Dormez : la presse (qui ment) veille sur votre sommeil, et, durant que vous en écrasez, vous fait, comme dit l’ami Fred Alpi (1), "de plus grandes cages, de plus longues chaînes".
Ainsi de Libération, qui prédit ce matin, à la une, "un mois de juin chaud pour Sarkozy", au double motif qu’"aujourd’hui, fonctionnaires et cheminots sont en grève", et que "mardi prochain, tous les salariés, du privé et du public, sont appelés dans la rue" - et que par conséquent, toujours d’après Libération (où l’on aime se (et te) donner l’illusion du frisson), tout cela nous fera, au bout du compte : "Huit jours de conflit social".
C’est ce que Didier Pourquery, dans un éditorial grotesque, appelle de la "résistance" (aux coups de force du régime qui étend sur nos vies son emprise).
C’est ce qu’il appelle aussi - ne ris pas, je te prie : "Une grogne sociale continue qui n’a pas fini d’irriter l’opinion".
D’où vient cette grogne (sociale) ?
De ce que : "Pour "faire" des réformes (…), l’équipe Sarkozy (…) néglige le dialogue".
Toute une philosophie tient dans ces quelques mots.
Ce qui le gêne, Pourquery, ce n’est pas que "l’équipe Sarkozy" fasse d’infectes "réformes" : pour ce qui serait de la démolition de nos acquis sociaux, les gens de la presse à barbiche, au fond, seraient plutôt partants, parce que bon, c’est pas tous les jours qu’un briseur de tabous ose détotémiser la France collectiviste.
Ce qui le gêne, Pourquery, c’est que la droite régimaire "néglige le dialogue".
Ce qui le gêne, Pourquery, ce n’est pas le fond : c’est la forme.
(D’ailleurs, tu l’as relevé : du point de vue de Pourquery, ce ne sont pas (du tout) les hideuses "réformes" que fomente "l’équipe Sarkozy", qui n’ont "pas fini d’irriter l’opinion".
C’est plutôt la "grogne sociale" de ceux qu’offusque le sac(cage) des solidarités.)
C’est pour ça que Pourquery te présente la triste mobilisation d’aujourd’hui comme le signe que "ça résiste", et c’est pour ça que Libé t’annonce, crânement, que nous sommes, donc, entrés ce matin dans un long tunnel de "huit jours de conflit social" : à partir du moment où ton objectif, dans la vie, n’est pas de mettre un coup d’arrêt aux "réformes" scélérates que la droite confectionne, mais de les avaliser par le "dialogue", il va de soi que la moindre manif t’apparaît comme une authentique révolution.
Mais dans la vraie vie ?
Nous avons, ce mardi, une grève (de niveau 1 (sur 20) sur l’échelle de Krazucki), et nous avons, mardi prochain, une "journée de mobilisation".
Et entre les deux : rien.
Pour le dire autrement, nous avons deux "journées d’action", que séparent six jours de molle inaction : c’est ce que Libé appelle "huit jours de conflit social" (2) - et cette présentation quelque peu tirée par les veuches a ceci de commode qu’elle permet à Libé de poser le désolant Thibault en agitateur écarlate, mais là encore, la vraie vie n’a qu’un lointain rapport avec ce que (nous) raconte le quotidien barbichu.
Dans le monde réel, neffet : le PDG de la CGT, conscient que l’avenir du syndicalisme de médias est à ceux, désormais, qui sauront se chéréquiser, a depuis longtemps renoncé (en pourqueriste cohérent) à bordéliser les "réformes" de "l’équipe Sarkozy".
Dans le monde réel, Thibault, comme Parisot (et Pourquery), nouvelle star de ce que Libé nomme (non sans ravissement) "le syndicalisme réformiste", veut seulement "dialoguer" - histoire de planquer ses capitulations derrière le paravent d’une pugnacité Potemkine.
(Thibault, tu l’as noté, n’en finit plus de s’offusquer de ce que "l’équipe Sarkozy" veuille partout "passer en force" - et non de ce qu’elle veuille tout simplement passer.)
"Dialoguons !"
Supplie-t-il.
Chérèque abonde : "Conversons !"
Pignolons-nous, de grâce, devant des caméras : nos adhérents verraient, sinon, que nous sommes des rigolos, gagnés aux "réformes".
Trop tard : tout le monde a compris.
Tout le monde a compris que les divagations de Libé, où l’on fait d’une paire de "journées d’action" une semaine entière de "conflit social", ne suffiront bientôt plus à dissimuler que ni la CGT, ni la CFDT n’ont la moindre envie de faire trop de peine à "l’équipe Sarkozy".
(Et d’appeler, plutôt qu’à de burlesques débrayages (dont l’inefficacité absolue est connue depuis la préhistoire), à une grève générale, ici et maintenant.
Illimitée, ça va de soi.)
Tout le monde a compris, aussi, que "l’équipe Sarkozy".
Consciente qu’elle a en face d’elle des gens dont l’agressivité syndicale est moins développée que celle d’un chihuahua.
Décidera probablement, un de ces trois matins, si ce n’est déjà complètement fait, que rien ne lui sert de s’embarrasser de ces minuscules jappeurs : j’en connais dont l’avenir a la triste couleur (jaune) d’un refuge de la SPA…
(1) Qui est ce soir à 20 heures au "96" boulevard de Charonne, 75020, et demain soir au "Bon Accueil", 64 rue Alexandre Dumas, même heure, même arrondissement. (2) Je suppose que Libé nous annoncera bientôt que Pierre Méhaignerie est un communiste libertaire ?