteurs aguerris. Un modèle de gestion en partenariat public-privé qui a déjà fait ses preuves ailleurs au cœur de la cité.

On soulignera, pour les Internautes français, que les édiles de la Ville de Montréal auront bradé en l’espace d’une décennie plusieurs terrains municipaux pour une bouchée de pain, moyennant des considérations relatives à la décontamination ou à la mise en place d’infrastructures desservant les projets concernés. Chemin faisant, cette approche fait en sorte de favoriser des développements satellitaires où une partie des canalisations, de la chaussée ou des aménagements paysagers sont pris en charge par le privé. La charge foncière sera à l’avenant, il fallait s’en douter… ainsi, la métropole du Québec tente de se départir d’une portion appréciable des terrains qu’elle possède en propre afin de susciter la venu d’investisseurs qui permettront de regarnir les coffres en terme d’impôt foncier. Mais le jeu en vaut-il la chandelle ?

Le même scénario sera reproduit pour reconvertir d’anciennes friches industrielles en parc immobilier susceptibles d’attirer de nouvelles activités économiques. Montréal ayant déjà été le centre ferroviaire du Canada, les grands transporteurs de marchandises se sont approprié des enclaves le long de l’emprise ferroviaire. Véritables hinterlands à l’intérieur du tissu urbain, ces énormes terrains en friche ont été contaminés, dans certains cas, par un siècle et demi d’activités industrielles intenses.

L’ancien site ferroviaire du Canadien National (CN) – sis dans le quartier de la Pointe-Saint-Charles, dans le secteur ouest du Havre – aura été le théâtre d’une opération immobilière inusitée et fort médiatisée. En effet, l’ancienne société de la couronne fut privatisée en 1992, dégageant l’état de toutes responsabilités en termes de décontamination et de réhabilitation des lieux. Anticipant une désaffectation prochaine de ses activités d’entretien du matériel roulant, le CN préparait le terrain pour un changement de programme qui s’est effectué en douce.

Ici, on parle d’une vente pour un montant symbolique de 1 dollar CAN d’un site de 3.5 millions de pieds carrés (320 000 mètres carrés), incluant près de 1 million de pieds carrés de bâtiments industriels qui ont servi d’ateliers ferroviaires à partir des années 1850. La transaction aura lieu dans l’opacité la plus complète au grand dam d’un consortium d’investisseurs qui avaient déjà présenté une offre d’environ 11 millions de dollars CAN pour le même site.

Vigoureuses luttes citoyennes

Curieusement, autour des années 2003, la société d’état Loto-Québec caressait le dessein d’y déménager le casino de Montréal dans le cadre d’un projet d’implantation d’un vaste projet récréotouristique. Il se trouve que le PDG de cette société de jeux et loteries siégeait au sein du puissant directoire de la Société du Havre. Un télescopage d’intérêts politiques qui allait déclencher une bataille rangée entre les promoteurs du projet et l’ensemble de la population locale.

Une coalition de citoyens proposa, même, que les autorités municipales décrètent un moratoire sur la vente des terrains du CN, le temps de faire une contre-offre aux propriétaires de l’ancienne société de la couronne privatisée. Le scénario proposé : que la Ville de Montréal mette sur pied une société mixte qui aurait présidé à la transformation du site en autant de projets porteurs d’espoir pour les résidents du plus ancien quartier industriel canadien. Si le projet populaire est mort au feuilleton, la saga des terrains du CN n’a pas fini de faire couler l’encre des journalistes.

D’autres cas d’espèce attirent notre attention, à l’instar du projet immobilier dénommé Village Griffintown, une autre nébuleuse qui ne verra pas le jour après bien des rebondissements. Cet autre gigantesque projet, estimé à 1,3 milliard CAN, promettait de développer les terrains en friche d’un secteur ouvrier vétuste ayant accueilli une part importante de la main d’œuvre irlandaise chargée des travaux de terrassement du Canal de Lachine au XIXe siècle.

Prenant appui sur une fiducie familiale et sur des caisses de retraites d’organismes publiques, les promoteurs auront tenté, en vain, de faire pression sur la Ville de Montréal pour qu’elle mette en branle un vigoureux processus d’expropriation des petits propriétaires locaux. Un branle-bas de combat qui peut s’expliquer au vu des 10.2 hectares de terrains à développer au nord du Bassin Peel, cet appendice du Canal de Lachine. Toujours est-il que les promoteurs ne réussiront pas à obtenir de véritables garantis de prêts susceptibles de leur permettre d’aller de l’avant. La Ville de Montréal lèvera le droit de réserve en vue du processus d’expropriation anticipé sur les terrains convoités.

Ce projet allait, lui aussi, déclencher l’ire de la population locale, en occurrence une poignée de petits propriétaires et entrepreneurs s’étant établi dans le secteur depuis des lustres. Les promoteurs du Village Griffintown projetaient d’y développer pour 1 million de pieds carrés de surfaces commerciales, principalement de destination, ce qui aurait pu causer des effets désastreux pour les commerces limitrophes, sans oublier la congestion autoroutière monstre qui pourrait en résulter. Promettant mers et mondes aux instances municipales, les promoteurs s’étaient engagés à débourser une somme de 10 millions CAN pour relier le secteur au Vieux-Montréal et au centre-ville par l’entremise d’une petite boucle de Tramway.

Toutefois, en considérant le nombre d’unités résidentielles et commerciales devant être construites, les promoteurs projetaient un besoin de 4 000 à 8 000 places de stationnement additionnelles. Certains contacts n’hésitent pas à affirmer que c’est la municipalité, via son organisme Stationnement Montréal, qui aurait été forcée de débourser l’investissement pour les stationnements. Des calculs sommaires qui nous amènent à jongler avec la faramineuse somme de 200 millions CAN ! De fil en aiguille, notre enquête nous a menée vers d’autres sources qui soupçonnent la société d’état Loto-Québec d’avoir eu des visées sur cet autre secteur très convoité… ce qui aurait pu expliquer l’extravagance du nombre des stationnements projetés.

Des enjeux de taille

En bref, les enjeux sont considérables au vu de la complexité du territoire à remembrer. Et, justement, certains promoteurs auront saisi l’opportunité de surfer sur le consensus citoyen autour de la renaissance du secteur.

Dans un contexte de marasme économique endémique, le parti municipal au pouvoir tente de relancer l’économie locale au moyen de projets de revitalisation qui permettront de ressouder un tissus urbain mis à mal par des décennies d’étalement urbain. En effet, une portion considérable de la trame urbaine aura été éradiquée dans le sillage des travaux d’aménagement du site de l’Exposition universelle de 1967.

Un quartier populaire du secteur fut rasé pour accueillir des terrains de stationnements pour les visiteurs d’Expo 67, le Faubourg Aux-Récollets allait être coupé de Griffintown par une énorme structure suspendue accueillant l’autoroute Bonaventure et d’innombrables remblais provenant des travaux d’excavation de la première ligne de métro de Montréal viendront garnir une ceinture de polders industriels qui empêchent la population locale d’avoir accès aux berges du Fleuve Saint-Laurent.

La stratégie des dominos

Au moment de mettre cet article en ligne, la Société du Havre vient de compléter l’avant-projet du Quartier Bonaventure, une autre opération de reconversion de terrains municipaux en réserve foncière pour y développer des projets immobiliers futuristes. Curieusement, les mêmes promoteurs ayant acquis les anciens terrains du CN seraient en lice pour rafler la mise. Les urbanistes en charge de l’opération ambitionnent de détruire la portion suspendue de l’Autoroute Bonaventure pour en faire un véritable boulevard urbain. Ces travaux auraient pour avantage de « ressouder » la trame urbaine, tout en créant une « entrée de ville de prestige », pour reprendre les termes des parrains du projet.

Si le concept de boulevard urbain semble faire consensus auprès de tous les intervenants actifs dans ce dossier, c’est l’implantation d’un projet de développement immobilier en plein cœur de la nouvelle artère qui pose problème. Tout cela sans compter une partie de la desserte des autobus, provenant de la Rive-Sud de Mtl, qui devrait être relocalisée le long d’une rue secondaire appelée à devenir un corridor accueillant près de 1500 bus par jour !

Bref, un autre chapitre vient de s’ouvrir et, déjà, une cohorte de résidents monte aux barricades face à l’absence d’un consensus face aux impacts réels de toutes ces visées. Sentant la soupe chaude, les promoteurs et leurs alliés du Comité exécutif auront confié à des firmes privées le soin de mener une série de consultations publiques ayant pour mandat d’aiguillonner la dissidence.

Par ailleurs, l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) – organisme chargé de mener de véritables consultations lorsqu’il y a possibilité de modification au plan d’urbanisme – ne sera presque jamais mis à contribution. La stratégie des dominos permettra donc aux autorités municipales de mettre en branle de véritables partenariats publics-privés qui n’osent pas dire leur nom, mais dont les effets sont bel et bien réels.

Des sociétés privés sont chargées des études préliminaires et des avant-projets, d’autres mènent les consultations publiques afin d’atténuer la grogne populaire et les promoteurs aux aguets se voient octroyer des terrains publics pour une bouchée de pain, moyennant des promesses de décontamination et/ou de mise en place des infrastructures dédiées au projet.

Nous allons vous revenir, cet automne, avec une série d’articles qui feront le point sur certaines opérations controversées qui nous ont permis de mieux saisir ce qui se trame derrière cette vaste opération de réhabilitation du Havre de Montréal. Si le désir de ressouder la trame urbaine semble rallier l’ensemble de la population, ce sont les moyens mis en branle pour y parvenir qui suscitent la suspicion d’un nombre croissant d’observateurs. Un dossier à suivre.

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Mots clés : Montréal

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